Les plus grands consommateurs de biens culturels sont... les pirates

Par Anna Villechenon  |   |  700  mots
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Plusieurs études démontrent que les pirates sont également les meilleurs clients de produits culturels. A l'heure où Hadopi sévit, elles remettent en cause l'efficacité des mesures répressives.

"La piratage nuit à la création artistique". C'est du moins ce que sont obligés de mentionner les fournisseurs d'accès à Internet dans leurs publicités. En réalité, c'est l'inverse, selon plusieurs études - toujours plus nombreuses - en France comme à l'étranger.

Parmi elles, celle menée par la Haute autorité pour la diffusion des œuvres et la protection des droits sur Internet (Hadopi), chargée de la lutte contre le piratage sur Internet, qui montre que les pirates sont ceux qui achètent le plus de biens culturels.

Ainsi, les internautes déclarant un usage illicite - la moitié des internautes sondés - ont une dépense "légèrement supérieure à la moyenne (1 à 2 points supplémentaires, selon la tranche)", relève l'étude, publiée fin janvier par l'Hadopi, lors du salon du disque Midem.

Autre étude, mêmes résultats, avec celle menée par l'Université de Rennes, en collaboration avec le laboratoire M@rsoin, et publiée en mars 2010. Selon elle, "les 'pirates numériques' se révèlent être, dans la moitié des cas, également des acheteurs numériques (achat de musique ou de vidéo sur Internet). Couper la connexion Internet des utilisateurs de réseau Peer-to-Peer pourrait potentiellement réduire la taille du marché des contenus culturels numériques de 27%", car cela empêcherait les achats en ligne.

En 2008, les mêmes chercheurs affirmaient déjà que "les individus qui téléchargent des vidéos sur les réseaux P2P sont également ceux qui achètent le plus de DVD".

Pirates et explorateurs

Ces conclusions ne sont pourtant pas récentes. En 2005, Patrick Waelbroeck ce spécialiste de l'économie industrielle, publiait une étude distinguant deux catégories de personnes qui téléchargent : les pirates et les explorateurs. Selon lui, les premiers ont pour objectif de se constituer une banque de biens culturels gratuitement ou à faible coût, en téléchargeant en masse.

Les autres, en revanche, se servent du téléchargement pour "explorer" les ressources culturelles existantes, pour ensuite, souvent, les acheter. Les pirates musicaux sont "ceux qui avant allaient à la Fnac écouter les CD dans les bornes dédiées", estimait Patrick Waelbroeck dans un billet, publié mardi 8 août.

Ainsi, l'impact du téléchargement sur la vente de disques est limitée, puisque les pirates "n'achètent plus de CD depuis une dizaine d'années de toute façon", assurait-t-il.

D'autres études aux résultats similaires ont par exemple été menées au Canada, aux Pays-bas ou encore aux Etats-Unis.

A l'avenir, l'enjeu pour l'industrie musicale n'est donc pas de faire remonter ses ventes de disques mais plutôt de générer assez de revenus, grâce à la musique numérique, pour les compenser.

Hadopi, inefficace contre le piratage

Concernant son efficacité dans la lutte contre le piratage, l'Hadopi constate, dans son étude publiée en janvier, que 29% des pirates déclarent avoir commencé à télécharger illégalement après la création d'Hadopi, faisant fi de ses menaces. D'ailleurs, la moitié des internautes interrogés n'ont pas l'intention de changer leurs habitudes, malgré la menace de sanctions par la Haute Autorité.

Cependant, l'Hadopi souligne parallèlement que 50% des personnes averties avaient arrêté de télécharger illégalement, même si certains - comme le site PCinpact - ont nuancé ce résultat, arguant d'un panel beaucoup trop restreint. Le site met en avant que ce résultat ne concerne effectivement que 7% des sondés (soit 105 personnes sur 1500).

L'inefficacité de cette répression gouvernementale a également été prouvée par l'étude citée précédemment et menée par l'Université de Rennes. Celle-ci affirme que la loi Hadopi favorise le piratage, allant radicalement à l'encontre des arguments dégainés avec force par le gouvernement pour légitimer sa mise en place.

L'étude rapporte ainsi que trois mois après le vote de la loi Hadopi, le nombre de pirates a légèrement augmenté (de 3%). Elle relève d'autre part qu' "à peine 15% des internautes qui utilisaient les réseaux Peer-to-Peer avant l'adoption de la loi Hadopi ont définitivement cessé de le faire depuis".