Quand les pépites de la French Tech font les yeux doux aux expats

Par Sylvain Rolland  |   |  1202  mots
Reviens Léon espère séduire une petite partie des 40.000 Français qui travaillent dans la Silicon Valley, où ils représentent la nationalité européenne la plus courante. (Crédits : © Zoran Milich / Reuters)
#French Tech - Neuf startups françaises en hypercroissance, dont Blablacar et Sigfox, s’unissent dans la démarche d’attractivité "Reviens Léon !", pour faire revenir les Français partis à l’étranger. Un combat de longue haleine.

On peut être une vedette de la French Tech, réussir des levées de fonds de plusieurs dizaines de millions d'euros, tripler voire quintupler son chiffre d'affaires tous les ans, challenger des hippopotames de son secteur grâce à la puissance d'une innovation... mais peiner à attirer les talents.

C'est le paradoxe, frustrant, que vivent certains champions hexagonaux, de Blablacar à Drivy, leaders mondiaux du covoiturage et de la location de voiture, en passant par le numéro deux français du déstockage Showroomprivé.com, ou encore Sifgox, le numéro un mondial de la connectivité des objets.

Ces pépites bleu-blanc-rouge, ainsi que quelques autres sociétés en hypercroissance comme iAdvice, Capitaine train, Lafourchette, Dataiku et Chauffeur privé, unissent leurs forces depuis ce mercredi dans une grande initiative commune, baptisée Reviens Léon. L'objectif: réunir sur une même plateforme en ligne les offres d'emplois des entreprises partenaires et les profils (trop rares) des Français exilés dans la Silicon Valley ou ailleurs, mais qui aimeraient rentrer au bercail.

Passer de la startup à la scale-up

"Lorsqu'on qu'on vise des volumes de chiffre d'affaires beaucoup plus gros pour passer de la startup à la scale-up, on a besoin de trouver des collaborateurs qualifiés, dotés d'une expérience internationale et qui ont déjà travaillé dans des structures de ce type, explique Bertrand Jalensperger, le co-fondateur et PDG de Lafourchette, le leader européen de la réservation en ligne de restaurants. Mais il y en a peu en France, car l'écosystème n'est pas encore assez développé »

Ainsi, 3000 postes seraient à pouvoir dans les startups françaises en 2015. Ces profils à haut niveau existent, bien sûr... mais beaucoup sont partis trouver leur bonheur à l'étranger. Selon l'agence française pour le développement international des entreprises, UBIFrance, 1 million d'expatriés français ont une formation Bac +5. Et 135.000 vivent aux Etats-Unis, dont 40.000 dans la Silicon Valley, où ils représentent la nationalité européenne la plus courante. Soit un vivier important de recrues à aller chercher par le col.

Accompagner le retour

Pour convaincre ces enfants prodiges de faire preuve de patriotisme économique, Reviens Léon prévoit la mise en place d'aides concrètes. En plus des offres d'emplois(58 ce mercredi) et des fiches pratiques disponibles sur le site, la plateforme propose un accompagnement personnalisé pour gérer la paperasse administrative, trouver une école pour les enfants ou encore s'en sortir dans les méandres de la fiscalité française.

Le programme durera au moins trois ans et ne se dote pas vraiment d'objectifs : "quelques dizaines" de recrutements la première année. Il sera financé par les entreprises membres et par le gouvernement via la French Tech, l'organe qui promeut le développement de l'écosystème d'innovation français.

Pourquoi "Reviens Léon", au fait? En référence à la fameuse publicité de Panzani diffusée en 1984, qui scandait "Reviens Léon, j'ai les mêmes à la maison !". L'idée vient de Frédéric Mazella, le patron et fondateur de Blablacar.

