Notre-Dame-des-Landes : pour la ville de Nantes, l'heure est au rebond

Par Frédéric Thual, à Nantes  |   |  1590  mots
(Crédits : © Stephane Mahe / Reuters)
Au lendemain de l’annonce du Premier ministre Édouard Philippe d’abandonner le projet d’aéroport à Notre Dame des Landes, les acteurs politiques et économiques de la métropole nantaise et de la région se rencontrent, se serrent les coudes et cherchent à rebondir pour éviter un enclavement de l’Ouest, et préserver attractivité et compétitivité du territoire.

La colère passée, le temps est au rebond.

« L'heure n'est plus à refaire le match. Nous avons la volonté d'aller de l'avant. Maintenant, la question est de savoir si en abandonnant ce projet, l'État abandonne le Grand Ouest ? Et le sujet dépasse largement une simple logique de compensation », affirme Johanna Rolland, maire de Nantes et présidente de la métropole nantaise, à qui le Premier ministre aurait indiqué, avant d'annoncer officiellement sa décision, « se tenir à sa disposition. »

L'engagement est pour le moins mesuré. D'autant que la décision d'abandonner le projet de transfert de l'aéroport sur le site de Notre Dame des Landes intervient après « l'abandon de l'autoroute A 831, la dégradation des liaisons TGV entre Nantes et Paris, le non-respect des engagements de l'État à l'égard du grand port maritime Nantes-Saint-Nazaire, des retards de financement sur les opérations ferroviaires figurant dans le contrat de Plan Etat-Région.... » égrène Christelle Morançais, présidente de la région des Pays de la Loire qui, dans un courrier adressé à Emmanuel Macron, demande à rencontrer le Président la République et  la signature d'un contrat d'avenir pour « définir très précisément les compensations mises en œuvre pour garantir la réalisation d'infrastructures indispensables au développement du territoire.»

Ce « coup de poignard » est d'autant plus mal vécu qu'aussi bien Nantes, que Rennes et plus largement la région des Pays de la Loire affichent les taux de chômage les plus bas de France, que le projet d'aéroport constituait l'un des axes majeurs du développement d'un territoire, excentré en Europe. Tous les indicateurs étaient au vert selon un récent rapport de la Banque France.

Un trafic aéroportuaire en croissance de 15%

 Au regard des idées évoquées par le Premier ministre, «Vouloir faire passer les Nantais et Rennais par Roissy relève d'une vision très jacobine du développement du territoire », déplore Johanna Rolland. L'allègement du trafic aérien nantais au profit de l'aéroport rennais évoqué par Édouard Philippe laisse perplexe quand la Maire de Rennes prévient que le bout de la piste est déjà bloqué par la rivière, la Vilaine, et que le site ne pourra donc guère aller au-delà de 1,5 million de passagers, soit le double du trafic actuel.

« Nous étions à 5 millions de passagers en 2017, nous serons à 6 millions en 2019. Nous n'avons plus le temps d'attendre et aucune des décisions annoncées par le Premier ministre ne permettra de faire face à l'enjeu immédiat de développement de notre territoire », regrette Jean-François Gendron, président de la CCI Pays de la Loire.

Vinci qui vient de publier les derniers chiffres de fréquentation indique un trafic de 5,5 millions de passagers, soit 700.000 de plus que l'année précédente. Avec une progression de 14,9% (9,4% au niveau national), c'est la plus forte croissance des aéroports gérés par le groupe en 2017.

Une nouvelle donne

« Nous sommes, maintenant, face à une nouvelle donne. Si notre volonté et notre projet de territoire ne sont pas remis en cause, nous allons devoir adapter notre stratégie et créer les conditions du rebond. Car, nombre de questions restent en suspens. Il y a toujours 480.000, et demain 60.000 personnes, souffrant du bruit du au survol des avions. Que deviennent les 5.000 emplois projetés sur le pôle industriel voisin de l'IRT Jules Verne ? Comment se connecter au hub européen ? Quelle stratégie ferroviaire ? Quel réaménagement du site actuel de Nantes Atlantique dont certains semblent aujourd'hui découvrir une complexité plus importante que celle évoquée par le rapport des médiateurs... », observe Johanna Rolland.

Ces derniers évoquaient neuf semaines de fermeture quand la DGAC (Direction générale de l'Aviation civile) parlerait de six à huit mois, hors études et chantier qui devraient s'étaler bien au-delà des deux ans estimés. Selon le rapport des médiateurs, le montant des travaux nécessaires à cette reconfiguration atteindrait de 380 à 510 millions d'euros, selon les options choisies. Vinci, le gestionnaire du site, ne s'est pour l'heure pas avancé sur le sujet.

« Mais il est probable qu'il faille rediscuter des conditions de la concession entre l'État et Vinci », reconnait Nicole Klein, Préfète de la région des Pays de la Loire.

« Quant à l'aménagement du territoire, la balle est dans le camp des collectivités », résume-t-elle.

