Escroqueries financières : Warning Trading traque pour vous les cybercriminels

Créée en 2014, Warning Trading propose à ses clients arnaqués par des courtiers peu scrupuleux de retrouver la trace de leur argent. Depuis quelques semaines, elle propose également le service Check&Pay, qui passe au crible chaque courtier avant d’effectuer un virement, et qui ambitionne de s’étendre à tous les types d’escroqueries sur Internet.
Sylvain Rolland
Depuis 2009, les escroqueries financières ont représenté 4,5 milliards d'euros en France et aurait touché près de 3 millions de personnes, estime l'Autorité des marchés financiers (AMF)

Tout commence par une arnaque. Depuis qu'il a touché un "petit pactole" suite à l'introduction en Bourse, en 2007, du site seloger.com, où il était directeur commercial, Nicolas Gaiardo, 40 ans, s'est jeté "à corps perdu" dans le monde électrifiant de la finance. "Avide de sensations fortes", fasciné par les montagnes russes émotionnelles de la Bourse, il investit à tout va, gagne beaucoup un jour, perd beaucoup le lendemain. Plus il prend de l'assurance, plus il s'oriente vers des produits risqués comme les warrants, les turbos, les marchés CFDs... "Je voulais toujours plus de levier avec moins de capital investi, et donc plus de risque", explique celui qui se définit aujourd'hui comme un "trader repenti".

Comme beaucoup d'investisseurs débutants, Nicolas Gaiardo est sollicité de toutes parts par des courtiers, qui lui promettent monts et merveilles. "Grisé par leurs belles musiques", l'inévitable se produit en 2010, lorsqu'il tombe sur un faux courtier, domicilié à l'étranger, qui l'incite à investir 30.000 euros... qu'il ne reverra pas. Une arnaque banale, très répandue parmi les boursicoteurs. Voyez plutôt : selon l'Autorité des marchés financiers (AMF), les escroqueries financières ont représenté un montant total de plus de 4,5 milliards d'euros depuis 2009, en France.

Un blog qui devient une entreprise rentable

Après son arnaque, Nicolas Gaiardo se tourne vers des avocats. Dépité par les frais énormes demandés (l'arnaque dans laquelle il est tombé est un réseau mondial), il décide de créer un blog, Warning Trading, pour partager son expérience et alerter d'autres investisseurs sur les dangers des courtiers malhonnêtes. Rapidement, d'autres victimes d'escroqueries financières le contactent et lui demandent de l'aide. Miser sur le Forex, trader via des options binaires, investir dans des terres rares ou des métaux précieux, placements soi-disant à haute rentabilité, crédits faciles... les bons plans bidons sont légion sur internet.

Le blog se transforme alors en entreprise, baptisée Net & Law. Son crédo : informer, via le site  Warning Trading, et aider les victimes à retrouver la trace de leur argent, via un service payant baptisé Brocker Defense. Des juristes, salariés de l'entreprise, interviennent auprès des instances bancaires pour rapatrier les fonds. "Nous avons aidé 750 victimes d'escroqueries, qui ont perdu 45.000 euros en moyenne, mais chez certains, la perte peut aller jusqu'à 2 millions d'euros", précise Nicolas Gaiardo, qui fait travailler 12 personnes (essentiellement des juristes et 3 enquêteurs), et qui a dégagé un chiffre d'affaires de 450.000 euros en 2015, en progression de 30% par rapport à 2014.

Vérification en amont

Depuis quelques semaines, la société propose aussi un nouveau service, Check&Pay. "Nous nous sommes rendus compte qu'il manquait une brique à notre chaîne, celle de la prévention", explique le fondateur et PDG. Pour 25 euros, une personne qui s'apprête à effectuer un virement via un courtier obtient des informations comme la vérification de son inscription à l'AMF (obligatoire), le contrôle des informations légales de l'entreprise et l'existence éventuelle de litiges. Une enquête de base qui permet de repérer une arnaque, à l'heure où les cybercriminels, souvent basés dans des réseaux à Chypre ou en Israël, rivalisent d'inventivité pour rendre leur affaire plausible.

