Les Millennials, un casse-tête pour les marques

Par Sylvain Rolland  |   |  1537  mots
Une publicité de Pepsi est devenue virale en avril dernier, pour les mauvaises raisons. « Ils ont tenté d'être cool, de mettre en scène l'insouciance présumée des Millennials, mais ils n'ont rien compris à cette génération.», selon Marjolaine Grondin, la cofondatrice et Pdg de la startup française Jam
La cible hyper-connectée des 18-34 ans, les « Millennials », pose des problèmes inédits aux marques, qui peinent à adapter leur communication et leur marketing à cette génération qui ne consomme pas comme les précédentes. Leur défi : réapprendre « l’art de la conversation » et s’adapter aux nouveaux usages, notamment les chatbots, ces robots intelligents de plus en plus populaires sur Facebook Messenger, et les assistants personnels.

« Indécente », « pathétique », « complètement à côté de la plaque »... En avril dernier, l'américain Pepsi voulait devenir viral sur internet pour inciter les Millennials à consommer ses sodas. L'objectif a été en partie rempli : sa vidéo de 2 minutes 30 a bien tourné en boucle sur les réseaux sociaux. Mais le buzz fut un « bad buzz », dévastateur pour son image de marque.

Le producteur de boissons pensait pourtant avoir coché toutes les cases pour faire rêver les 18-30 ans, sa cible prioritaire. Le clip met en scène le mannequin Kendall Jenner, icône de la jeune génération. La jeune femme participe à un shooting photo glamour lorsqu'elle remarque la présence d'une manifestation. Ni une ni deux, le regard ténébreux d'un protestataire l'incite à arracher sa perruque blonde et à se joindre spontanément à la lutte... pour tendre une canette à un policier. « L'effet Pepsi » transforme alors la manifestation en joyeuse fête, tout le monde riant ensemble en parfaite harmonie.

Diffusée alors que de nombreuses manifestations contre le racisme ou pour les droits des femmes se tenaient aux Etats-Unis, la publicité a totalement ringardisé Pepsi. « Les protestataires ont déjà tenté de donner des boissons à la police, ça n'a rien changé », a tweeté le journal anglais The Independent, avec une vidéo de violences policières. « Qui a validé l'idée d'utiliser les problèmes raciaux pour vendre du faux Coca ? » se demandait, perplexe et indignée, une internaute française.

L'erreur fatale de Pepsi ? « Ils ont tenté d'être cool, de mettre en scène l'insouciance présumée des Millennials, mais ils n'ont rien compris à cette génération. Aucun Millennial n'a certainement participé à l'élaboration de ce clip », tranche Marjolaine Grondin, la cofondatrice et Pdg de la startup française Jam, un bot conversationnel au service des marques sur Facebook Messenger.

Vendre des « valeurs », le nouveau défi des marques

Communiquer avec les Millennials (un terme qui désigne la génération née entre 1980 et 2000, et plus précisément les 18-34 ans) est un vrai challenge pour les marques. Ces « digital natives », qui ont grandi avec la révolution numérique, ne pensent ni ne consomment comme aucune autre génération avant elle. La France compte 16 millions de Millennials, le monde 2,3 milliards. Cette génération représentera 75% des actifs en 2030, et donc une grande partie du pouvoir d'achat.

Au-delà des clichés, les comportements communs des Millennials ont été analysés par de nombreuses études. Ils révèlent en réalité davantage un état d'esprit, que d'autres consommateurs plus âgés peuvent partager, qu'une classe d'âge. Leurs valeurs : l'éthique et la technologie. Leur paradoxe : boulimiques du digital, un smartphone greffé à la main, ils rêvent aussi de déconnexion totale en pleine nature. Leurs idoles sont Steve Jobs et Bill Gates, des entrepreneurs qui ont changé les usages avec l'idéal -soumis à débat- d'améliorer la société.

Pour 62% d'entre eux, il est primordial de travailler dans une entreprise ou une institution dotée d'un « fort impact social et environnemental ». Les Millennials s'exposent sur les réseaux sociaux, communiquent via les applis de messageries comme Facebook Messenger, Snapchat et WhatsApp, désertent la télévision traditionnelle et bloquent les publicités en ligne. Surtout, ils veulent consommer différemment, qu'il s'agisse d'alimentation (plus sain, avec des circuits courts) ou de produits et de services.

« Nous sommes une génération en quête de sens dans le travail et dans notre manière de consommer », explique Marjolaine Grondin. Les marques doivent incarner des valeurs, nous ressembler, car les Millennials achètent une identité, un style de vie ».

A l'image de Pepsi, les marques sont pourtant totalement désorientées. Elles doivent repenser leur stratégie d'acquisition et surtout, de fidélisation de ce public volatile, en abandonnant leurs vieux réflexes de communication et de marketing, qui se révèlent spectaculairement inefficaces - la faute, aussi, à un manque de renouvellement générationnel dans les grandes entreprises.

Ainsi, d'après une enquête YouGov pour GT Nexus publiée en janvier 2017, 72% des 18-34 ans n'hésitent pas à changer de marque si celle-ci ne correspond plus à leurs « valeurs » : la qualité des produits bien sûr, mais aussi leur disponibilité, les conditions de travail des employés qui les produisent et la démarche éco-responsable de l'entreprise.

