Anne Hidalgo : "La ville inclusive, c'est la réponse aux défis du XXIe siècle"

Par Philippe Mabille, Dominique Pialot et Mathias Thépot  |   |  4160  mots
"C'est un plan global qui mêle stratégie urbaine, architecturale, environnementale et sociale. Il faut que toutes ces stratégies convergent, comme cela s'est vu à Medellín, une ville qui est un vrai modèle en la matière."
[ ENTRETIEN ] Pour la maire de Paris, il y a une prise de conscience mondiale selon laquelle les maires de grandes villes détiennent une partie des solutions aux grands défis de la mondialisation. Réchauffement climatique, bataille contre les inégalités... : l'enjeu est d'éviter que la ville ne soit « intelligente » que pour les plus privilégiés. Anne Hidalgo revient aussi sur les grands défis qui attendent Paris dans la compétition mondiale avec le Brexit. Avec la fermeture des voies sur berge, la Seine va devenir un « corridor écologique » assure-t-elle.

LA TRIBUNE - Un an après les attentats du 13 novembre à Paris, ce drame et la façon dont les Parisiens l'ont surmonté sont-ils selon vous l'un des symboles de cette résilience des villes dont vous voulez faire l'un des axes de votre action ?

ANNE HIDALGO - Le choc des attentats qui ont frappé en 2015 la capitale a été brutal et restera pour toujours inscrit dans la mémoire vive de notre ville. Nous ne pourrons jamais oublier nos morts et nos blessés, ces innocents frappés par une violence aveugle. Mais nous devons aussi saluer la réaction remarquable dont ont fait preuve les Parisiennes et les Parisiens à la suite de ces événements tragiques.

La solidarité et l'esprit d'entraide qui se sont manifestés pendant et après les attaques, celles de janvier comme celles du 13 novembre 2015, sont l'expression même de ce que signifie selon moi la résilience d'une ville. Spontanément, après un moment de stupeur et de sidération, les Parisiens ont montré leur attachement à leur ville et leur volonté de surmonter ensemble la douleur et la peine. Il n'y a pas eu de mot d'ordre : c'est une intelligence collective qui s'est manifestée pour montrer au monde que nous sommes toujours debout, que nous n'avons pas peur et que l'on ne nous empêchera pas de vivre, même si nous devons nous protéger.

Avec le mouvement « Tous en terrasse », lancé quelques jours après les attaques, les Parisiens ont réinvesti leur ville et ont refusé tous les amalgames contre les musulmans. Les Xe et le XIe arrondissements de Paris, cibles des terroristes, ont aussi été ceux où le vote Front national a été le plus faible de France, lors des élections régionales.

La résilience, c'est savoir ne pas se perdre, même quand le pire se produit, c'est la part d'humanité qui est en nous tous. Paris n'est pas la seule métropole à avoir montré cette force : La Nouvelle-Orléans après les inondations provoquées par le cyclone Katrina, New York après le 11 septembre 2001 ou après l'ouragan Sandy : les métropoles ont cette capacité extraordinaire à se relever par la force du collectif. C'est cela qui fait tenir ensemble la cité, et même qui fait « cité ».

Quand on est l'élue d'une ville qui a spontanément cette capacité, cela oblige. Dans la résilience, il y a une forme d'optimisme qui pousse à se relever ensemble pour regarder en avant. Lorsque le 12 mars 2015, j'ai proposé, deux mois après les attaques contre Charlie Hebdo et l'hyper cacher de Vincennes, à toutes les communautés, laïque et religieuses, de se réunir à l'Hôtel de Ville, toutes sont venues.

On a assisté par la suite à de formidables initiatives pour aider les autres : grâce au numérique, des plateformes ont été inventées, pour organiser le bénévolat, le soutien scolaire aux familles en difficulté, l'aide aux réfugiés. La prise de conscience de la fragilité de la ville a renforcé celle de la nécessaire solidarité, du vivre-ensemble. C'est pour cela que Cities for Life, le Sommet international des villes inclusives innovantes et résilientes, qui réunira autour de ces convictions partagées des villes du monde entier, est un moment historique.

Paris s'est relevée, mais les menaces demeurent et l'économie de la ville souffre...