"En novembre dernier, lors d'un voyage dans la Silicon Valley, je me suis rendu compte qu'il y avait beaucoup de Français dans les startups américaines, et qu'ils étaient contents de découvrir que d'autres Français ont eux aussi la fibre startup", explique le quadra, qui est passé de 60 employés il y a deux ans à 300 aujourd'hui, et qui compte recruter jusqu'à 60 nouveaux collaborateurs en 2015. "Certains de ces expatriés, pour des raisons essentiellement familiales, aimeraient rentrer au pays, mais ils pensent qu'ils ne trouveront pas un job aussi intéressant, dans des sociétés aussi dynamiques. A nous de leur montrer qu'ils ont tort !"

Changer l'image de la France

Lucides, les pépites de la French Tech ne tenteront pas de débaucher des "Léon" heureux en poste.

"On a conscience qu'on aura du mal à rivaliser car on ne peut pas proposer des salaires aussi élevés qu'à San Francisco, New York ou Londres, admet Bertrand Jalensperger, de Lafourchette. Mais on peut attirer l'expat qui a des enfants et qui souhaite leur donner une double-culture, ou simplement quelqu'un qui a le mal du pays. Ce qu'il va perdre en salaire, il peut le gagner sur le coût des études, le remboursement des soins de santé et tous les avantages de vivre dans un pays qui a la culture de l'Etat fort".

Tout l'enjeu pour l'initiative Reviens Léon est donc de contribuer à changer l'image de la France à étranger. Malgré les progrès récents dans l'entreprenariat et l'innovation, les performances de la French Tech peinent toujours à trouver un écho hors des frontières hexagonales, et encore moins de l'autre côté de l'Atlantique.

Pourtant, les atouts de l'écosystème d'innovation français ne manquent pas, même s'ils restent modestes par rapport à la puissance d'attraction de la Silicon Valley. Tous les ans, 1500 startups se créent à Paris. La ville-lumière, riche de 100 000 mètres carrés d'incubateur, ambitionne de devenir l'eldorado mondial des entrepreneurs. L'Etat, via le label French Tech ou la Banque publique d'investissement (BPI), multiplie les aides au financement et ne ménage pas ses efforts pour permettre aux entrepreneurs de se développer.

Dans son baromètre des startups 2014, le cabinet de conseil Ernst & Young notait même que les startups numériques explosent leur chiffre d'affaires tous les ans, notamment car elles trouvent de plus en plus de business angels pour les financer. « Les Français qui se sont installés à l'étranger, et notamment aux Etats-Unis, ont de la France une image qui ne correspond plus à la réalité », déplore Frédéric Mazella.

La French Tech au défi de l'attractivité

Le lancement de Reviens Léon coïncide avec celui, la semaine dernière, du Paris French Ticket, porté par la Ville de Paris et l'Etat. Ce dispositif vise à fournir à des entrepreneurs étrangers une bourse renouvelable de 12500 euros pour six mois, une aide à l'obtention d'un visa, un accompagnement sur-mesure et un hébergement dans un des 40 incubateurs de la capitale. Avec pour objectif d'attirer en France les meilleurs talents internationaux pour qu'ils y créent de l'activité et des emplois.

Utopique? Axelle Lemaire, très active sur le front du soutien aux startups innovantes, estime que le vent tourne.

"La période de psychose décliniste qui poussait les Français à partir et les étrangers à considérer la France comme une terre morte est terminée, se persuade la secrétaire d'Etat en charge de l'économie numérique. Désormais, nous sommes confrontés au défi des ressources humaines, car la capacité à attirer ou à faire revenir les meilleurs talents révèle la force d'un écosystème d'innovation".

En attendant, les exilés seront peut-être difficiles à convaincre. Selon un sondage de 2013, 40% des Français travaillant à l'étranger n'auraient aucune intention de revenir en France. Et Londres ou la Silicon Valley attirent toujours en masse les jeunes diplômés, comme le montre une récente étude du Laboratoire interdisciplinaire d'évaluation des politiques publiques (Liepp) de Sciences Po, qui révèle que l'expatriation des diplômés augmente de 3 à 4% par an depuis dix ans.