CRISPR-Cas9 peut-il provoquer une catastrophe écologique ?

Par Jean-Yves Paillé  |   |  518  mots
L'édition du génome des moustiques est une solution étudiée pour éradiquer des maladies telles que le paludisme. Mais les scientifiques craignent que cette méthode échappe au contrôle et menace la biodiversité.

Alors que les inquiétudes sur l'exploitation des méthodes d'édition du génome (CRISPR-Cas9, notamment) émanaient principalement des scientifiques, la CIA s'est également emparée du sujet. Dans un rapport déclassifié, elle prévient : les techniques de modification des gènes, « peu coûteuses », pourraient être exploitées pour créer « des agents chimiques [et donc servir au bioterrorisme, ndlr] et des changements génétiques héréditaires chez l'homme ». À ces craintes de l'organisme, les scientifiques ajoutent les aléas d'une utilisation maladroite de CRISPR pouvant être à l'origine du développement de graves maladies comme les cancers, ou encore le risque de franchir une barrière éthique avec des modifications de gènes dévolus à des améliorations des caractéristiques de l'homme. Mais ce qui inquiète plus particulièrement les chercheurs, c'est le « forçage » de gènes (gene drive) des moustiques.

« CRISPR modifie de manière efficace les populations de moustiques. Ils vont produire des nucléases en permanence [une enzyme qui catalyse la scission des acides nucléiques, ndlr]. En quelques générations, l'espèce pourra être complètement remplacée par la population modifiée. C'est un sujet brûlant », expose à La Tribune Carine Giovannangeli, directrice adjointe de l'institut Bases moléculaires et structurales du vivant. Pourquoi modifier les gènes des moustiques ? Pour éradiquer des maladies qui font des ravages comme la Dengue, et Zika et surtout le paludisme (429.000 morts par an, selon l'OMS), toutes associées aux moustiques. Et ce, en empêchant l'insecte de diffuser la maladie, en faisant en sorte qu'il n'en soit plus porteur et vecteur.

Une nécessaire analyse d'impact

« Il y a un risque de perte du contrôle », renchérit Hervé Chneiweiss à la tête du comité d'éthique de l'Inserm, sollicité par La Tribune. Pour le scientifique, il faudra répondre à une question primordiale avant d'utiliser CRISPR sur des moustiques : « Que pourrions-nous faire pour arrêter une réaction en chaîne dans la nature, si on se rendait compte qu'il y avait des effets négatifs. Il y a une analyse d'impact à faire. L'éradication de populations de moustiques pourrait perturber la biodiversité et bouleverser la chaîne alimentaire », avance-t-il.

Si l'on imagine un scénario catastrophe, les gènes modifiés du moustique pourraient être transmis à des insectes voisins et donc stériliser des espèces vitales pour l'homme, comme les abeilles.

À ce jour, CRISPR n'est pas utilisé contre les moustiques vecteurs de maladies, mais fait l'objet de nombreuses publications scientifiques. La panique n'est pas encore de mise. Elle pourrait pourtant l'être dans cinq à dix ans, craint le scientifique. Aujourd'hui, il existe des tests de moustiques transgéniques, mais ils visent à réguler une partie de la population. La stratégie de la société Oxitec est de libérer moustiques stériles dans la faune pour diminuer la population : des accouplements se feront ainsi avec des insectes stériles empêchant la reproduction. Mais ces insectes stériles meurent rapidement, il faut donc en relâcher régulièrement pour continuer à faire diminuer la population.

____