Souveraineté et indépendance énergétique : l'instructif huis clos de la commission parlementaire

Par Charles Cuvelliez  |   |  1277  mots
(Crédits : Reuters)
OPINION. Ce qui s'est dit à huis-clos avant la publication du rapport de la commission d'enquête sur la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France est riche d'enseignements. Par Charles Cuvelliez, Ecole polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles.

Même si la dernière réunion du 30 mars de la commission d'enquête sur la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France était à huis-clos, un compte-rendu a été publié comme le prévoit le règlement de l'assemblée nationale. Sa lecture permet d'un peu mieux saisir la polémique qui a suivi sa publication. Certains partis-pris ont, c'est vrai, été reprochés au rapporteur de la commission mais cela a-t-il vraiment nui à l'objectivité du rapport ?

A la lecture du préambule du compte-rendu par le rapporteur, on apprend ainsi que la commission a pu dans les 5.000 pages qui lui ont été transmises aborder des thèmes peu repris au cours des auditions. Il reste cependant des trous.

Les énergies renouvelables non-électriques n'ont été que peu abordées tant dans les auditions que les documents. C'est dommage, lit-on, car c'est un signe que la politique énergétique de la France s'est trop focalisée sur un mix électrique (par railleur très décarboné, tant mieux) sans faire assez attention au reste.

Le rapporteur (Antoine Armand) explique aussi à huis-clos aux membres de la commission (qui doivent voter le rapport) avoir voulu mettre l'accent sur le retard en matière de souveraineté énergétique. Il ne voulait pas encore parler de perte de souveraineté. Mais il s'agit aussi de retard en matière de sobriété, et d'efficacité énergétique : année après année, on prend un peu plus de retard en matière de sobriété et d'efficacité énergétiques, de décarbonation vis-à-vis des énergies fossiles, d'énergies renouvelables (thermiques). Le rapporteur a voulu durcir trois aspects du rapport : regretter la décision de Fessenheim, pester contre l'abandon de recherche sur la 4e génération nucléaire (Astrid) et insister sur l'urgence à reformer le marché européen.

Réaction des membres

Les membres de la commission réagissent ensuite. Et de lire que le rapport met bien en évidence le contraste entre la rapidité d'exécution des politiques énergétiques au XXe siècle (qui a placé la France en leader du nucléaire) et les doutes/obstacles auxquelles les politiques énergétiques se sont ensuite heurtées (Olga GIvernet, Renaissance). Sur Astrid et la 4e génération, il fallait créer une filière complète, lit-on de la part d'un des membres, depuis le combustible jusqu'à la gestion des déchets. Il ne s'agissait pas que de faire fonctionner un réacteur (Natalia Pouzyreff, Renaissance). On trouve même (de la part du représentant de LFI, Maxime Laisney) une référence au film « La syndicaliste » pour rappeler que rien n'est dit dans le rapport sur les suspicions d'accords secrets de transfert de technologie entre la France et la Chine que Maurren Kearney voulait dénoncer au point d'être agressée sans qu'on sache véritablement le fin mot de l'histoire. Pourquoi n'en avoir rien dit ?

Ce même représentant LFI est opposé à confier l'énergie au ministère de l'Industrie, comme le préconisera le rapport. Il s'étonne qu'on parle, au fond, peu de la Russie pour l'approvisionnement en uranium alors que Greenpeace a publié un rapport qui montre que la France est dépendant à 40 % d'un uranium qui transite (sic) par ce pays. Il ne comprend pas non plus pourquoi le rapport préconise la fusion IRSN-ASN alors qu'il n'en fut jamais question pendant les auditions.

Pour la LFI toujours, les délais pour construire de nouvelles centrales sont tels que c'est une difficulté pour le nucléaire de relever le défi du changement climatique. Il est parfaitement possible de sortir des mécanismes de marché puisque les traités le permettent et surtout cela ne pose pas de difficulté technique vu que la France, marché ou pas, restera interconnecté aux pays voisins. C'est la proposition innovante mis en avant par la LFI qui fait sourire : la création d'un acheteur unique et public d'électricité. Les premières directives pour libéraliser les marchés de l'énergie le prévoyaient comme autre voie possible.

Le parti socialiste par la voix de sa représentante (Marie-Noëlle Battistel) considère qu'on n'évoque pas assez la guerre entre EDF et Areva. Cela a été peu abordé dans les auditions et guère de questions n'ont été posées à ce sujet. La filière a pourtant été affaiblie.

La représentante d'EELV (Julie Laernoes) annonce aussi vouloir voter contre le rapport. EELV n'approuve évidemment pas la volonté systématique de discréditer le passage à 100 % d'énergie renouvelable. Pour Ecolo, le rapport donne l'impression de server de caution a posteriori de la politique énergétique menée par Emmanuel Macron depuis 2017 et ce malgré le revirement de ce dernier en la matière (donc pourquoi vouloir justifier encore, doit-on sans doute comprendre). Toujours pour ce parti et ses représentants, ce rapport s'inscrit dans une perspective politique de justification.

Pourtant, explique un autre membre de la commission, le rapport est bon parce qu'il met fin à l'illusion d'une indépendance énergétique qu'on confond trop avec l'autarcie.

Il aurait fallu se fixer des objectifs de sobriété énergétique dès les années 1970 avec une véritable réglementation thermique, ce qui a été fait, à la même époque, dans d'autres pays. Il a raison de dire qu'atteindre la souveraineté énergétique si l'on gaspille l'énergie dans les bâtiments, cela n'a pas beaucoup de sens. Le chauffage, c'est la moitié des besoins en énergie (Marjolaine Meynier-Millefert, Renaissance).

Le RN (Jean-Philippe Tanguy) donne un bon bulletin à la commission car il ne s'agissait pas de faire du cinéma, dit-il. Mais le RN s'étonne aussi de ne pas voir mentionner Emmanuel Macron comme ministre de l'Économie. Il ne faut pas passer sous silence son rôle pendant la présidence de François Hollande, insiste-t-il.

Le RN sort alors son jeu contre les hauts fonctionnaires, les membres des grands corps qui exercent une influence structurelle susceptible de devenir toxique pour l'Etat. La fermeture de Fessenheim serait une caricature de l'orgueil des grands corps de l'Etat et des décideurs politiques qui refusent de reconnaitre leur erreur.

Le rapport, pour le RN, se focalise trop sur le débat autour du nucléaire au détriment de la sortie des énergies fossiles. L'Allemagne est aussi trop souvent décrite comme une puissance hostile dans le domaine de l'énergie. C'est vrai que ce fut souvent dit lors des auditions, admet-elle. Il faut une coopération internationale accrue dans le nucléaire plaide le RN. Le parti ne veut pas de chauvinisme en la matière car les auditions ont mis en avant les difficultés rencontrées en termes de maitrise de compétence et de maitrise de filière. Le RN présage cependant un nouveau creux nucléaire.

Une meilleure place aurait dû être réservée à la cogénération vu ses avantages considérables pour le tertiaire et le logement. Le rapport ne reflète pas assez la teneur des auditions en ce sens.

Il n'empêche, ce sont des détails : ce rapport, on le sait, fait le tour du gâchis (réversible, heureusement pour l'Europe) de la France qui a commencé à traiter par-dessus la jambe ce qui faisait l'admiration du reste de l'Europe : son leadership nucléaire, un pilier de la relance industrielle de tout un continent.

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Pour en savoir plus : Compte rendu de Commission d'enquête visant à établir les raisons de la perte de souveraineté et d'indépendance énergétique de la France, Jeudi 30 mars 2023, Compte rendu n° 52