Comment Google manage ses salariés sur Excel

Par Sandrine Cassini  |   |  873  mots
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En 2011, le moteur de recherche a recruté 7.000 personnes. Pour croître chaque année de 25%, il a mis en place un système basé sur l'ultra-performance.

Google. Tous les jeunes diplômés rêvent d'aller y travailler. "Nous recevons 2 millions de CV par an. En 2011, nous avons recruté quasiment 7.000 personnes, dont 1.000 en Europe", témoigne la directrice de la communication, Anne-­Gabrielle Dauba-­Pantanacce. Sur le papier, Google fait figure d'entreprise idéale. Malgré sa taille (elle emploie 31.000 salariés dans le monde pour un chiffre d'affaires en hausse de 25% par an) l'esprit start-up semble encore y souffler. Le géant du Net offre en plus un cadre de travail exceptionnel et des avantages en nature à la pelle (cafétéria gratuite, prise en charge de la mutuelle, d'une assurance-vie...) à ses salariés.

Parcours du combattant

Mais la "cool attitude" cache une entreprise, qui cultive un mangement fondé sur la performance, où tout est rationalisé et analysé dans des tableaux Excel. En témoigne le parcours du combattant pour être embauché. Mieux vaut avoir un beau pedigree scolaire. "Google prend d'abord en compte les diplômes et le comportement à l'école. Il faut être le meilleur", indique David Bizer, qui fut le premier recruteur de Google en France. Pour évaluer les parcours (la signification des notes d'une fac ou d'une école, en France, n'est évidemment pas la même), "Google a fait un "ranking" mondial d'écoles, avec une base de données de notes", complète David Bizer. Et le candidat est prié de retrouver ses vieux bulletins.

Originalité du processus : le recrutement est collégial, "démocratique", ose même Google sur son site Internet. Le candidat est soumis à une batterie d'entretiens. Au début des années 2000, il pouvait y avoir entre 15 et 18 entretiens. Le processus durait des mois. Une folie. Depuis un an, le chiffre a été ramené à 4 ou 5, (jusqu'à 8 pour des postes importants). Outre les supérieurs ­hiérarchiques, les ­subordonnés, et d'autres collaborateurs, participent au "dossier de recrutement" et notent le candidat. "C'est une entreprise de données. Ils veulent des données, pas des adjectifs", indique David Bizer. Seul critère d'appréciation qualitatif, la "googliness", autrement dit la capacité du candidat à s'adapter à la culture maison.

Un "comité de recrutement" par zone géographique, composé de managers européens note à son tour les dossiers. Jusqu'à récemment, l'aval final - même pour des postes de secrétaire - était donné par un comité global et «Larry Page, qui jugeait sur une feuille Excel synthétique l'ensemble des demandes du monde entier", indique un ancien cadre dirigeant. Au final, sont sélectionnés "les profils académiques, standard, et surdiplômés. Mais c'est le prix à payer pour gérer au mieux le flux de croissance et avoir le moins de déchets possible", justifie un ancien cadre supérieur.

En interne ensuite, les salariés sont loin de passer leur temps au baby-foot. "Il faut un anglais parfait, une grande force de travail, être très réactif, et être prêt à voyager", précise Alexandra Alberti de CTPartners, le cabinet parisien de chasseurs de tête travaillant pour l'entreprise. Il faut surtout ne pas être frustré par une organisation matricielle, où 100% de la stratégie est décidée au siège de Mountain View, et qui restreint le champ des responsabilités. Ainsi, le directeur général France, Jean-Marc Tassetto, et son supérieur, Carlo d'Asaro Biondo, en charge de l'Europe du Sud et de l'Afrique, sont en réalité des directeurs commerciaux, sans pouvoir décisionnaire sur d'autres fonctions, comme la communication, le marketing ou l'édition, hiérarchiquement rattachées à Londres. "On doit avoir un ego peu développé et être dans l'influence plutôt que dans la coercition", confirme un ancien. Chassé pour un poste de direction générale, un candidat explique pourquoi il a balayé d'un revers de la main la proposition. "C'est un job totalement statutaire. On est le patron d'un pays, mais on ne décide de rien. C'est castrateur. Quand Google supprime les commissions d'agence du jour au lendemain, comment explique-t-on cela aux clients ?"

Plutôt que des initiatives personnelles, Google exige d'abord de se tenir à une feuille de route bien calibrée. "Chaque trimestre, nous recevions de Londres des directives très précises, et rien n'était négociable", indique un autre ancien qui dénonce le "management par le tableau Excel". Les autonomes y sont plutôt malheureux.

Et dans cet environnement, seuls les meilleurs s'en sortent. Tous les trois mois, le manager note les performances de ses N-1 sur une échelle de 1 à 5. À 3, c'est à peine la moyenne. A 2,9, il faut redresser le tir au trimestre suivant, sinon c'est la porte. Pour éviter l'arbitraire, le collaborateur est évalué en fonction d'objectifs quantifiables. Mais une fois attribuées, les notes sont réajustées. Pourquoi ? "Il fallait que l'on aboutisse à une courbe de Gauss qui désigne les 5% les meilleurs, et les 5 % les moins bons. Vous êtes noté de façon relative, en fonction des autres. C'est une compétition", remarque un ancien cadre, qui s'est prêté au jeu. Autrement dit, Google part du principe que, dans une organisation, il y a forcément une partie de moins-performants et que, pour que l'entreprise s'améliore, il faudra forcément les éliminer. Une sorte de darwinisme organisé.