Malgré la persistance des menaces, il faut continuer sans relâche à agir : pour relancer le tourisme, j'ai proposé avec mon adjoint Jean-François Martins un plan d'action commun à la Ville, l'État et la Région ; pour lutter contre la tentation du repli sur soi, j'ai mis en place avec mes adjoints Dominique Versini et Ian Brossat un centre d'accueil pour les réfugiés, car une ville comme Paris se doit d'accueillir les migrants avec dignité.

La ville inclusive, c'est la solution aux défis du XXIe siècle. Dans nos villes cohabitent des populations très variées : les créatifs cosmopolites qui profitent de la mondialisation ; des populations fragiles qui viennent en ville pour y trouver un refuge et des ressources qui n'existent pas en dehors ; et il y a les classes moyennes, les employés des services publics comme du secteur privé, qui font fonctionner la ville. Il faut tenir les équilibres, s'assurer que tous peuvent vivre ensemble.

Une ville qui va bien s'appuie sur la diversité de ses habitants. Les populations fragiles sont résilientes par nature : c'est une force, car elles sont souvent à l'origine de grandes innovations sociales.

On observe une convergence de tous les grands défis mondiaux dans les villes : lutter contre le changement climatique, combattre les inégalités, c'est une responsabilité commune des grandes métropoles. Qu'en dit la présidente du C40?

Au sein du C40, qui rassemble les 85 plus grandes métropoles du monde, je constate une accélération de la convergence dont vous parlez. Entre la lutte contre le dérèglement climatique et la lutte contre les inégalités, il y a un lien évident, en particulier dans les grandes villes qui concentrent à la fois les problèmes et leurs solutions.

C'est une prise de conscience mondiale que j'ai observée pendant la COP21 en rassemblant à Paris 1000 maires du monde et qui s'est confirmée à Quito lors de la conférence Habitat III, qui a mis l'accent sur les enjeux d'inclusion sociale et de résilience.

Le Sommet des villes pour le climat, que j'ai organisé l'an dernier avec l'ancien maire de New York Michael Bloomberg, a montré que l'on pouvait dépasser, à l'échelon local, les divergences que l'on observe entre pays du Nord et pays du Sud, pour agir contre le dérèglement climatique. Là où les États peinent parfois à se mettre d'accord sur des objectifs d'émission de CO2, les villes ont une approche pragmatique et proposent des réponses concrètes.

Plusieurs grandes fondations et organisations internationales comme la Fondation Rockefeller, la Fondation Ford, l'OCDE ont fait le même constat. Les villes sont le bon niveau, la bonne échelle pour agir, pour réaliser la transition énergétique et lutter contre les inégalités. Nous, les maires de grandes villes, nous sommes retrouvés sur la conviction qu'il fallait travailler ensemble pour définir et mettre en oeuvre un plan global et cohérent. Ce sera le sens de l'appel à l'action qui clôturera la première journée de Cities for Life, le lundi 21 novembre.

Quelles en seront les grandes lignes ?

Il ne faut pas considérer chaque problème indépendamment des autres, mais au contraire faire converger les agendas. C'est un plan global qui mêle stratégie urbaine, architecturale, environnementale et sociale. Il faut que toutes ces stratégies convergent, comme cela s'est vu à Medellín, une ville qui est un vrai modèle en la matière. Medellín a réussi à résoudre son immense problème de criminalité grâce à l'innovation sociale et en désenclavant ses quartiers défavorisés. Elle témoigne du fait qu'une ville peut sortir de la violence par l'inclusion.

Pour porter une telle stratégie, il faut bien sûr avoir une vision à long terme, car rien ne peut se faire à l'échelle d'une métropole sans la durée. À Paris, cela fait quinze ans qu'une majorité municipale progressiste a donné de la stabilité politique à ce territoire, pour tenir les engagements pris : mieux circuler, mieux respirer, mieux vivre ensemble, tout en assurant le développement économique.

Sur la transition énergétique, que fait Paris, ville de la COP21 ?

