Bataille autour de la fiscalité du numérique

Par Sandrine Cassini  |   |  1142  mots
Le Conseil national du numérique et Orange soulignent l'abîme entre l'ampleur des revenus générés par les géants du Web, comme Google, en France et la faiblesse des impôts payés. Photo : Reuters (Crédits : <small>Reuters / source Google, août 2012</small>)
Le Conseil national du numérique suggère d'instaurer un nouveau statut fiscal pour les géants du Net basés à l'étranger, qui ferait rentrer 500 millions d'euros d'impôts dans les caisses de l'État. Mais conteste l'idée d'un prélèvement sur la publicité, un dispositif poussé par Orange et soutenu par le sénateur UMP Philippe Marini.

Comment pousser Google, Amazon et autres géants du Net à participer à l'effort fiscal collectif ? Les mésaventures de feu la « taxe Google », ce prélèvement imaginé par le sénateur Philippe Marini (UMP), qui en réalité aurait consisté à ponctionner les annonceurs, n'ont pas calmé les ardeurs. Au contraire. Le sénateur est revenu à la charge mardi lors d'un forum la fiscalité du numérique, avec de nouvelles propositions, qui pourraient être inclues dans une proposition de loi. Philippe Marini a répété la nécessité de taxer la publicité en ligne. Mais plutôt que de passer par les annonceurs, le sénateur suggère de ponctionner directement les régies publicitaires, comme Google, mais aussi Orange ou Dailymotion. Pour contrôler les acteurs étrangers, Philippe Marini s'est inspiré des paris sportifs en ligne, dont les sièges sont tous installés dans des zones comme Malte, en suggérant d'imposer un "représentant fiscal". Autre idée: "rétablir l'équité fiscale en appliquant aux acteurs étrangers les taxers relatives au soutien à l'audiovisuel public et sur la copie privée". Le séanteur reprend à son compte des propositions faites par Orange, et soutenues par la Fédération française des télécoms. 

Orange pousse une taxe Google, le lobby des télécoms veut un "élargissement des assiettes fiscales et une baisse des taux"

De fait, l'opérateur a demandé au cabinet d'avocats Watson Farley & Williams de travailler sur la question d'un prélevement sur la publicité en ligne. Avantage : cette « taxe non affectée ne nécessiterait pas d'examen au titre du régime des aides d'Etat par la Commission européenne », avancent les avocats dans une note à laquelle la Tribune a eu accès. La Fédération française des télécoms souhaite comme Orange « élargir l'assiette fiscale à tous les acteurs et baisser les taux », confirme son directeur général Yves Le Mouel. Pour éviter que les sites français, qui n'ont pas leur siège en Irlande et qui paient déjà des impôts en France, soient pénalisés, la FFT avait songé à suggérer un crédit d'impôt. Autre piste évoquée : l'extension de la taxe sur la publicité radiodiffusée aux sites Internet, qui fournissent « des contenus audiovisuels (site de partage de vidéos, moteur des recherche vidéos, etc.). Enfin, selon le cabinet d'avocat mandaté par Orange, le gouvernement pourrait aussi décider de soumettre les mêmes acteurs au Cosip (Compte de soutien à l'industrie des programmes audiovisuels), dans le cadre des aides à la création."Ce que nous voulons c'est une harmonisation des régimes, qu'il s'agisse de la TVA, de l'impôt sur les sociétés à tous les acteurs", corrobore Yves Le Mouel.

Divergences de vue avec le Conseil national du numérique

Le Conseil National du Numérique (CNN) est formel : non seulement la taxe sur les régies publicitaires, ou sur tous les sites recevant de la publicité, comme Google, Facebook, mais aussi PriceMinister, ne rapporterait pas grand-chose (50 millions d'euros, sur la base d'un taux de 2%) mais en plus, elle ne toucherait que les entreprises qui tirent leurs revenus de la publicité (sans concerner les grands marchands comme Amazon, qui échappe aussi à l'impôt). Surtout, en taxant aussi bien Google que Dailymotion, elle ne réduirait pas le désavantage compétitif entre entreprises françaises et étrangères.

Deux propositions pour récupérer 500 millions d'euros

Pour remédier au problème, le CNN, qui a passé en revue les différentes pistes possibles, fait trois propositions, à court et à long terme. A long terme, le CNN suggère de réfléchir à la notion d'« établissement stable virtuel». Il s'agirait d'un pendant de l'établissement stable qui désigne le lieu d'imposition d'une activité, mais qui s'affranchirait des contraintes de lieu. Cela permettrait de « reconnaître aux acteurs internationaux une activité et des revenus permanents en France qui puissent donner lieu à une taxation ». Problème : « la question doit être traitée au niveau communautaire », ce qui prendrait au bas mot plusieurs années. Selon le CNN, cette mesure permettrait à l'Etat de récupérer 500 millions d'euros de taxes.

A plus court terme, le CNN - qui est allé chercher l'inspiration dans la jurisprudence du Conseil d'état d'après guerre ! - propose d'appliquer aux entreprises étrangères le « cycle commercial complet », un concept existant mais peu utilisé aujourd'hui, qui « correspond à une série d'opérations commerciales, industrielles ou artisanales dirigées vers un but déterminé formant un tout cohérent». Exemples cités par le CNN : les opérations de rachat et de revente de marchandises ou les société étrangères qui recueillent des annonces publicitaires de clients français rediffusées à la radio. Pour le CNN, cela permettrait de soumettre à l'impôt sur les sociétés les entreprises qui ne possèdent en France « ni établissement, ni représentant qualifié », qu'il s'agisse de Google, mais aussi d'iTunes ou d'Amazon. Problème à surmonter : il faudrait que l'administration fiscale puisse identifier les revenus réels. Elle devrait soit imposer un représentant fiscal, ou utiliser ses pouvoirs d'enquête. Mais le jeu en vaut la chandelle, puisque le CNN évalue à 500 millions d'euros le montant des taxes que l'Etat pourrait toucher.

Harmoniser la TVA sur les biens culturels

Pour favoriser l'offre légale et contrer notamment iTunes, qui bénéficie d'un régime très favorable au Luxembourg, le CNN conseille aussi d'harmoniser les taux de TVA sur les biens culturels dans le monde physique et virtuel, ou d'appliquer des taux adapté mélangeant contrat de prestation (TVA normale) et contrat de licence de droit d'auteur (TVA à taux réduit).

En revanche, le CNN évacue d'autres options. Outre la publicité en ligne, le Conseil rejette aussi l'instauration d'une redevance sur l'utilisation des réseaux en fonction du volume de données. Cette idée avancée par le rapport sur la télévision connectée pénaliserait les gros consommateurs (comme YouTube mais aussi Dailymotion), mais exclurait les moteurs de recherche, sans être très rémunératrice.

En accord sur la "sur-fiscalité"

Visiblement inspiré par les mêmes études, le CNN et Orange, pointent du doigt la « sur-fiscalité » de 1,2 milliard d'euros, qui pèsent sur les épaules des opérateurs télécoms. Ils soulignent aussi l'abîme entre l'ampleur des revenus générés par les géants du Web, comme Google, Yahoo, Facebook ou Twitter, sur le territoire (4 milliards d'euros en 2010 et 9 milliards en 2015, selon Orange) et la faiblesse des impôts payés. Le CNN rappelle que Google, iTunes Amazon et Facebook déboursent seulement 4 millions d'euros par an en moyenne au titre de l'impôt sur les sociétés, alors qu'ils devraient être redevables « d'environ 500 millions d'euros ».