Viadeo en Bourse : « une pépite française de l’Internet qui se transforme en or »

Par Propos recueillis par Delphine Cuny  |   |  1103  mots
Le LinkedIn français espère grandir sur le marché du recrutement en ligne, estimé à 150 millions d'euros dans l'Hexagone.
Le réseau social professionnel va lever 35 millions d’euros en s’introduisant à la Bourse de Paris début juillet. Le concurrent de LinkedIn réalise 95% de son chiffre d’affaires en France, où il est rentable, mais espère monétiser ses 20 millions de membres en Chine, explique son cofondateur et PDG Dan Serfaty.

Pourquoi avoir choisi la Bourse de Paris et pas le Nasdaq, comme Criteo ?

Dan Serfaty : La première raison tient à la communication. Viadeo a la chance de faire partie des quelques pépites de l'Internet français et c'est une pépite qui se transforme en or, nous voulons le faire savoir. La Bourse donne une visibilité et une crédibilité. Or à la différence de Criteo, nous n'avons aucune intention de lancer notre activité sur le marché américain : nous employons 450 personnes, principalement à Paris, nous avons un bureau de R&D avec 20 personnes à San Francisco. Nous n'avons donc pas beaucoup hésité, nous voulions vraiment une introduction à Paris, compte tenu du poids de la France en nombre de membres, près de 9 millions, et en chiffre d'affaires, 95% sur 31 millions d'euros en 2013. Le Français moyen n'a pas entendu parler de l'introduction de Criteo, car c'était lointain, à New York.

Nous avions envisagé la Bourse de Hong Kong il y a quelques années, après l'acquisition du réseau social professionnel chinois Tianji qui est aujourd'hui leader avec plus de 20 millions de membres, mais c'est une place où se cotent plutôt des entreprises de secteurs traditionnels comme la distribution, l'assurance ou l'immobilier : les sociétés Internet chinoises vont plutôt se coter à New York. 

La deuxième raison tient à la valorisation. Notre capitalisation boursière devrait s'élever autour de 200 millions d'euros, au vu de la fourchette de prix indicative, cela nous convient : ce sont des multiples de valorisation qui nous semblent corrects. Viadeo sera la première introduction d'une société française de l'Internet depuis 7 ans, depuis Seloger.com en 2006 et en 2007 AdenClassifieds [la filiale d'annonces classées du Figaro, sortie de la Bourse en 2010 NDLR]. Nous aimerions que notre introduction ouvre la voie à beaucoup d'autres belles sociétés françaises. 

Venez-vous en Bourse pour vous faire racheter par un concurrent ?

Pas du tout ! D'ailleurs, nous ne plaçons que 20% à 25% du capital, il n'y a pas d'OPA hostile possible. Je possède à titre personnel avec mon épouse près de 9% du capital en comptant les stock-options. Nous voulions offrir la possibilité à nos actionnaires de choisir, de rester ou sortir, sachant qu'il y a une obligation de conservation des titres entre 6 et 18 mois. Certains fonds (IdInvest et Ventech) sont en effet entrés au capital en 2006. Nous avons levé 13,5 millions d'euros en trois tours de table et 24,2 millions d'euros l'an dernier auprès de Bpifrance notamment. Il nous reste 10 millions en banque et nous allons lever entre 35 et 40 millions d'euros lors de l'introduction pour soutenir notre développement international et renforcer nos forces commerciales en France et en Chine notamment. 

Quel est votre pitch aux investisseurs ?

Viadeo est bien sûr une histoire de croissance et se trouve face à deux opportunités. Tout d'abord, le marché du recrutement en ligne en France, qui pèse 150 à 200 millions d'euros : nous y réalisons 7 millions d'euros aujourd'hui. Prendrons-nous 30%, 40% ou 50% de part de marché à terme, face à Keljob ou Monster, comme cela s'est passé pour LinkedIn aux Etats-Unis ? Nous verrons, mais le potentiel est évident. L'autre levier de croissance est la Chine : nous avons réussi la première phase, l'acquisition de membres, il ne reste plus qu'à monétiser les 20 millions de membres de Tianji [en perte opérationnelle de 5,9 millions d'euros pour 1,2 million de chiffre d'affaires en 2013]. C'est un challenge, mais les deux plus gros sites de recrutement chinois génèrent de bons revenus, 130 millions et 270 millions de dollars, donc c'est possible. C'est une option pour les investisseurs, un pari qui pourrait complètement changer l'histoire de Viadeo. 

Comment expliquer qu'une startup en croissance affiche un chiffre d'affaires en recul au premier trimestre ?

Notre activité a été multipliée par 7 entre 2007 et 2012 ! Nous avons dû adapter notre plateforme technologique pour faire face à la montée en charge du nombre de membres en 2013, ce qui a représenté un investissement de 2 millions d'euros. Cela explique que notre croissance n'ait été « que » de 11,5% l'an dernier et que, sur le plan comptable, du fait de l'étalement des revenus des abonnements, les facturations soient en recul de 6% au premier trimestre. Mais tous les indicateurs, les usages, le carnet de commandes, sont à la hausse : nous serons positifs sur l'année. Les abonnements en ligne, qui génèrent la moitié du chiffre d'affaires, vont enregistrer une croissance modérée dans les années à venir alors que les services de recrutements (29%) devraient augmenter de plus de 35% par an en moyenne. La publicité (16%) a vocation à prendre plus de poids, nous aurons nos premiers revenus issus de la pub sur mobile cette année, avec les mêmes perspectives, je l'espère, que celles de Facebook et LinkedIn dans ce domaine. Nous sommes par ailleurs rentables en France, avec une marge brute d'exploitation de 3,7%. L'objectif est de 20% à moyen terme. 

Viadeo n'est-il pas condamné à rester l'éternel numéro deux derrière LinkedIn, comme Dailymotion derrière YouTube ?

A la différence de Dailymotion, nous pouvons nous différencier par notre approche multi-locale qui est très importante dans le recrutement, alors que LinkedIn offre un service « taille unique » pour tout le monde. Or il y a de vraies spécificités culturelles sur Internet : ainsi, en Russie, le premier moteur est Yandex et non Google, Amazon n'a pas réussi à percer, tout comme LinkedIn. En dehors de la France, nous nous concentrons sur les zones où LinkedIn a du mal à s'implanter, comme la Chine, la Russie et l'Afrique.

Mais ce n'est pas un hasard s'il n'y a que trois grands acteurs des réseaux sociaux professionnels, LinkedIn, l'allemand XING et nous : il faut bien comprendre la mécanique des ressources humaines, avoir des algorithmes spécifiques. Le russe Yandex a essayé de s'y lancer, sans succès. Lorsque nous avons changé notre algorithme de recommandation des personnes que l'on pourrait connaître, nous avons observé des hausses de 15% à 20% de connexions.

Nous avons développé des fonctionnalités spécifiques en Chine et en Russie, où nous avons créé un site en joint-venture avec le premier éditeur du pays, le groupe de presse Sanoma (Vedomosti), qui compte 1 million de membres. Par exemple, nous avons créé fin 2010 en Chine le « profil vérifié » qui est très apprécié : des membres certifient que vous êtes ancien élève de telle école, que vous avez travaillé dans telle entreprise. Marc Benioff, le patron de Salesforce, que j'ai vu récemment, a trouvé l'idée formidable et m'encourage même à lancer un site sur ce créneau uniquement !

> lire le document de base de Viadeo visé par l'AMF