Le modèle Wikipedia aurait-il atteint ses limites ?

Par latribune.fr  |   |  937  mots
Jimmy Wales, le fondateur de Wikipédia, veut plus de diversité parmi les contributeurs de l'encyclopédie libre.
Le nombre de rédacteurs/éditeurs de Wikipedia a chuté de plus de 20% toutes langues confondues depuis 2007. Le site souffre d'un manque de diversité et de difficultés d'accès pour les néophytes. Le signe que le modèle atteint ses limites ?

"L'encyclopédie libre", clame en français le slogan de Wikipedia. Mais est-elle si libre qu'elle le prétend ? Certaines causes de la baisse constante du nombre de ses contributeurs actifs dans le monde puis 2007 permettent d'en douter.

20% de contributeurs en moins dans le monde

Cette chute du nombre de bénévoles impliqués dans le projet lancé en 2001 par un ancien trader Jimmy Wales et un docteur en philosophie, Larry Sanger, a été  mise en évidence dans une étude menée par trois universités américains (Minnesota, Berkeley et Washington) ainsi qu'un article de la revue du MIT publiée le 22 octobre.

Toutes langues confondues, le nombre de contributeurs actifs - qui ont rédigé ou amendé des articles au moins cinq fois au cours du mois précédent -  a chuté de 20% entre le pic de 2007 et août 2013 - les dernières données disponibles. La baisse est encore plus forte pour les contributeurs anglophones : près de 40% sur cette même période. La langue de Shakespeare reste la plus utilisée sur le sixième site le plus visité au monde avec 4,4 millions d'articles sur 23 millions en tout.

Le plus grand défi, c'est la diversité

Aux yeux du co-fondateur, Jimmy Wales, cité par l'article du MIT : "le plus grand défi, c'est la diversité des contributeurs". Par exemple, la très large majorité d'entre eux sont des hommes. Moins de 15% de ses contributeurs sont des femmes selon une enquête de l'université des nations unies datant de 2010.

Le manque de diversité se ressent également dans les sujets traités : ceux concernant la géographie par exemple évoquent majoritairement l'Europe et l'Amérique du Nord, et il y a davantage d'articles sur l'Antarctique sur les pays d'Afrique ! "Nous espérons faire grossir le nombre de contributeurs sur les sujets qui en ont le plus besoin", précise Jimmy Wales qui regrette le déséquilibre sur certains sujets. Il note ainsi une profusion dans les domaines technologique et une faiblesse en littérature et en sociologie… Le signe que les contributeurs sont bien davantage des "geeks fans d'informatique que des geeks tout court", autrement dit des passionnés suffisamment cultivés sur un sujet précis pour résumer leurs connaissances dans un article encyclopédique.

Du temps, de la technique et beaucoup de patience

Problème : ces passionnés, il faut non seulement les convaincre de passer du temps sur le site - le "wikipedien de base" y passe en moyenne une heure par jour - mais il faut en plus leur apprendre les règles complexes qui régissent son organisation. Le tout sans être rémunéré bien sûr puisque la philosophie du site prône la gratuité de la connaissance. 

Or, justement, les arcanes de Wikipedia sont bien difficiles à déchiffrer pour les néophytes. Il faut d'abord comprendre sa "bureaucratie" qui comprend plusieurs échelons d'administrateurs élus par leurs pairs et qui disposent du droit de supprimer ou non des articles et peuvent bannir des contributeurs. Il faut ensuite déchiffrer sa langue et apprendre à l'écrire en utilisant un outil qui, par défaut, reste difficilement accessibles car il nécessite de connaître certaines bases du codage.

Filtrages

Ensuite, le contributeur débutant devra passer le test des robots. Depuis 2006, un filtrage opéré par des logiciels a en effet été mis en place pour limiter l'action des "trolls" qui polluent les articles en les vandalisant (insultes, blagues etc.). L'attention est d'autant plus grande que plusieurs scandales ont ébranlé la crédibilité de Wikipedia. Tout récemment, le 22 octobre, l'organisation décidait de ferme 250 comptes car ils étaient soupçonnés d'avoir été créés par des sociétés à des fins publicitaires

Enfin, comble du paradoxe pour l'encyclopédie "libre", la "communauté wikipédienne" semble particulièrement fermée. Les nouveaux venus peuvent en effet faire l'objet de vives critiques de la part des anciens. Sur la page anglophone du site dédiée à la "fidélisation des contributeurs", des pratiques d' "abus de pouvoirs" d'administrateurs ont même été dénoncées. 

A cela, il faut ajouter les cabales sur tel ou tel sujet qui agitent régulièrement la "wikisphere" de nature à rebuter les encyclopédistes du dimanche. Pas facile dans ces conditions, de se faire une place. L'étude menée par un étudiant de l'université du Minnesota, précédemment citée, démontre que les contributeurs "de bonne foi" sont désormais davantage susceptibles qu'avant de ne pas renouveler leur essai au bout de deux mois.

Réunions Wikipedia

Wikimedia Foundation, l'ONG qui gère l'aspect technique et juridique du site a tenté de remédier à cette situation. Les développeurs ont par exemple ajouté un bouton "merci", sur le modèle du "j'aime" de Facebook et proposent une interface de rédaction simplifiée. Le Wikipedia francophone organise des réunions dans des villes de France, du Canada, de Belgique ou même du Burkina Faso au cours desquels des "anciens" tentent d'attirer de nouveaux venus. Est-ce cette idée qui a porté ses fruits ? Pour la partie francophone, le nombre de contributeurs actif est resté stable depuis 2007.

Globalement, ces difficultés de fond n'ont cependant pas empêché Wikipedia de convaincre des donateurs. Pour la période 2012-2013, 46 millions de dollars ont déjà été levé et l'organisation en espère 5 de plus d'ici la fin de l'année. Elles n'ont pas non plus rebuté Google ou Apple (via son application Siri) qui renvoient leurs utilisateurs vers des articles Wikipedia lors de leurs recherches.