Guerre des nerfs sur la copie privée

Par Sandrine Cassini  |   |  781  mots
Manifestation pour la copie privée et le logiciel libre (AFP)
Les industriels veulent s'en remettre à une autorité indépendante pour fixer les sommes à verser aux ayants droits, au titre de la copie des œuvres dans un cadre personnel. En raison d'une question prioritaire de constitutionnalité, le gouvernement pourrait être forcé de revoir le système.

Après des années de guerre, créateurs et industriels ont atteint un point de retour sur la copie privée, dispositif visant à rémunérer les ayants droit pour les copies des oeuvres réalisées dans un cadre personnel. Au point que les industriels - fabricants de DVD, de tablettes et autres disques dur externes - ont proposé mardi matin de sortir du système actuel. « Il faut une autorité indépendante qui évalue le préjudice et qui liste les appareils concernés par la taxe», a indiqué Marc Héraud, du SNSII, le syndicat qui représente les produits de l?image. Les industriels suggèrent aussi de se charger de la collecte des fonds, actuellement assurée par Copie France, dont la mission est de répartir les fonds aux ayants droits, et qui aurait dû mal à ramasser l?ensemble des sommes. « Même si cela représenterait pour nous un coût, nous pourrions nous assurer que tout le monde paie. Sur les disques durs externes par exemple, je suis sûr que ce n'est pas le cas», a déclaré du Bernard Heger, du syndicat de l?électronique grand public (SIMAVELEC).

Divergence de calcul

Au c?ur du problème: le calcul des sommes versées par ayants droits aux professionnels. « Ils pensent que la copie privée leur coûte 820 millions d?euros, et nous, nous évaluons plutôt le préjudice entre 40 et 80 millions d?euros. Quelle que soit la partie, nous sommes en plein conflit d?intérêts. On ne peut pas décider soi-même de son salaire », admet Marc Héraud. En toute logique, chacun tire dans son sens, les ayants droits ayant intérêt à maximiser les montants et les industriels à les minimiser.

Bataille dans les tribunaux

Depuis la loi Lang de 1985, qui a instauré ce système au moment du boom des supports vierges comme la cassette, les décisions sont censées être prises de manière paritaire dans le cadre de la Commission copie privée : les ayants droits disposent de 12 sièges, les industriels et les associations de consommateurs ayant 6 sièges chacun. « Certains associations de consommateurs sont affiliées aux ayants droits », a de nouveau assuré Bernard Heger, une affirmation régulièrement contestée par les ayants droits, SACD en tête. Du coup, les deux parties s?affrontent régulièrement devant les tribunaux et le conseil d?Etat.

Une vaste réforme en vue?

Cette fois, le nouveau gouvernement pourrait ne pas pouvoir faire l?économie d?une vaste réforme pour mettre fin à cette impasse permanente. En effet, le conseil constitutionnel examine actuellement une « question prioritaire de constitutionnalité » déposée par les industriels et qui porte sur la dernière loi de décembre 2011. Voté in extremis, ce texte avait simplement pour objectif de proroger d?une année les barèmes de rémunération adoptés en 2008, qui arrivaient à échéance. Si le Conseil invalide ce dernier dispositif, « c?est tout le château de cartes de la copie privée qui s?écroule, car les précédents barèmes ont également été contestés. Les industriels pourront alors se prévaloir de l?exception d?illégalité», a martelé Olivier de Chazeaux, l'avocat des industriels. Dans l?hypothèse où la QPC serait rejetée, les industriels se laissent la possibilité d?aller devant la commission européenne.

Au gouvernement, la culture est mieux représentée que le numérique

Si révision législative il y a, reste à savoir dans quel sens ira le gouvernement. Force est de constater que François Hollande a fait la part belle aux représentants de la culture, moins au numérique. Sylvie Hubac, l?ancienne présidente du Conseil Supérieur de la Propriété Artistique a été nommée directrice de cabinet de François Hollande. Egalement à l?Elysée, David Kessler, jusque là directeur général des Inrocks, qui fut conseiller culture de Lionel Jospin, avant de passer par France Culture, le CNC, ou France Télévisions. François Hollande n?a en revanche pas jugé utile de nommer un homologue au numérique, qui aurait remplacé Nicolas Princen. De même, la culture est représentée à Matignon par Denis Berthomier, qui était depuis 2007, administrateur général de Versailles, ce qui pourrait peser lors des interministérielles. Le numérique n?a en revanche pas de représentant. Beaucoup dépendra aussi du poids qu'aura Fleur Pellerin, ministre déléguée au numérique, face à Aurélie Filippetti, ministre de la culture et de la communication.