"On est en train de crever et personne ne bouge" : dans les Bouches-du-Rhône, la détresse des kiosquiers

Par Olivier Lucazeau, AFP  |   |  671  mots
"Tous les voyants sont au rouge" pour les diffuseurs du département, alerte Culture Presse, l'association représentative de la profession. (Crédits : Reuters)
Depuis la liquidation mi-mai des filiales en province de Presstalis, les 280 kiosquiers et marchands de journaux des Bouches-du-Rhône, privés des titres nationaux, sont aux abois.

"On est en train de crever et personne ne bouge": si quelques kiosquiers marseillais ont enfin réussi à contourner le blocage né du dépôt de bilan du distributeur Presstalis, la plupart sont aux abois, après quatre mois sans quotidiens nationaux.

Depuis la liquidation de la SAD et la Soprocom, ses filiales en province, mi-mai, Presstalis (désormais France Messagerie) a remis sur les rails son système de distribution. Sauf dans les Bouches-du-Rhône.

"Il me vient une idée: Le Monde ne devrait-il être rebaptisé le Francilien?", s'insurge un lecteur marseillais, dans un courrier à son journal préféré qu'a consulté l'AFP. "Ce que le coronavirus n'avait pas réussi à faire, la déconfiture de Presstalis l'a fait", ironise un autre habitué du journal, abonné depuis 1966.

Privés des titres nationaux depuis le 12 mai, les 280 kiosquiers et marchands de journaux des Bouches-du-Rhône sont victimes d'"un déni de démocratie", dénonçait le 31 août Culture Presse, l'association représentative de la profession, en stigmatisant "les blocages de la CGT et des salariés ex-SAD".

"Si nous occupons notre dépôt [à Marseille], c'est seulement pour protéger le matériel", rétorque Maxime Picard, de la CGT. Officiellement licenciés depuis la liquidation de leur entreprise, les ex-SAD veulent reprendre leur activité sous la forme d'une SCIC (Société coopérative d'intérêt collectif).

Mais ce projet, qui vise à réembaucher 80 des 130 salariés, bute sur plusieurs écueils. D'abord les garanties demandées par le propriétaire du dépôt, qui veut récupérer le site au 31 décembre. Et ensuite le périmètre de la future entreprise. Pour assurer la viabilité économique de leur projet, les ex-SAD revendiquent les quatre "mandats" qu'ils assuraient, sur Avignon (Vaucluse), Marseille, Toulon (Var) et Fréjus (Var). Mais France Messagerie a déjà réattribué les zones d'Avignon et Fréjus, et les négociations patinent.

"Une petite bulle d'air"

En attendant, "tous les voyants sont au rouge" pour les diffuseurs du département, insiste Culture Presse.

Le premier coup de main est venu des collègues de la zone de Toulon, où la distribution a repris, au ralenti, depuis Fréjus: "Depuis trois mois on a travaillé à un plan de secours, pour leur donner une petite bulle d'air", explique Michel Brunet, porte-parole du collectif de défense des diffuseurs de presse, à Sanary-sur-Mer (Var).

Depuis l'imprimerie, des journaux sont livrés à La Ciotat (Bouches-du-Rhône), chez un marchand de presse local. Et une vingtaine de diffuseurs marseillais viennent directement se servir.

L'Équipe d'abord, depuis le 27 août. Puis Aujourd'hui en France, mercredi, en même temps que le Canard Enchaîné et Le Monde: en attendant "Libé" et Les Échos, toujours introuvables, les quotidiens nationaux ont commencé à revenir dans la deuxième ville de France, au compte-gouttes. Le Figaro lui avait déjà retrouvé les rayons marseillais, en contournant l'obstacle via un transporteur privé.

"À Marseille, un jour sans L'Équipe, c'était comme un jour sans pain", sourit Michel Brunet, qui veut maintenant mettre en place un point de collecte sur Aix-en-Provence, pour 14 diffuseurs locaux, puis un autre à Marseille, "pour les collègues du centre-ville".

Dans son kiosque du cours Pierre-Puget, où il officie depuis dix ans, Laurent Rossé est toujours au régime sec. Et il ne comprend pas le silence des autorités et des éditeurs.

"La discrétion de la presse sur le sujet s'explique par notre volonté de ne pas jeter d'huile sur le feu", expliquait Le Monde à ses lecteurs durant l'été: "Mais nous regrettons comme vous cette situation qui met en danger les diffuseurs".

Quant à l'aide de 3.000 euros promise par décret aux diffuseurs de presse de Marseille, elle fait sourire Richard Benvenuto, à La Ciotat: "C'est un pourboire, avec un chiffre d'affaires divisé par dix", lâche-t-il, se disant incapable de comprendre pourquoi, après quatre mois de conflit, "personne ne veut négocier quoi que ce soit": "Le crime profite bien à quelqu'un, mais à qui ?"