La Commission de régulation de l'énergie (CRE) n'a pas eu froid aux yeux

OPINION. La Commission de régulation de l'énergie (CRE) a fourni par anticipation la première réaction à la proposition de la Commission européenne pour réformer le marché de l'électricité. Elle avait demandé à un panel d'experts, en leur donnant carte blanche, de se pencher sur cette réforme, avant de la connaitre. Points communs et désaccords au menu (et le consommateur un peu oublié). Par Charles Cuvelliez, Ecole Polytechnique de Bruxelles, Université de Bruxelles.
Charles Cuvelliez.

Par un hasard de calendrier, la CRE publiait l'analyse des experts académiques qu'elle avait consultés pour dépassionner le débat sur la réforme de l'électricité juste avant la proposition de réforme de la Commission. C'est une première confrontation que la CRE nous offre.

Sur les surprofits des producteurs d'électricité, il n'y a déjà pas d'alignement. De mesure d'urgence à l'origine, la Commission entend pérenniser leur récupération. Pour les experts consultés par la CRE, une telle récupération dissuade le marché de réagir rationnellement aux prix du gaz , quel que soit la méthode (taxation, prévention). Même le modèle ibérique qui réduisait le prix de l'électricité en Espagne en subventionnant le gaz utilisé pour le produire ne trouve grâce à leurs yeux.

Marché des capacités

L'autre mécanisme efficace pour réduire les prix, le marché des capacités, ne les convainc pas. Il met à disposition une capacité de production adéquate à tout moment pour répondre à la demande d'électricité aux heures de pointe. Il faut rémunérer sa disponibilité, au cas où, quand ils ne produisent rien mais on évite des prix qui partent en flèche si la demande (très inélastique) dépasse l'offre. Ce mécanisme est trop hétérogène : réserves stratégiques, enchères ou alors des options, des obligations de fourniture de capacités. L'hypothèse de base est dépassée (électricité produite par des unités de production centralisée) alors qu'il faudrait intégrer plus de stockage, plus flexibilité de la demande chez les consommateurs professionnels (commerciaux ou administratifs). Que faire lorsque c'est une unité dans le pays X qui, par sa disponibilité, garantit la sécurité d'approvisionnement du pays Y. Qui doit payer cette sécurité ? La Commission n'apporte rien de neuf dans sa proposition. Ce mécanisme est dans les mains des Etats membres, sous surveillance (et approbation) de la Commission.

Contrats long terme

Il y a les contrats long terme, PPA (Power Purchase Agreement) et CfD (Contract for Difference), que la Commission prône. Les PPA sont des contrats long terme commerciaux, liant un producteur et un consommateur professionnel. Ces PPA ont trait au renouvelable. Ils sécurisent les revenus des producteurs malgré l'intermittence du renouvelable. Les CfD lient un producteur de renouvelable et un agent public avec un prix garanti et remboursement à la partie adverse en cas de dépassement vers le haut ou vers le bas. Très bien, disent les experts, mais il y a quantité d'autres mécanismes encore peu développés, non liés au renouvelable, comme les futures, les swaps, les calls, les forward contracts. Tous ces outils doivent être utilisés, pas uniquement les PPA (qui présentent un risque d'influence trop grande de la part des acteurs qui y prennent part). La Commission se limite toutefois dans sa proposition aux CfD, aux PPA et les contrats forward où les  deux parties s'engagent l'une vis-à-vis de l'autre sur un prix donné dans le futur sans nécessairement exiger de livraison.

Prix nodaux

Les experts plaident pour des prix de gros « locaux » au risque d'une hétérogénéité des prix de gros ! Comme on s'en doute, ils s'écartent ici du mantra de toujours de la Commission : marché unique, prix unique. Leur raisonnement ? La décarbonation impose d'investir dans le solaire et l'éolien, là où le soleil et le vent sont abondants mais ce n'est pas là que les réseaux de transport sont les plus adaptés. Les prix nodaux tiennent compte de cette (non)-adaptation du réseau et fournissent un signal pour investir s'ils sont trop hauts. Cette suggestion iconoclaste ne se retrouve évidemment pas dans la proposition de la Commission.

La taxonomie

Enfin, les experts abordent le problème de la taxonomie qui énumère les productions d'électricité « réputées durables ». C'est un cadre censé attirer les investissements. Mais les experts ne croient pas à la simple incitation. Pour décarboner, le prix du carbone doit être intégré tel quel dans les prix du marché.

Mais surtout, pour ce panel, il ne faut pas changer les règles de marché à court terme. Il doit simplement mieux fonctionner (plus de liquidité, plus de production, plus de stockage). Il faut promouvoir la flexibilité de la demande et garantir une meilleure supervision des marchés par les régulateurs, point sur lequel les experts rejoignent la Commission qui renforce le rôle de l'ACER (qui regroupe les régulateurs européens).

Le consommateur repart les mains vides avec ces experts. Il manque le retour des contrats fixes, la possibilité d'avoir un deuxième contrat qui lui profitera quand les prix sont volatils à la baisse pour sa pompe à chaleur ou sa voiture électrique. C'est ce que propose la Commission. Un consommateur qui ne peut se payer des panneaux solaires pourra même compter sur celui qui en a, dit la Commission.

On comprend que la CRE et sa présidente ait pris ses distances mais elle n'a pas eu froid aux yeux avec ces experts réunis sous son égide.

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Pour en savoir plus : Beyond the crisis: re-thinking the design of power markets, Report,CRE, mars 2023 et Proposal for a regulation of amending Regulations (EU) 2019/943 and (EU) 2019/942 as well as Directives (EU)  2018/2001 and (EU) 2019/944 to improve the Union's electricity market design, March 14, 2023.

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Commentaires 3
à écrit le 18/03/2023 à 16:21
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Centrales REP : un seul constructeur, panel de fournisseurs unique, dysfonctionnement touchant la moitié des centrales. Distributeur national : unique en France, nombre d'employés énorme, mouvement social : entre 8 et 20 GW perdus. Eolien, une bonne ...

le 24/03/2023 à 15:26
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....et un ingénieur électricien/énergéticien/électronicien dans chaque maison pour piloter tout cela. Sans oublier un spécialiste du calcul économique, parce que la plupart des investissements conseillés ne sont rentables...que pour les installateurs...

à écrit le 18/03/2023 à 14:38
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La CRE, de par les experts qu'elle sollicite, apparait comme une commission asservie aux intérêts ultralibéraux de certains acteurs, pardon de certains profiteurs, du marché européen de l’énergie

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