Si l'investissement est très important, le client peut aussi souscrire à une offre à 250 euros pour obtenir une enquête plus poussée : recherche approfondie sur l'identification de tous les dirigeants de la société de courtage. Enfin, une dernière offre, sur devis, permet de s'offrir une enquête très poussée, avec déplacement sur le terrain (même à l'étranger) et vérification des comptes de l'entreprise de courtage.

A l'avenir, Check&Pay a même vocation à s'étendre à tous les types de transactions sur internet, pas seulement celles concernant la finance. Problème : pour utiliser ce service, encore faut-il avoir été sensibilité aux dangers des escroqueries. "Il est vrai que les escroqueries sur internet, c'est comme le cancer : on s'y intéresse pas vraiment avant d'y être confronté", admet Nicolas Gaiardo.

Comment fonctionnent les escroqueries financières ?

Lors de la conférence commune du gendarme boursier (l'AMF), de celui des banques (l'ACPR), de la Direction de la répression des fraudes (DGCCRF) et du procureur de la République du tribunal de Paris, le 31 mars 2016, le procureur François Molins a détaillé le fonctionnement des escrocs du trading :

"Les arnaques du Forex relèvent de l'escroquerie organisée, car ils opèrent en réseaux et s'appuient sur un mécanisme de blanchiment à grande échelle. Ils ouvrent des comptes dans des banques situées dans des pays coopératifs de l'Union européenne, puis virent immédiatement l'argent reçu vers des pays étrangers non-coopératifs. Cela leur permet de faciliter le détournement d'argent, d'entraver l'action de la justice pour semer les enquêteurs et les obliger à recourir à une coopération internationale longue et difficile".

Concrètement, les escrocs du trading appâtent leur proie à l'aide de publicités qui apparaissent sur de nombreux sites et même des médias grand public comme Facebook et Twitter. Ils utilisent de faux noms, de fausses identifications auprès de l'AMF et appellent depuis des centres d'appels situés à l'étranger, notamment à Chypre et en Israël, tout en affichant des numéros de téléphones français et de fausses adresses IP pour l'envoi de messages électroniques.

Flou législatif, recours limités

Un autre type d'arnaque très répandu est ce que les policiers appellent "la retape". Il s'agit de contacter les victimes d'arnaques en usurpant les logos et accréditations d'organismes comme la Banque de France, l'ACPR ou la Commission des sanctions. Ces escrocs prétendent les aider à recouvrer les perte subies sur des sites de trading, ou à rapatrier les sommes soi-disant séquestrées dans un pays tiers, mais leur demandent de verser préalablement des fonds.

Une situation d'autant plus frustrante pour les victimes qu'il est difficile de lutter contre les escrocs. Les poursuites judiciaires sont longues et difficiles. "Nos moyens juridiques sont assez limités, déplorait Benoît de Juvigny, le secrétaire général de l'AMF, lors de la conférence du 31 mars. Nous pouvons bloquer les sites, en fermer quatre ou cinq par an, mais c'est une goutte d'eau, d'autant plus que nous ne pouvons pas fermer les sites qui opèrent depuis Chypre dès lors qu'ils ont un agrément".

En revanche, lutter contre les publicités qui mènent sur des sites frauduleux est un levier qui, pour l'instant, n'a pas été actionné en France. Cela pourrait être remédié avec la loi Sapin II. Le texte prévoit d'interdire "toute forme de communication à caractère promotionnel par voie électronique", c'est-à-dire les courriels et bannières publicitaires, portant sur les instruments financiers risqués, comme les sites de trading Forex et d'options binaires.

Une initiative qui sera peut-être à même de faire baisser le nombre d'arnaques, en constante progression en France depuis 2010 avec 1656 réclamations déposées auprès de l'AMF juste en 2015... Soit 25 fois plus qu'il y a cinq ans.

Sylvain Rolland

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