En tant que ville hôte de la COP21, Paris a une responsabilité particulière. Elle se doit d'être exemplaire et de donner l'impulsion. C'est ce que nous n'avons eu de cesse de faire ces douze derniers mois. Mes adjoints Célia Blauel et Ian Brossat ont lancé le plan Eco-rénovons Paris, qui a pour objectif la rénovation thermique de 1000 immeubles privés. Nous avons déployé plus de 700 bornes de recharge pour les véhicules électriques sur notre territoire et sommes passés à la deuxième étape de notre plan de restriction de circulation pour les véhicules les plus polluants. Nous avons aussi doté plusieurs piscines de dispositifs innovants de production de chaleur, qui utilisent l'eau des égouts ou les émissions de chaleur de data center. Nous avons conduit, sous l'impulsion de mon adjointe Pénélope Komitès, les appels à projets Parisculteurs, qui vont permettre de végétaliser 5,5 hectares supplémentaires dans Paris... Tout cela constitue un véritable choix de société. Et la question de l'inclusion est au coeur de notre action : avec mon équipe, nous nous assurons que tous peuvent profiter de cette transition.

Au passage, permettez-moi de souligner que la plupart des grandes villes du monde ont élu des maires progressistes. Et que ces maires échangent régulièrement entre eux autour des meilleures pratiques pour parvenir à des objectifs communs pour conjuguer une action durable pour le climat, avec le développement d'une société harmonieuse où la valeur cardinale est de pouvoir partager les ressources publiques.

Quelles seront vos priorités à la tête du C40 ?

Je souhaite le conduire vers une plus grande ouverture au Sud. Les grandes villes africaines, comme Dakar - dont le maire participe au sommet des Villes pour tous - ou Abidjan, ont beaucoup à partager sur les enjeux de résilience et d'inclusion.

J'ai aussi le souhait que le C40 parvienne à mieux mobiliser l'investissement privé. Car aujourd'hui, 70 % de l'investissement dans la transition énergétique et la mobilité sont le fait de l'investissement public. Une plus grande part de la finance privée doit être orientée vers la transition énergétique, même s'il y a aussi un besoin de cadres juridiques institutionnels, par exemple pour concrétiser l'accord de Paris.

La lutte contre le dérèglement climatique est le plus grand défi que nous ayons à relever. Pas seulement par humanisme, altruisme ou conviction écologique, mais aussi par ambition économique. Car elle ouvre des opportunités : de nouveaux marchés, de nouvelles activités liées aux nouvelles façons de se transporter ou de se loger. Elle est en cela créatrice de richesses et d'emplois.

Certains acteurs du secteur privé en ont déjà pris conscience, ils ont compris l'intérêt et y viennent spontanément. Mais le secteur de la finance doit s'orienter encore davantage vers ces thématiques. Je lui adresse un message : les villes sont un accélérateur et constituent un environnement sécurisé pour ces investissements.

Le Brexit est-il une occasion pour attirer plus d'investissements, hier concentrés à Londres ?

Avec la Grande-Bretagne hors de l'Europe, la question du leadership des places financières européennes se pose. À ce titre, j'ai soutenu avec mon adjoint Jean-Louis Missika les initiatives post-Brexit initiées par Paris Europlace, et en particulier par son président Gérard Mestrallet, pour que Paris devienne la place financière européenne.

Je pense qu'il faut orienter cette ambition vers un point fort de Paris : la finance verte. Je veux que notre ville devienne la place qui va permettre l'accélération de la transition énergétique. Nous sommes déjà très bien positionnés dans ce domaine, grâce à la présence en France de toutes les grandes entreprises les plus innovantes dans les secteurs de l'énergie, de l'eau, des déchets ou du bâtiment.

En parallèle, je discute avec Sadiq Khan pour renforcer les coopérations entre Paris et Londres. Face à la complexité des situations que connaissent les entreprises londoniennes, réfléchir sur un mode binaire du leave ou du remain n'est pas suffisant. Je crois beaucoup à l'idée de la bidomiciliation, qui permettrait aux entreprises londoniennes qui le souhaitent de rester en Grande-Bretagne tout en ayant un pied à Paris, et donc dans le marché européen. Station F, le plus grand incubateur d'Europe lancé par Xavier Niel à la Halle Freyssinet, est déjà engagé dans cette idée.