Des réunions en série pour plus d'accessibilité

Sans plus attendre, la présidente de Nantes Métropole a réuni les maires de communes de l'agglomération. Dès demain, elle rencontrera les acteurs de l'économie et de l'enseignement supérieur et de la recherche.

« Nous avons fait reposer tous nos projets sur la perspective d'avoir une infrastructure à la hauteur de nos ambitions pour le territoire. Nous devons repenser tout notre projet régional. Et je ne sais plus comment nous arriverons à convaincre des entrepreneurs de venir ou de rester », redoute le président de la CCI Pays de la Loire, dont l'ordre du jour de l'assemblée générale vient d'être bouleversé pour organiser un brainstorming avec plus de quatre-vingts chefs d'entreprises.

Objectif : dresser la liste des infrastructures nécessaires à une meilleure accessibilité de l'actuel site aéroportuaire de Nantes Atlantique et au désenclavement de l'Ouest de la France. Parmi les priorités retenues : un nouveau franchissement de la Loire, l'optimisation du périphérique, la mise à deux fois trois voies de la RN 165 entre Nantes et Saint-Nazaire, une meilleure interconnexion ferroviaire du TGV au Sud de l'île de France pour accéder plus facilement aux aéroports parisiens, la mise en œuvre d'une ligne à grande vitesse entre Rennes et Nantes ou plus original « expérimenter le train du futur Hyperloop entre les deux capitales régionales » .

Au niveau maritime, les chefs d'entreprise et les représentants du port attendent des signaux forts en direction du Grand Port Maritime de Nantes St-Nazaire, dont l'avenir est aujourd'hui en suspens suite à de récentes prises de positions et décisions de l'État. En limitant sa dotation, celui-ci avait provoqué une levée de boucliers des représentants des collectivités locales, qui en novembre dernier, ont refusé de voter le budget du port. Résultat, les investissements réalisés en 2018 doivent être avalisés chaque mois. Les griefs contre l'État s'accumulent. Chacun y va de ses propositions. Jusqu'aux écologistes des Pays de la Loire et de Bretagne qui après s'être mobilisés contre le transfert de l'aéroport entendent bien peser sur les réflexions touchant à la mobilité dans le Grand Ouest, l'avenir de Notre-Dame-des-Landes, et la nouvelle situation politique dans les collectivités.

La concurrence des métropoles

« J'ai la chance de diriger une région dynamique et attractive, qui n'a pas été ralentie par une fusion, mais aujourd'hui, la concurrence est forte entre les métropoles. La première chose que regarde un chef d'entreprise qui souhaite implanter un siège ou une usine sur un territoire, c'est la qualité des infrastructures à sa disposition. Pour ceux qui sont implantés dans la région, passer par Paris pour rallier une capitale européenne est une perte de temps, une source de fatigue et de stress», indique Christelle Morançais, qui multiplie les rencontres avec les élus des cinq départements, les grandes villes de la région et les groupes politiques pour enrichir et détailler son « contrat d'avenir » proposé à Emmanuel Macron.

En dépit de chefs d'entreprises vendéens qui se félicitaient du réaménagement du site de Nantes Atlantique, plus proche de leur terre, la mobilisation est générale pour s'affranchir de cette décision vécue comme « une trahison ».

Une Zad agricole et évacuée

Quant à l'avenir de la ZAD, les avis sont partagés. La CCI Nantes St-Nazaire propose d'en faire, « en lien avec tous les acteurs potentiellement concernés, un projet expérimental en matière de développement durable (énergie, agriculture, circuits courts, etc.) ».

Pour Nicole Klein, préfète des Pays de la Loire, la priorité est de rendre l'accès à la ZAD et la liberté de circulation sur la route départementale RD 281, symbole du retour à l'Etat de droit sur la zone. Celle-ci est désormais contrôlée par les services de gendarmerie pour éviter le transport de produits dangereux. Cette voie avait été fermée par un arrêté départemental pris suite à l'opération César, menée en 2012, qui visait à déloger les occupants de la ZAD.

Pour l'heure, le président du Conseil Départemental indique que l'état de la chaussée ne permet pas une remise en circulation sécurisée... La représentante du gouvernement a, en tout cas, promis d'aller le vérifier sur place en milieu de semaine prochaine. D'ici la fin mars, date retenue pour mener d'éventuelles expulsions, des médiations devraient avoir lieu avec les occupants de la ZAD, dont il serait question qu'elle ait une vocation agricole. Une grande partie des terrains détenus par l'État pourrait être redistribuée selon les projets proposés.

« L'État ne gardera pas les terres. Nous réfléchissons à un dispositif. Certains zadistes ont envie de rentrer dans l'État de droit. Nous parlerons avec ceux qui le veulent bien pour qu'ils soient dans la légalité. Les autres, les occupants sans titre seront expulsés.»

 Ce que réclame au plus vite la région.