Franceinfo, BFMTV, iTélé, LCI : y a-t-il la place pour 4 chaînes d’info ?

Par Sylvain Rolland  |   |  1570  mots
Si Franceinfo réussit son pari, ce qui n'est pas gagné en raison de la complexité technique et éditoriale de cette nouvelle organisation, la concurrence pourrait souffrir, estiment les experts du secteur.
L’arrivée de Franceinfo, la nouvelle chaîne d’info en continu du service public, bouscule un écosystème fragile et force les BFMTV, iTélé et autres LCI à se repositionner. Mais toutes pourront-elles survivre dans un paysage médiatique saturé ?

Le vœu de Delphine Ernotte, la présidente de France Télévisions, a été exaucé. Un an à peine après avoir relancé l'idée d'une chaîne publique d'information en continu, et neuf mois après la présentation du projet devant les salariés, Franceinfo commencera à émettre sur le Canal 27 de la TNT dès le jeudi 1er septembre à 20h.

Mais y a-t-il assez de place en France pour quatre chaînes d'info en continu? Jusqu'à récemment, BFMTV et iTélé se partageaient seuls le marché, accompagnés, dans une moindre mesure, par France 24 et Euronews, plus internationales. Puis, en avril dernier, LCI a enfin été autorisé à revenir dans le jeu, en obtenant un canal gratuit sur la TNT, mais à condition de limiter ses plages dédiées à l'info en continu.

Une audience cumulée faible: entre 3% et 4,5% de parts de marché

Désormais, le trio BFMTV, iTélé et LCI, tous détenus par des groupes privés (TF1/Martin Bouygues pour LCI, Canal+/Vincent Bolloré pour iTele, Altice/Patrick Drahi pour BFMTV), doivent faire de la place à un nouvel entrant. Or, selon une étude du CSA, les audiences cumulées des chaînes d'info en Europe peinent à atteindre le seuil des 3% de parts de marché, peu importe le nombre d'acteurs. En France, la situation est légèrement meilleure. En 2015, BFMTV (2,2%) et iTélé (1%) cumulaient 3,2% de parts de marché. Mais l'audience des chaînes d'info reste confidentielle, même en cas d'actualité forte. En juillet 2016 par exemple, les attentats de Nice et de Saint-Etienne-du-Rouvray ont certes gonflé leur audimat, mais pas de manière exponentielle (2,8% pour BFMTV, 1,2% pour iTélé, 0,3% pour LCI).

"Tout l'enjeu est de savoir si le gâteau peut encore grossir avec l'arrivée d'un quatrième acteur, ou si les parts de chacun vont se réduire", résume un journaliste de BFMTV.

Se différencier pour survivre

Pour survivre, il faudra donc se différencier, estiment de nombreux analystes: "Quatre chaînes qui font du breaking news, ça ne marchera pas, il y aura des morts", pronostique l'un d'entre eux sous couvert d'anonymat.

"Si les contenus sont diversifiés et de qualité, l'offre peut créer la demande, confirme Nicolas Teisseyre, analyste sénior et responsable mondial Télécoms et Médias chez Roland Berger.

Particulièrement en France, où la population est très friande de télévision, "plus qu'aux Etats-Unis, en Asie et dans certains pays d'Europe". "Avec des offres matures et structurées autour de grands groupes, le marché peut grossir", poursuit-il.

Franceinfo, le pari de la complémentarité web-radio-TV

La nouvelle chaîne d'info du service public a compris cet impératif.

"Sur l'info brute suivie en direct, difficile de battre BFMTV, alors il faut qu'on impose une nouvelle voix, celle du service public", explique un journaliste de Franceinfo, recruté en amont du lancement.

Ainsi, derrière cette nouvelle chaîne d'info en continu se dessine une nouvelle manière d'apporter de l'information à l'ère numérique. Fruit d'un partenariat entre France Télévisions, Radio France, France Médias Monde et l'Institut national de l'audiovisuel (INA), Franceinfo fédère sous une même marque plusieurs supports : la radio (France Info), le web (le site FranceTVinfo.fr et celui de la radio, Franceinfo.fr, ont fusionné le 24 août), une chaîne d'info en continu (la nouvelle Franceinfo), ainsi que leurs applications mobiles et leurs pages sur les réseaux sociaux. Le tout pour un budget de 50 millions d'euros, quasiment autant que celui de BFMTV, mais qui ne coûterait "que" 15 millions d'euros au groupe public, en raison des redéploiements et fusions.

Cette réorganisation profonde vise à créer, selon Delphine Ernotte, "une offre numérique d'information de référence". Pour faire taire ceux qui remettent en cause son utilité, comme Nicolas Sarkozy par exemple, Franceinfo parie sur la complémentarité entre les supports.

