Pourquoi les Français se méfient d'Internet comme de la peste

Par Sylvain Rolland  |   |  1105  mots
"L'enjeu pour les entreprises est d'intégrer l'idée qu'elles seront plus attractives et compétitives si elles prennent en compte la dimension de confiance dans l'économie numérique", a indiqué la secrétaire d'Etat au Numérique et à l'Innovation, Axelle Lemaire, lors de la présentation du baromètre.
Même si les Français utilisent massivement Internet dans leur vie quotidienne, leur méfiance atteint de nouveaux sommets. La crainte des escroqueries et des piratages, l'inquiétude autour de la collecte et de l'utilisation des données personnelles par les entreprises, n'ont jamais été aussi importantes, note le cinquième Baromètre de la confiance des Français dans le numérique.

Le désamour perdure et s'accroît entre les Français et Internet. L'an dernier, la 4è édition du Baromètre de la confiance des Français dans le numérique notait déjà qu'ils s'en méfiaient comme la peste. Mais dix-huit mois plus tard, le fossé s'est encore élargi, de manière parfois spectaculaire.

Réalisée par l'institut Harris Interactive pour l'Association pour le commerce et les services en ligne (Acsel) et la Caisse des dépôts, la 5è édition du fameux baromètre constate un paradoxe. D'un côté, l'utilisation d'Internet se généralise dans la population. 87% des Français surfent sur la Toile tous les jours pour acheter, consulter l'actualité et les réseaux sociaux, effectuer des démarches administratives ou encore vérifier ses comptes. Cette proportion atteint même 100% chez les 15-24 ans, 99% chez les 25-39 ans, et 91% chez les 40-59 ans. Quant aux séniors, ils s'y mettent de plus en plus. En un an, la proportion de sexagénaires utilisant tous les jours Internet est passée de 73% à 76%, et de 32% à 38% chez les plus de 70 ans.

"On atteint un palier, sauf auprès des plus âgés par effet de rattrapage. Mais Internet est désormais généralisé et on ne peut plus revenir en arrière. Toutes nos activités quotidiennes sont impactées par le numérique", analyse Cyril Zimmermann, le président de l'Acsel.

La confiance à des niveaux historiquement bas

D'un autre côté, la confiance dans les services qui sont pourtant utilisés tous les jours par les Français n'a jamais été aussi basse. Ainsi, 63% des sondés n'ont pas confiance dans l'usage d'Internet (37% de confiants, dont seulement 4% de très confiants). Un record depuis la création de l'indice, il y a neuf ans. Paradoxal ? En fait, les Français sont plutôt résignés, estime l'étude. Près de neuf sur dix (87%) se disent conscients des dangers à utiliser Internet, mais reconnaissent qu'ils ne peuvent s'en passer et préfèrent passer outre leurs craintes pour bénéficier de services numériques. Le pragmatisme avant tout.

Les niveaux de confiance diffèrent selon les services utilisés. L'étude remarque que plus l'usage est généralisé et régulier, plus la confiance est importante. Ainsi, l'e-administration (impôts en ligne, Sécurité sociale, inscriptions scolaires...) élimine progressivement les réticences du public : 75% des Français font confiance en ces services (+8 points en 18 mois). Le e-commerce et la consommation collaborative (sites de trocs, d'échanges, covoiturage, petites annonce...) progressent eux-aussi, même si les niveaux de confiance sont à peine bons : 58% pour le e-commerce (+14 points) et 55% pour la consommation collaborative (+11).

En revanche, plusieurs secteurs peinent à inspirer la confiance. C'est le cas de la banque en ligne, qui ne rassure que 61% des sondés (-11 points en 18 mois), et, surtout, des réseaux sociaux. La confiance en Facebook, Twitter, Instagram, Snapchat et les autres a chuté de 15 points, pour un score minuscule de 28%, alors que plus de 65% des Français utilisent au moins un réseau social.

« Il y a dix-huit mois, nous avions posé la question juste après les attentats de Charlie Hebdo, où les réseaux sociaux avaient été très utiles, ce qui avait entraîné une plus grande confiance. Aujourd'hui, les Français ont à nouveau une approche plus distancée », nuancent les auteurs de l'étude.

"La pression commerciale atteint un niveau de plus en plus insupportable"

"A mesure que la société se numérise, la population perçoit de plus en plus clairement les risques de piratages, les dangers des virus et des vols des données personnelles", explique Cyril Zimmermann. L'actualité joue aussi un rôle dans cette défiance historique. Le scandale Yahoo, qui a révélé un piratage de 500 millions de comptes en septembre, l'avertissement donné à Cdiscount par la Cnil pour sa sécurisation très légère des données bancaires, les ravages des ransomwares comme le virus Cerber, entretiennent un climat de paranoïa autour de l'utilisation de nos données personnelles.

On assiste même à un rejet des nouvelles technologies, basé sur la seule crainte d'une utilisation abusive des données personnelles et des piratages. Selon l'étude, 59% des internautes ne veulent pas voir arriver la géolocalisation dans les magasins (dont 30% "pas du tout"), même si c'est pour bénéficier d'offres promotionnelles. La même proportion ne souhaite pas non plus que les assurances récoltent des données personnelles sur le mode de vie pour ajuster leurs tarifs, même si c'est pour payer moins. 68% se disent soucieux des données récoltées par les moteurs de recherche, car ils craignent d'être traqués pour des raisons publicitaires. Trois Français sur quatre voient d'un mauvais œil la multiplication des occasions d'utiliser leurs données (cloud, objets connectés...). Bref, 83% pensent que "la pression commerciale atteint un niveau de plus en plus insupportable".

Stratégies d'évitement et peurs irrationnelles

Pourtant, si les craintes sont généralisées (81% des Français estiment que la protection des individus est insuffisante en ligne), peu d'internautes ont vécu de mauvaises expériences en ligne. 11% disent avoir été victimes d'une usurpation d'identité, et 19+% d'une fraude. Mais 7 Français sur 10 mettent en place des "stratégies d'évitement", comme effacer son historique de navigation, se connecter avec des pseudos, indiquer des données erronées dans les questionnaires ou installer un bloqueur de publicité. Une manière de se rassurer face au sentiment de perte de contrôle dans un univers dématérialisé.

"L'enjeu pour les entreprises est d'intégrer l'idée qu'elles seront plus attractives et compétitives si elles prennent en compte la dimension de confiance dans l'économie numérique", a indiqué la secrétaire d'Etat au Numérique et à l'Innovation, Axelle Lemaire, lors de la présentation du baromètre.

L'étude lui donne raison. Les citoyens sont en demande d'un engagement fort et individualisé des entreprises numériques. L'expérience montre que les utilisateurs font davantage confiance aux services qui affichent des chartes d'engagement pour clarifier la manière dont seront utilisées les données personnelles, qui mettent en avant des labels ou des garanties techniques de sécurité. Cette volonté de transparence et d'éthique s'applique bien sûr aux Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon), qui sont présents dans tous les domaines de la vie numérique et vivent du commerce des données - Apple dans une moindre mesure), mais aussi de tous les sites d'e-commerces, organismes et plateformes numériques.