Emmaüs Connect aux avant-postes de la lutte contre l’exclusion numérique

Par Sylvain Rolland  |   |  876  mots
Le réseau fourni d'Emmaus Connect dans l'écosystème de la médiation numérique a rapidement imposé l'association comme un pilier de la lutte contre l'exclusion.
En six ans, l’association Emmaüs Connect s’est imposée comme un pilier de la lutte contre l’exclusion numérique grâce au programme Connexions Solidaires, qui coordonne associations, acteurs publics et entreprises privées comme SFR et Huawei. Une convention signée ce mardi avec l’Etat en fait le "pôle référent de la médiation numérique".

Saint-Denis, 10h, mardi 5 janvier 2016. Une petite dizaine de personnes pianote sur les ordinateurs du point d'accueil Connexions solidaires, de l'association Emmaüs Connect. Parmi eux, des seniors en délicatesse avec l'informatique pour effectuer leurs démarches administratives, mais aussi des jeunes adultes tout aussi désorientés face à la nébuleuse Internet. "Contrairement à ce qu'on pense, l'exclusion numérique ne touche pas uniquement les séniors, mais aussi les jeunes de la soi-disant génération Internet" explique Margault Phelip, la directrice adjointe d'Emmaüs Connect.

A Saint-Denis, ville de 110.000 habitants - dont près de la moitié a moins de 30 ans - cette problématique est bien visible. Un paradoxe dans une société archi-connectée, mais qui laisse 17% des Français, soit 14 millions de personnes, sur le carreau des nouvelles technologies. Chiffre éloquent : plus de la moitié des Français ayant un revenu de moins de 900 euros par mois n'ont pas Internet à domicile, soit 6% de la population. "A l'heure où l'administration se numérise à vitesse grand V et où il faut maîtriser Internet pour trouver un emploi ou un logement, la question de l'accessibilité aux nouvelles technologies est plus vitale que jamais", poursuit Margault Phelip.

20.000 bénéficiaires en six ans

Si Emmaüs Connect existe depuis 2013 seulement, l'association a mis sur pied son programme d'insertion numérique, baptisé Connexions solidaires, depuis six ans. Les salariés et volontaires commencent par établir un "diagnostic de précarité numérique", soit quelques questions pour mettre sur pied une aide personnalisée. Puis l'association mobilise son réseau pour orienter chaque personne vers la structure d'action sociale adéquate (formation de base aux outils informatiques, accompagnement pour trouver un emploi ou un logement, aide en cas de difficultés budgétaires...).

Son approche individualisée l'a rapidement imposée comme un référent dans l'écosystème de la lutte contre l'exclusion numérique. "Nos diagnostics permettent d'éviter les erreurs comme proposer un cours d'informatique à une personne complètement isolée, qui ira deux fois et arrêtera. De même, certains savent utiliser Internet pour aller sur les réseaux sociaux mais ils sont complètement perdus quand il s'agit d'accéder au droit, de faire des démarches administratives ou de rechercher un emploi", précise Margault Phelip.

Présente sur seulement sept villes (Paris, Saint-Denis, Antony, Lille, Lyon, Grenoble et Marseille), l'association dispose néanmoins d'un réseau national tentaculaire d'environ 1.000 structures d'action sociale. Depuis six ans, près de 20.000 personnes ont bénéficié du programme. "Notre force, c'est notre capacité à mobiliser les différents acteurs autour de nous", ajoute la dirigeante.

En plus du tissu associatif, Emmaüs Connect travaille avec les collectivités locales (villes, départements, régions) et même des entreprises privées, comme l'opérateur SFR, le cabinet de conseil Capgemini Consulting et le fournisseur informatique Huawei. Le fabricant chinois donne des téléphones portables, tandis que SFR propose des offres solidaires de 2,5 euros à 15 euros par mois pour un accès mobile et Internet illimité.

L'Etat entre bonnes intentions et panier percé

Cette réussite a retenu l'attention de l'Etat. Ce mardi, Axelle Lemaire, la secrétaire d'Etat en charge du numérique, a signé une convention avec l'association. L'objectif : faire d'Emmaüs Connect le "pôle référent pour les publics en situation de précarité". Autrement dit, développer le réseau de la médiation numérique autour de Connexions Solidaires et encourager la co-construction de nouvelles initiatives de lutte contre l'exclusion.

Mais si l'initiative renforcera sans aucun doute la visibilité et la crédibilité d'Emmaüs Connect, la question d'une grande stratégie nationale contre l'exclusion numérique se fait toujours attendre.

La loi numérique d'Axelle Lemaire, qui arrive à l'Assemblée nationale à partir du 13 janvier, comporte bien un grand volet intitulé "accès au numérique". S'il est voté en l'état, il permettra notamment de reconnaître l'action des médiateurs numériques et incitera les collectivités à adopter une stratégie contre l'exclusion.

De quoi réjouir les acteurs sur le terrain ? Oui et non. "La bonne nouvelle, c'est que le texte pose une série de principes positifs. Mais leur financement concret reste très problématique", nuance Margault Phelip. Surtout dans un contexte de réduction des dotations de l'Etat aux collectivités locales, qui supportent les coûts de l'action sociale.

Le droit minimal à la connexion décrié par les opérateurs télécoms

Le volet "inclusion numérique" de la loi Lemaire devra aussi survivre au lobbying des opérateurs télécoms sur l'une de ses mesures phares : le droit à la connexion minimale pour les personnes en difficulté.

Cet article vise à considérer Internet comme un service essentiel, au même titre que l'eau, l'électricité ou le téléphone. Autrement dit, les opérateurs télécoms (Orange, SFR, Free, Bouygues) ne pourront pas couper la connexion tant que la collectivité n'aura pas statué sur la demande d'aide. Mais même s'ils participent, à l'image d'SFR avec Emmaüs Connect, à certaines initiatives d'aide l'accès au numérique, les opérateurs télécoms, craignant les impayés, refusent toujours de considérer Internet comme indispensable...