Le Jour d'Après : "Nous avons besoin d'une France plus solidaire, plus écologique et plus souveraine" (Paula Forteza)

Par Sylvain Rolland  |   |  1738  mots
La députée Paula Forteza, cofondatrice de l'initiative transpartisane Le Jour d'Après. (Crédits : DR)
LE MONDE D'APRES. Une soixantaine de députés (LREM et opposition de centre et de gauche) ont lancé la plateforme participative Le Jour d'Après, qui vise à penser l'après-crise du coronavirus. Les citoyens ont jusqu'au 4 mai pour soumettre leurs propositions dans 11 thématiques phares. La députée Paula Forteza, co-organisatrice, décrypte pour La Tribune cette initiative.

Majorité et opposition -du centre et de la gauche- unies pour penser l'après-crise du coronavirus. Ce week-end, une soixantaine de députés ont lancé l'initiative "Le Jour d'Après", une plateforme participative en ligne qui appelle à l'intelligence collective de toutes les "forces vives" du pays, qu'il s'agisse de citoyens, de travailleurs, de personnes du monde associatif, de syndicalistes, d'experts ou encore d'élus. Aux grands maux les grands remèdes, l'objectif n'est rien de moins que de "réinventer notre modèle de société", autour de 10 thématiques phares : santé, travail, consommation, écologie, solidarités, éducation, numérique, démocratie, territoires et Europe. Un onzième thème, le financement de ces propositions, est aussi soumis au débat jusqu'au 4 mai.

L'initiative a été lancée par trois députés qui font partie des plus actifs dans l'Hémicycle : la spécialiste du numérique Paula Forteza (ex-LREM), l'écologiste Matthieu Orphelin (ex-LREM) et le macroniste Aurélien Taché. Mais le trio a su rallier au-delà des membres actuels ou repentis du parti présidentiel. Des députés écologistes, socialistes ou encore du MoDem composent la soixantaine de premiers signataires. Mis en ligne samedi 4 avril, le site Le Jour d'Après a débuté en fanfare : deux millions de connexions ont été enregistrées dans l'heure suivant le lancement, faisant "crasher" le serveur et forçant les équipes artisanales des trois députés-fondateurs à trouver de nouveaux hébergeurs. Ce lundi, plus de 4.700 personnes avaient créé un compte sur la plateforme, qui enregistre déjà environ 2.000 contributions citoyennes.

Entretien avec la cofondatrice de la plateforme, la députée ex-LREM Paula Forteza.

LA TRIBUNE - D'où vient l'idée de lancer cette plateforme participative pour penser dès à présent le monde d'après la crise du coronavirus ?

PAULA FORTEZA - Comme tout le monde, cette crise nous bouleverse. En tant que députés, nous voulons être prêts, dès la sortie du confinement, à proposer un modèle de société différent. La crise du coronavirus, qui nous a tous pris par surprise, est majeure car elle étale au grand jour les limites et les failles de notre modèle de développement. Elle nous apprend que la France n'est pas souveraine en matière de santé publique. Elle nous démontre que le service public de santé est à bout de souffle.

On découvre ce que c'est que de vivre dans dans des villes moins embouteillées, et donc moins polluées. On découvre aussi que le télétravail, jusqu'alors marginal et décrié, peut être efficace et bon pour la planète. De fait, le confinement de la population accélère à marche forcée la numérisation de la société, il faut donc réfléchir dès à présent à ce qu'on veut garder et ce qu'il faudra améliorer. La seule chose de sûre, c'est que nous ne pourrons pas revenir "comme avant". Cette crise doit être un déclencheur.

Pourquoi lancez-vous cette plateforme maintenant, alors que la France est toujours confinée et que le nombre de morts du coronavirus explose ?

Nous avons été critiqués sur les réseaux sociaux pour cette raison, mais je pense que le moment est propice. Evidemment, nous ne voulons pas détourner le regard sur le fait que l'urgence absolue est dans le soutien aux hôpitaux et aux personnes endeuillées. Mais une grande partie de la population est confinée et veut se sentir utile en contribuant à l'effort.

Le succès du lancement de la plateforme confirme ce besoin de réfléchir dès maintenant à l'après-crise. L'appétence des citoyens dépasse déjà de loin nos attentes. A titre de comparaison, une consultation citoyenne classique, qui dure deux ou trois mois, finit avec environ 10.000 contributions. Avec 2.000 propositions en à peine deux jours, cette consultation sera largement plus populaire, et tant mieux.

Comment expliquez-vous cet engouement au démarrage ?

La situation est exceptionnelle, beaucoup de gens sont angoissés, en colère et ont besoin d'agir. De plus, la démarche n'est pas politique, les 11 thématiques soumises à débat nous concernent tous et se fondent sur des constats largement partagés qu'on ne peut pas continuer comme avant dans de nombreux domaines. Nous avons besoin d'une société plus solidaire, plus écologique, d'une France et d'une Europe plus souveraines. Les gens se rendent aussi bien compte que les décisions prises depuis le début de cette crise, et celles que l'on continue de prendre, influencent le monde d'après. Le dispositif de chômage partiel, par exemple, c'est une très bonne chose qui montre que l'on a appris des erreurs de la gestion de la crise de 2008. On a compris que cette fois, il faudra en sortir par le pouvoir d'achat, par la demande, par le soutien aux entreprises de toutes tailles, plutôt que par le soutien à la finance et aux grands groupes.