Ce qui n'est pas sans paradoxe : Apple, l'une des marques préférées des Millennials d'après Accenture, n'est pas réputé pour les excellentes conditions de travail des ouvriers qui assemblent ses produits en Chine. Et Coca-Cola, autre pensionnaire du Top 10, incarne davantage la malbouffe que le bio. Mais les deux marques touchent les Millennials car elles vendent un "style de vie" et communiquent sur des valeurs, notamment Coca-Coca qui axe toutes ses campagnes non pas sur son produit, mais sur la convivialité.

Les messageries instantanées, une « rupture culturelle » pour les marques

Julien Nicolas, le directeur France de Voyages-Sncf.com, confirme. « Nous ne sommes plus dans l'ère de la proposition mais dans celle de la conversation », estime-il. Pour survivre, les marques doivent donc accompagner la mutation des usages et « se positionner là où sont les clients d'aujourd'hui et de demain », c'est-à-dire sur les plateformes de messageries comme Facebook Messenger (1 milliard d'utilisateurs mensuels dans le monde), Instagram (600 millions), Twitter (319 millions) ou encore Snapchat (161 millions, mais utilisé par un jeune de moins de 30 ans sur deux aux Etats-Unis). C'est sur ces plateformes que les marques doivent être pertinentes si elles veulent recruter et fidéliser les Millennials.

L'arrivée, depuis avril 2016, de plus de 50.000 bots sur Facebook Messenger, c'est-à-dire des robots conversationnels qui discutent de manière organique avec les utilisateurs, est perçue comme une opportunité majeure pour les marques, qui y voient l'occasion de réinventer « l'art de la conversation » avec leurs clients. Grâce aux bots, le consommateur pourra bientôt effectuer un achat, réserver son train, son taxi, son billet de cinéma, sa chambre d'hôtel, placer ses paris en ligne ou gérer son abonnement en énergie en quelques questions-réponses, non pas avec un agent humain, mais avec un logiciel dopé à l'intelligence artificielle, enrichi et supervisé par l'homme, capable de répondre à n'importe quelle question 24 heures sur 24 et sept jours sur sept.

« Les messageries instantanées sont une rupture culturelle qui ringardisent le service client, le marketing ou encore le merchandising, et change tous nos métiers », explique Julien Nicolas. Si leur efficacité et leur capacité à s'intégrer de manière naturelle dans une conversation peine encore à être satisfaisante, les bots, tout comme la commande vocale, les assistants personnels comme Alexa d'Amazon, Google Home ou le futur HomePod d'Apple, sont la prochaine révolution du service client.

Maîtriser « l'art de la conversation », un impératif

Problème : encore faut-il maîtriser ces nouveaux usages. Adapter son ton, fournir le bon service, au bon moment, à la bonne personne. C'est le créneau de la startup Jam, avec son bot conversationnel intégré à Facebook Messenger au service des marques. La startup, créée et dirigée par des Millennials, revendique plus de 100.000 utilisateurs, répartis parmi sa dizaine de clients, dont Airbnb, Accor Hôtels, la Maaf ou encore la SNCF. « La conversation est la nouvelle interface, mais maîtriser l'art de la conversation pour s'adresser aux Millennials est plus complexe qu'il n'y paraît », indique Marjolaine Grondin, la Pdg et cofondatrice.

Marion Mauduit, la responsable du marché Jeunes à la direction du marketing de la Société Générale, l'admet sans détour : « En tant que banque, on a du mal à parler aux jeunes, qui nous perçoivent comme « chiants », synonyme de contrainte et de complications ». La banque a adopté il y a quelques mois les services de Jam.

« On teste un chatbot pour les démarches simples des clients afin de désengorger les conseillers, poursuit la jeune trentenaire. Mais c'est compliqué, car on a besoin d'un outil très mature, que nous pouvons raccrocher à nos systèmes d'information, de traitement des données personnelles, qui soit totalement sécurisé... »

Pour l'heure, Jam aide surtout la Société Générale à « sensibiliser » les jeunes sur les sujets bancaires (prêts, gestion de l'argent...) et à « les accompagner de manière plus naturelle » sur les sujets en lien avec les besoins financiers, comme le logement, l'emploi ou un départ à l'étranger.

« J'espère que cela nous rendra plus agiles et nous permettra de mieux comprendre leurs besoins et ce qu'ils attendent de l'institution bancaire, car la concurrence est rude, y compris avec les Fintech, et les Millennials sont les gros clients de demain », poursuit-elle. Avant de conclure :

« La rigidité et la déconnexion de nombreuses grandes entreprises les ont fait rater la nouvelle génération de consommateurs, laissant le champ libre à des acteurs plus souples et numériques. Après les avoir mis dehors, nous devons maintenant les faire revenir. »

Une autre étude récente, réalisée par Kantar Media et Kantar Millwardbrown, révèle aussi que 75% des Millennials estiment que les marques ont tellement peu de sens qu'elles finiront par disparaître. Il y a urgence.