L'aéroport de Strasbourg sauvé par sa mue low-cost

Par Olivier Mirguet  |   |  782  mots
Strasbourg renaît avec un positionnement mûrement réfléchi et co-financé ses actionnaires, collectivités territoriales alsaciennes et chambre de commerce : elles acceptent depuis 2012 de prendre en charge, pour 2,125 millions d'euros, la baisse de plus de 50 % des taxes et des redevances payées par chaque passager au départ de Strasbourg.
Après 20 ans sans positionnement clair, le nouvel aéroport de Strasbourg compte sur sa nouvelle stratégie pour s'imposer dans la région, à la faveur de l'installation d'une base de la compagnie espagnole Volotea.

Les va-et-vient stratégiques des responsables de l'aéroport de Strasbourg ont fini par cesser. L'installation prévue en avril 2015 d'une base de la compagnie espagnole Volotea signe la reconquête du trafic au départ de la métropole alsacienne. Avec deux avions affectés en permanence à Strasbourg (onze destinations), cette compagnie à bas coûts crée 50 emplois de pilotes et de navigants dans un bassin d'emploi qui n'a jamais réussi à convaincre par son attractivité aéronautique.

Thomas Dubus, le jeune directeur de l'aéroport recruté en mars 2010 après un passage chez Keolis, explique :

« On a entamé ce redressement en proposant les bons prix aux compagnies et aux passagers. On a mobilisé tous nos partenaires locaux. Et on a surtout retrouvé l'envie de réussir »

Le trafic prévisionnel est en hausse de 7 % en 2015, avec 1,3 million de passagers. En 2016, grâce au low-cost, la prévision s'établit à 1,5 million de passagers. « On était dans un cercle vicieux, on rentre dans un cercle vertueux », espère Thomas Dubus.

20 ans de galère

Au terme de deux décennies mal orientées en termes de trafic et d'image, les utilisateurs potentiels de l'aéroport de Strasbourg ont pris l'habitude de voyager depuis les aéroports voisins (Bâle-Mulhouse, Baden-Baden, Francfort) où l'offre est mieux ciblée, moins chère ou plus internationale. Voire les trois à la fois. Strasbourg s'est cassé les dents une demi-douzaine de fois sur de grands projets de dynamisation de cet aéroport parfois qualifié, sur un ton moqueur, d' « aérogare d'Entzheim ».

La liste des tentatives est longue :  le hub de correspondance franco-allemand (1995) n'a jamais fonctionné. Le fret à grande échelle avec DHL (1996) a été rejeté sous la pression des riverains. Le low-cost (2002) s'est replié avec Ryanair à Baden-Baden, en Allemagne, en 2003. La volonté de desservir les capitales européennes à des fins diplomatiques n'a jamais vraiment percé malgré les 21,4 millions d'euros d'aides financières versées à cinq lignes internationales sous obligation de service public entre 2012 et 2014. La concurrence des autres aéroports du Rhin Supérieur (Bâle-Mulhouse, Baden-Baden, Francfort) a rongé le trafic de Strasbourg depuis dix ans. Par report modal, la concurrence du TGV a vidé Entzheim de la moitié de son trafic entre 2006 (2 millions de passagers) et 2011 (1,08 million de passagers).

Malgré le repositionnement « affaires » qu'illustrait, en 2008, l'ouverture d'un confortable salon d'attente dédié aux parlementaires européens, plusieurs lignes internationales ont été fermées faute de trafic, dont Copenhague, Vienne et Munich. Pour enfoncer le clou, en avril 2013, Air France a transféré sur le rail ses passagers à destination de Roissy-Charles de Gaulle, dans le cadre d'un accord avec la SNCF : quatre fois par jour, les voitures TGV Air&Rail acheminent entre 16 et 46 passagers vers la plate-forme de correspondance de Roissy, au départ de la gare centrale de Strasbourg.

Une concurrence déloyale ?

Strasbourg renaît avec un positionnement mûrement réfléchi et co-financé par ses actionnaires, collectivités territoriales alsaciennes et chambre de commerce : elles acceptent depuis 2012 de prendre en charge, pour 2,125 millions d'euros, la baisse de plus de 50 % des taxes et des redevances payées par chaque passager au départ de Strasbourg.

« L'aéroport a souffert de la concurrence des aéroports voisins de Baden-Baden et Bâle-Mulhouse, où les taxes sont moins élevées », explique Claude Liebermann, président du directoire de la société d'exploitation de l'aéroport d'Entzheim. Les charges (taxe, redevance, assistance) supportées par les compagnies et refacturées au passager sont tombées de 30 euros en 2009 à 15 euros en moyenne.

Ouvrir la zone de chalandise

Mais toutes les turbulences ne sont pas apaisées. Les hésitations de Ryanair, qui suspend cet hiver sa ligne Strasbourg-Londres et ne conservera que sa ligne bi-hebdomadaire vers Porto, prouvent la fragilité de la stratégie fondée sur le low-cost, avec ses contraintes immuables de revenus par kilomètre-passager. A Baden-Baden, pour la même raison, la concurrence allemande a flanché sensiblement (-17 %) en 2013. « L'aéroport doit profiter de sa situation frontalière et communiquer davantage en Allemagne. Il faut ouvrir la zone de chalandise à 360 degrés », propose Roland Ries, maire (PS) de Strasbourg.

Thomas Dubus veut se diversifier :

« Nous allons augmenter les recettes domaniales pour compenser la chute des recettes aéronautiques. Ces dernières ne représentent plus que 25 % de notre budget en 2015, contre 40 % en 2011 »

Avec une emprise  confortable (270 hectares) et des terrains disponibles sur l'ancienne base militaire mitoyenne, l'aéroport muscle son offre dans l'immobilier d'entreprises. Après avoir conforté la présence de transitaires et d'opérateurs en logistique, la plate-forme d'Entzheim (1.200 emplois) s'apprête à accueillir, cet hiver, une compagnie d'aviation privée et un industriel de l'emballage. C'est un bon début.