Paris peut-elle être une ville plus attractive dans un contexte de concurrence internationale, sans exclure socialement ? À Londres par exemple, une ville très prisée des investisseurs, les habitants ont subi une très forte inflation immobilière, entre 2011 et 2015...

Sur le logement, Paris et Londres ont suivi ces dernières années des trajectoires très différentes. Les Londoniens ont effectivement subi l'aggravation de l'inflation immobilière, et beaucoup ne peuvent tout simplement plus vivre à Londres. C'est d'ailleurs en partie sur ce thème que le nouveau maire progressiste de Londres, Sadiq Khan, a été élu.

À Paris, depuis 2001, nous avons au contraire engagé une politique de production de logements sociaux [de 13 % en 2001, la part de logements sociaux à Paris est désormais proche de 20 %, ndlr]. Cette offre permet aux classes moyennes et aux familles de s'installer et de vivre dans la capitale. C'est un choix politique de notre majorité qui nous est d'ailleurs fortement reproché par l'opposition de droite qui souhaiterait laisser opérer le seul marché dans le secteur du logement. Mais ce serait à notre sens une erreur au regard de la sociologie de la ville, qui se caractérise par une diversité importante. Par ailleurs, l'émergence de la métropole du Grand Paris sera prépondérante pour desserrer l'étau sur le marché du logement parisien, et développer l'offre de façon plus harmonieuse sur le territoire métropolitain.

L'encadrement des loyers est aussi une mesure importante, censée redonner du pouvoir d'achat aux classes moyennes vivant dans la capitale...

Je crois profondément à l'encadrement des loyers. À mon sens, il faut même faire en sorte que cette mesure profite à davantage de zones tendues, et surtout qu'elle soit maintenue, quel que soit le résultat de l'élection présidentielle de 2017 ! En même temps, nous ne voulons pas brider l'investissement locatif. C'est pourquoi nous avons engagé en parallèle un travail avec le secteur immobilier et les propriétaires, et mis en place un dispositif incitatif nommé « Multiloc' », qui intéresse financièrement les agences immobilières et les propriétaires à remettre leurs logements sur le marché.

On parle aussi du risque d'« invasion Airbnb », ce site de locations saisonnières touristiques, qui pourrait vider de ses habitants des quartiers entiers de la ville. On serait là bien loin de la ville inclusive...

Effectivement, sous certains aspects, Airbnb a des effets anti-inclusifs. Nous avons étudié avec attention ce phénomène, qui relevait pourtant à l'origine de l'économie du partage. Louer une fois de temps en temps sa chambre ou son appartement pour un week-end, c'est très bien. Cela permet de s'ouvrir sur le monde, tout en bénéficiant d'un petit complément utile de revenus pour boucler les fins de mois. Mais quand Airbnb devient aussi un marché juteux pour des propriétaires qui agissent en professionnels sur le marché de la location saisonnière, cela réduit l'offre de logements d'habitation, fait monter les prix du mètre carré, et transforme complètement la vie des quartiers. Nous ne voulons pas que Paris devienne comme Venise. Et que l'on ne vienne pas nous expliquer, au nom de je ne sais quelle liberté, qu'il ne faudrait pas réguler ce marché...

Est-il possible de réguler davantage cette économie nouvelle ?

Nous avons obtenu des avancées de la part d'Airbnb : la collecte d'une taxe de séjour, qui est une mesure d'équité vis-à-vis du secteur hôtelier [Paris aimerait d'ailleurs que la loi de finances 2017 permette une hausse de cette taxe], ou encore une information renforcée aux utilisateurs de cette plateforme pour qu'ils aient conscience de leurs obligations légales.

D'un point de vue réglementaire, nous avons considérablement durci le cadre de création d'un meublé touristique, avec des mesures de compensation plus contraignantes qu'auparavant. Mais sans être aussi sévères que Berlin ou New York, car nous admettons qu'en dessous de quatre mois par an - un laps de temps correspondant aux vacances scolaires - un propriétaire peut louer son appartement librement.