Les JT seront diffusés chaque demi-heure et entrecoupés de rappels de titres tous les quarts d'heure. Des modules de décryptage, ainsi que des duplex réunissant l'expertise des rédactions partenaires, reviendront sur l'actualité en tentant de l'approfondir. Pour se différencier des concurrents, les journalistes du service public pourront en outre s'appuyer sur leur propre fil de dépêches, alimenté par leur immense réseau en France et à l'étranger. Depuis le site, il sera possible d'accéder au flux de la chaîne d'info, à ceux de la radio et à certains contenus de France 2 et de France 3, dont les JT. La nouvelle équipe ambitionne aussi de mieux utiliser les réseaux sociaux, notamment en créant des contenus spécifiques pour Facebook, Twitter, Snapchat (l'appli préférée des jeunes), YouTube et Instagram. De quoi, en retour, alimenter les directs de la chaîne d'info et de la radio avec des questions et des réactions des internautes...

BFMTV adopte la politique du "sniper"

Si Franceinfo réussit son pari, ce qui n'est pas gagné en raison de la complexité technique et éditoriale de cette nouvelle organisation, la concurrence pourrait souffrir, estiment les experts du secteur.

Quitte à détrôner BFMTV, l'actuel leader ? Pour l'heure, la chaîne du groupe NextRadioTV, détenu à 95% par une co-entreprise entre Alain Weill et le groupe de Patrick Drahi, Altice, aborde l'arrivée de Franceinfo dans la meilleure position. Son mode de fonctionnement est efficace et optimisé, ce qui lui permet non seulement de laminer la concurrence, mais aussi d'être la seule chaîne d'info en continu rentable (10 millions d'euros), malgré un budget de fonctionnement de 60 millions d'euros.

Pour l'heure, BFMTV s'accroche à sa ligne. Selon Hervé Beroud, le directeur de la rédaction, la chaîne du canal 15 de la TNT veut incarner "la stabilité dans le PAF", "la constance et la force". Seuls changements pour la saison 2016-2017: la mise en place de dispositifs spéciaux pour l'élection présidentielle, et davantage de contenus sportifs. "BFM a tout intérêt à prendre l'attitude du sniper, d'attendre de voir comment Franceinfo s'en sort, et réagir en conséquence", explique un analyste. Mais nul doute que l'évolution de l'audience sera scrutée à la loupe. Selon la direction de la chaîne, si BFMTV passait en-dessous de 1,5% de parts de marché, elle ne serait plus rentable.

Lifting en profondeur pour LCI

Sur le papier, l'arrivée d'un potentiel rouleau-compresseur tel que Franceinfo est une très mauvaise nouvelle pour le petit dernier, LCI, qui a essuyé des pertes au premier semestre et qui vivote entre 0,2% et 0,4% de parts de marché (PDM) depuis son retour en gratuit sur la TNT, en avril dernier. Sauf que LCI a déjà pris les devants. Depuis son retour, il met en place une stratégie similaire à celle de Franceinfo : s'appuyer sur la force d'un groupe puissant (TF1) et ses médias partenaires, pour attirer l'audience dans une logique de "marque globale multimédia".

Depuis le 29 août, LCI se conçoit comme la vitrine de l'info du groupe TF1 sur tous les écrans, du mobile à la télévision, en passant par l'ordinateur et la tablette. L'ancien site de TF1, MyTF1News, et celui de sa filiale Metronews ont fusionné et adopté la marque LCI. De fait, la rédaction de LCI (chaîne d'info + web) compte désormais près de 200 journalistes (autant que iTele, plus de 300 pour BFM), amenés à effectuer des passerelles d'un média à un autre. Pour la rentrée, la chaîne a remanié sa grille, recruté de nouveaux animateurs (dont Yves Calvi) et rafraîchi ses décors. Au total, le groupe TF1 compte investir plus de 20 millions d'euros dans la "nouvelle LCI" d'ici à la fin de l'année. Grâce à cette nouvelle formule, la chaîne espère atteindre 0,4% de PDM fin 2016, et 1% en 2019, ce qui lui permettrait d'être rentable.

iTélé, futur CNews, dans le flou

Comme LCI, iTélé va mal. La chaîne du groupe Canal+, récemment remaniée avec la délicatesse habituelle de Vincent Bolloré (c'est-à-dire avec pertes et fracas), devrait perdre 25 millions d'euros en 2016. Le climat social en interne est désastreux. Depuis le limogeage, fin août, du très controversé directeur de la rédaction Guillaume Zeller (imposé en premier lieu par Bolloré), iTélé aborde la rentrée sans patron. La chaîne a dû en outre faire face à une grève des salariés, fin juin, pour protester contre la volonté de Vincent Bolloré de se séparer des journalistes en CDD, dont beaucoup sont depuis passés à la pige.

"L'arrivée de Franceinfo nous inquiète moins que le flou sur notre avenir et sur notre propre ligne éditoriale", indique un journaliste.

C'est dans ce contexte tendu qu'iTélé va changer de nom, le 5 septembre. Dans une logique de cohérence de groupe, Canal + a obtenu du CSA de rebaptiser ses chaînes de la TNT. D8 deviendra C8, D17 se transformera en CStar (pour Canal Star) et iTélé en CNews (pour Canal News). Mais en dehors de ce rhabillage, quelle stratégie ? Le groupe Canal + avait indiqué que CNews devrait se focaliser davantage sur le décryptage et l'analyse. Comme franceinfo et LCI. Mais la feuille de route se fait toujours attendre, ce qui ne rassure pas les troupes et fait d'iTélé la chaîne d'info la plus vulnérable à l'heure actuelle.