« L'Alsace veut être en pointe dans les usages numériques »

Par Propos recueillis par Olivier Mirguet  |   |  826  mots
Lilla Mérabet, présidente de la commission Innovation, Recherche et Enseignement supérieur au conseil régional d'Alsace
Faute d'entreprises leaders dans l'économie et les usages numériques, qui permettraient de rayonner naturellement au-delà de ses frontières, l'Alsace mise sur l'émergence de start-ups et sur des politiques sectorielles mieux coordonnées. La fusion prochaine avec la Lorraine et Champagne-Ardenne laisse entrevoir de nouvelles pistes de collaboration dans les politiques publiques. Entretien avec Lilla Mérabet, présidente de la commission Innovation, Recherche et Enseignement supérieur au conseil régional d'Alsace.

La Tribune - L'Alsace peine à promouvoir son écosystème numérique. Contrairement au Bade-Wurtemberg, votre voisin leader dans les usages numériques et l'usine 4.0, les atouts de votre région sont méconnus. Comment entendez-vous coordonner cette filière ?

L'Alsace veut être un territoire numérique avec des entreprises leaders et les activités de recherche qui vont avec. Neuf entreprises dont le fabricant de cuisines Salm, le fabricant de systèmes d'automatisation SEW Usocome et le laboratoire pharmaceutique Lilly se sont lancées dans l'Alsace Business Act. C'est un programme qui soutient une dynamique entre les usines qui utilisent les technologies en développement et ceux qui les conçoivent. Des coopérations inédites apparaissent déjà. Le projet Licorne, qui associe PSA, Clemessy, le CNRS et le centre de transfert de technologie Holo3, a été annoncé en septembre 2015. Il a reçu 3 millions d'euros de soutiens publics et vise à robotiser la pose des joints d'étanchéité dans l'automobile. Le procédé sera mis en oeuvre dès cet automne dans l'usine PSA de Mulhouse.

La Tribune - On parle ici de grands groupes. Comment entendez-vous emmener les PME vers le numérique ?

Le conseil régional doit être un facilitateur. On ne passe pas par des subventions. L'intervention se situe en amont : nous finançons des diagnostics sur l'idée de l'usine connectée, avec un expert présent en entreprise pendant trois à huit jours. Le budget sur ces diagnostics est inférieur à 300 000 euros. Dans les filières, nous soutenons des programmes d'accélération vers le marché. Le pôle de compétitivité Energivie, qui a fusionné cette année avec le pôle Fibres, s'adresse au marché sans fin de la rénovation des bâtiments. L'accompagnement politique consiste à jouer du lobbying pour améliorer les relations avec les instances de normalisation, comme le CSTB. Dans le pôle Biovalley, on met en place un programme d'accélération vers le marché sur les dispositifs médicaux implantés. On aide aussi l'ARIA, pôle agro-alimentaire, à passer le cap du numérique dans le but de favoriser les circuits courts. L'Alsace sera la première région française dans l'agro-alimentaire bio.

La Tribune - Les budgets publics sont-ils suffisants ?

Le problème, c'est que les budgets de recherche et développement sont trop contraints. Il n'y a plus d'argent pour la recherche et c'est un drame. L'objectif est d'atteindre 3 % du PIB en 2020, ce qui nous placerait un point au-dessus de la moyenne française actuelle. Le Plan Campus, doté localement de 375 millions d'euros, va permettre de déployer de nouveaux projets à Strasbourg. Le contrat de plan Etat-Région permet d'accompagner les bons choix d'investissements dans les laboratoires et les équipements. Le problème, c'est que nous n'aurons jamais la main sur les budgets de l'Agence nationale de recherche...

La Tribune - Quel est le poids de la filière numérique, stricto sensu ?

L'Alsace compte 1900 entreprises du numérique. Elles représentent 13 000 emplois, hors activités connexes. L'idée, c'est d'avoir un écosystème qui s'auto-nourrit. Le pôle de compétences Rhénatic s'est restructuré pour mieux poursuivre un objectif essentiel : chasser en meute.

La Tribune - Disposez-vous d'assez de lieux, en Alsace, pour accueillir de jeunes entreprises innovantes ?

L'incubateur Semia déménage cet automne, à Strasbourg, dans un bâtiment 1300 mètres carrés qui s'appellera L'Académie. Nous aurons deux fois plus de surface pour accueillir le start-ups, et nous serons à proximité directe de l'université. L'idée, c'est de récupérer des brevets issus de la recherche publique et d'en faire des entreprises. En installant l'agence Alsace Innovation sur le même site, on aura un écosystème complet pour un coût limité à 550 000 euros, somme investie dans ce bâtiment rénové. A Mulhouse, le projet KM0 ouvrira début 2016 dans une usine réhabilitée de 15 000 mètres carrés, orienté vers le cloud manufacturing. Des acteurs privés, comme PSA et Soprema, vont accompagner le mouvement. Elles prévoient, elles aussi, d'accueillir des start-ups.

La Tribune - Quelles seront les synergies avec la Lorraine et Champagne-Ardenne, au sein de la future région fusionnée, dans la recherche et l'innovation ?

Les synergies sont déjà là. Le pôle de compétitivité Energivie a fusionné avec le pôle Fibres, qui était déjà présent et actif en Lorraine. Nous avons deux territoires labellisés French Tech : la métropole Strasbourg-Mulhouse et le Sillon Lorrain. Dans la grande région, après les élections au mois de décembre, il va falloir rapprocher les synergies territoriales de part et d'autre des Vosges. Nous avons déjà voté un programme régional commun pour l'innovation, doté d'un budget de 20 millions d'euros. Alyatec, le premier projet soutenu, va permettre de créer une chambre d'exposition aux allergènes à l'Hôpital civil de Strasbourg, à des fins de recherche. Le projet suivant viendra de Lorraine.