Sur ce sujet, je veux rappeler que l'économie du partage doit s'appliquer un principe de transparence vis-à-vis des régimes fiscaux et sociaux. Nous ne pourrions pas accepter que ce type de plateforme donne lieu à une économie souterraine, qui échapperait à l'impôt.

Ce problème concerne la plupart des métropoles mondiales...

Nous avons très vite compris que nous ne pourrions pas fonctionner avec d'un côté des villes très libérales vis-à-vis de cette économie, et de l'autre, des villes plus coercitives. Cela aurait généré une concurrence malsaine. Heureusement, entre grandes villes mondiales, nous partageons nos actions. Nous sommes très connectés sur ce sujet avec les autres maires, car nous savons que pour faire des villes inclusives, certains choix politiques doivent converger.

Une ville inclusive ne se caractérise pas que par sa politique de logement, même si ce secteur est celui qui pèse le plus sur le budget des ménages...

Il faut agir sur tous les leviers. En matière de politique familiale par exemple, nous devons jouer un rôle important pour inclure le plus possible. Paris est le premier département de France en matière d'offres d'accueil pour la petite enfance : 50 % des demandes sont satisfaites, contre 19 % en moyenne dans l'Hexagone. Nous nous attelons à développer un large service de gardes de jeunes enfants sur ce marché qui est très tendu, tout comme nous maintenons une politique tarifaire favorable dans les cantines scolaires. La réforme des rythmes éducatifs a aussi eu un vrai rôle en matière d'égalité des enfants et des familles. Nous faisons par ailleurs des efforts en matière de solidarité : donner accès à l'éducation et à la culture pour tous, prendre en compte la situation des personnes âgées. À Paris, chacun peut bénéficier d'une offre culturelle et de loisirs de qualité. C'est pour cette haute qualité de services publics que les familles sont attachées à la capitale, qu'elles sont chaque année plus nombreuses à y emménager et qu'elles souhaitent y rester.

La fermeture des voies sur berge rive droite a fait beaucoup de remous. L'opposition vous accuse de vouloir fermer Paris aux voitures ?

On observe sur ce sujet un mouvement général. À Stockholm, Bruxelles, Londres, New York, Bogotá, Séoul, sur tous les continents, les grandes villes cherchent à faire baisser le trafic automobile. Quand j'entends la droite parisienne affirmer sans rire que moins il y a de voitures, plus il y a de pollution, je me demande de quel côté sont les idéologues...

Les leviers pour agir sont les mêmes partout : il faut développer les alternatives, puis pincer les entrées de villes et de centre-ville, pour les réserver aux circulations douces (bicyclettes, transports en commun propres, voies dédiées aux véhicules électriques...). Les résistances sont toujours les mêmes, mais je me réjouis de voir la majorité des Parisiens - et plus encore les Parisiennes - nous dire à quel point elle est satisfaite de ces mesures.

Sur les sujets de la pollution de l'air et du climat, nous sommes au pied du mur. Y compris à Paris. Même avec une hausse des températures limitée à 2 °C, nous n'y arriverons pas sans créer des puits de carbone et aménager les bords de Seine, cela fait partie des mesures d'adaptation de la ville.

Le fait que la Région, à travers le STIF (Syndicat des transports d'Île-de-France), qui gère les transports en commun, soit d'une autre majorité politique ne constitue-t-il pas un obstacle pour coordonner l'amélioration de l'offre de transports alternatifs, et diminuer le recours à la voiture individuelle ?

Je ne comprends pas l'attitude de la Région. Je le dis à Valérie Pécresse : arrêtons d'opposer Paris à sa banlieue. La Ville de Paris verse 383 millions d'euros au STIF chaque année, dont 100 millions d'euros de péréquation pure. Paris a financé presque seule la première ligne de tramway, alors que plus de 50 % de la fréquentation des tramways est le fait des Franciliens. Paris a été à l'initiative, avec le secteur privé mais là encore sans la Région, de dispositifs tels que Vélib', avec des vélos bientôt électriques et étendus à l'échelle de la Métropole, ou encore d'Autolib', qui est déjà métropolitain et s'étend à présent à plusieurs communes de grande couronne. Paris contribue à l'extension de la ligne 11 et d'Éole. Et avec le Grand Paris des transports, on va ouvrir la ville au-delà de la frontière du périphérique, pour tous les Franciliens.