Par contre, d'autres décisions majeures pourraient êtres prises, à la va-vite et sans consultation, par exemple sur le sujet du "tracking" des personnes pour suivre et gérer l'évolution du virus. Il s'agit d'un enjeu de société crucial car selon ce qu'on choisit, cela pourrait changer le paradigme vis-à-vis de nos libertés individuelles. Le tracking fera d'ailleurs l'objet de notre premier atelier en ligne. Le président de l'Arcep, Sébastien Soriano, expliquera ce qu'implique ce type de technologies et ce qui peut être fait ou pas avec les données des opérateurs télécoms tout en restant dans le cadre de la loi. Il est important de prendre du recul sur des décisions politiques qui se prennent dès maintenant.

Concrètement, comment fonctionne la plateforme ?

Il y a trois composantes, qui durent toutes jusqu'au 4 mai : la consultation citoyenne, des ateliers en ligne et un hackathon. Sur le volet consultation, nous avons identifié 11 thèmes dont 10 sur le fond et un dernier sur comment on finance ces mesures, car certaines propositions nécessitent le financement public, comme la revalorisation des salaires des personnels médicaux et des enseignants, la création d'un revenu universel etc.

Pendant ce mois d'émulation collective, il y aura aussi des ateliers en ligne. Chaque atelier est en fait un débat en ligne impliquant deux ou trois personnalités expertes et les citoyens. Sur une cession d'environ 40 minutes, il y aura 20 minutes d'introduction par le spécialiste et ensuite un débat avec les internautes via l'outil de visioconférence Zoom. Pour le débat, il est probable que nous utiliserons soit un tchat avec l'intervention d'un rapporteur pour sélectionner et mettre en avant les questions, soit une intervention directe par visioconférence, soit les deux. 11 ateliers sont prévus, un par thème, au rythme de deux ou trois par semaine. En plus de Sébastien Soriano, prévu pour débattre de la question du tracking des citoyens, il y aura aussi Laurent Berger [le secrétaire général de la CFDT, ndlr], Mathilde Bras [directrice opérationnelle de la Fondation Internet nouvelle génération ou Fing] ou encore Jacques Attali, entre autres.

Enfin, nous avons voulu mobiliser les communautés "techniques". Un hackathon permettra aux développeurs, datascientist ou amateurs de code de participer à des projets collaboratifs, sur la base des propositions postées sur la plateforme, car certaines peuvent se traduire en projets concrets très rapidement. Les projets développés seront présentés à la fin de la période de consultation.

Et après le 4 mai ?

Il faudra transformer cette émulation citoyenne collective en un grand plan de transformation sociale, économique, démocratique et écologique de la relance. A court terme, des propositions seront portées par les députés et intégrées par exemple dans le projet de loi de finances.

Vous avez déjà été confrontés à la saturation de vos serveurs. Sur quelle infrastructure technique repose la plateforme ?

Nous avons lancé Le Jour d'Après très rapidement, donc tout est très artisanal et développé en interne par mes équipes, avec le soutien de celles de Matthieu Orphelin et d'Aurélien Taché. Le coût se mesure en temps hommes de nos trois équipes, soit une dizaine de personnes qui gèrent l'animation, le design et les aspects techniques. Nous utilisons l'outil Decidim, qui est une civic tech barcelonaise que j'avais déjà utilisée pour le tirage au sort citoyen mis en place dans la campagne municipale de Cédric Villani à Paris. Decidim est l'une des civic tech les plus complètes du marché, elle propose beaucoup d'outils qui fonctionnent sous le mode du logiciel libre et ouvert et elle est parfaitement compatible avec le RGPD au niveau de la protection des données. Au niveau des serveurs, nous avons dû migrer suite à l'affluence du premier jour et nous sommes en train de stabiliser la situation.

La colonne vertébrale de votre initiative repose sur la construction d'une société "plus écologique, plus démocratique, plus solidaire". Parmi les 11 thèmes soumis à débat, beaucoup sont aujourd'hui très connotés à gauche, comme l'idée d'une consommation plus responsable, d'une solidarité européenne ou l'Etat-providence qui soutient plus fortement les services publics... La crise du coronavirus, c'est l'opportunité de redécouvrir, de s'approprier et de dépolitiser ces thématiques aujourd'hui incarnées par la gauche et pas vraiment par Emmanuel Macron ?

Ce sont surtout des propositions de bons sens et d'humanité. Matthieu Orphelin, Aurélien Taché et moi-même avons effectivement une certaine sensibilité de gauche, mais nous sommes vraiment dans une démarche d'unité nationale. Le débat public évolue. A la lueur de la crise, il semble y avoir un consensus ou du moins une volonté très largement partagée dans la population d'avoir de meilleurs services publics, un Etat plus fort, davantage d'écologie. Les députés signataires de tous bords politiques qui nous ont rejoints sont aussi d'accord avec cela. Il faut que tout le monde s'approprie et dépolitise ces thématiques car après la crise du coronavirus, le débat public ne peut plus porter sur "faut-il d'avantage d'écologie et de solidarités" mais plutôt sur comment on fait. La crise du coronavirus bouge les lignes du débat politique.