La Région serait donc plus sage et plus visionnaire de se concentrer sur la promotion de transports efficaces à l'échelle métropolitaine et régionale. Au lieu de se focaliser sur 3,3 kilomètres de voirie parisienne [la portion des voies sur berges rive droite récemment fermée], elle devrait se rappeler que sa mission est d'assurer un transport public de qualité pour tous les Franciliens.

Et qu'on ne dise pas que la décision de fermer les voies sur berges n'a pas été anticipée. Nous en parlons depuis 2001 ! Nous l'avons accompagnée par des mesures incitatives en faveur de l'autopartage, de l'usage du vélo, de l'aide à l'achat de véhicules électriques... Nous avons débloqué des aides conséquentes, cumulables avec celles de l'État, qui ne sont pas réservées aux Parisiens, mais aussi ouvertes aux artisans et entrepreneurs de petite couronne qui travaillent à Paris.

Nous avons pris des mesures fortes d'interdiction du diesel à partir de 2020, mais en même temps des mesures d'incitation en faveur des véhicules électriques, telle que la gratuité du stationnement.

Tout cela est mené de façon pragmatique. Nous ne sommes pas des idéologues. Il ne s'agit pas de supprimer complètement la voiture : nous n'avons pas de souci avec les voitures électriques et nous sommes bien conscients qu'il y aura toujours besoin de véhicules de livraison. Mais je le dis haut et clair : le lobby du diesel sera un jour confronté à ses responsabilités, y compris pénales. Car la pollution tue, nous le savons aujourd'hui.

Avez-vous déjà des résultats de la fermeture de la rive droite sur le plan de l'air et de l'environnement, mais aussi sur le report du trafic sur d'autres axes de circulation ?

Nous pouvons d'abord nous fonder sur les résultats de la rive gauche, piétonne depuis trois ans. Les mesures effectuées y démontrent une baisse de 15 % en moyenne du dioxyde d'azote dans l'air. Sur la circulation, cela n'a pas provoqué de congestion particulière. Pour la rive droite, l'étude d'impact - dont le sérieux et l'objectivité ont été rappelés par la justice mi-novembre

- prévoyait que le temps de trajet soit accru de 8 à 10 minutes. Dans la pratique, si l'on regarde les premiers relevés effectués en octobre, c'est même moins.

Avec mon adjoint Christophe Najdovski, nous travaillons à fluidifier le boulevard Saint Germain : nous y constatons beaucoup de stationnements en double file, qui ralentissent la circulation. Nous allons donc réserver les places de stationnement aux professionnels, aux livreurs, aux artisans et commerçants, ainsi qu'aux véhicules en autopartage.

D'ici à quelques mois, je ne doute pas qu'une vision commune finira par être partagée sur la question des voies sur berge rive droite, comme ce fut le cas, finalement pour la rive gauche. Nous venons de créer un formidable corridor écologique, un grand parc naturel au milieu de la ville. La végétalisation et la création d'activités de loisirs permettront aux Parisiens de se réapproprier leur fleuve. Quoi de plus rassembleur ?

Avez-vous des projets pour développer les transports sur la Seine ?

Bien sûr ! Certes, l'expérience Vogueo conduite par le STIF n'a pas été un succès, mais on aurait dit qu'elle avait été montée pour que cela ne fonctionne pas. Avec Patrick Ollier, le président de la Métropole, nous souhaitons que cela soit relancé. Je partage avec lui beaucoup de convictions à ce sujet et il a écrit à Valérie Pécresse pour la sensibiliser. Enfin, d'ici le printemps, des Sea Bubbles [des bateaux électriques sur patin volant sur l'eau], une invention du navigateur Alain Thébault, vont faire leur apparition sur la Seine. Je suis heureuse d'avoir été l'une des premières à soutenir ce projet et d'avoir proposé que ces véhicules sans émission polluante soient expérimentés à Paris plutôt qu'ailleurs. Les Sea Bubbles sont un très bel exemple de notre capacité à imaginer et à concevoir les mobilités de demain.

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Propos recueillis par Philippe Mabille, Dominique Pialot et Mathias Thépot