Sous le vernis du "cool", l'univers impitoyable des startups

Par Sylvain Rolland  |   |  580  mots
Mathilde Ramadier auteur du livre "Bienvenue dans le nouveau monde : comment j'ai survécu à la coolitude des startups".
Mathilde Ramadier, Valentinoise de 29 ans, a travaillé pendant quatre ans dans une douzaine de startups à Berlin. Elle raconte cet « enfer » dans un livre et espère que son témoignage va délier les langues.

Les médias ont déjà dénoncé des conditions de travail peu reluisantes des chauffeurs d'Uber ou des startups de livraison à domicile, qui « disruptent » un secteur en instaurant une nouvelle forme de précarité. Mais pour Mathilde Ramadier, 29 ans, diplômée en communication et en philosophie, ce phénomène touche l'ensemble des startups et incarne plutôt le « capitalisme sauvage » de la révolution numérique.

Expatriée à Berlin en 2011, la jeune auteure originaire de Valence a besoin de jobs d'appoint pour vivre et lui permettre de travailler sur ses projets artistiques. Elle se tourne alors vers les startups, qui dégagent une aura « cool » et « moderne », et font rêver de nombreux jeunes en quête de sens dans leur travail. Pendant quatre ans, elle multipliera les petits contrats dans une douzaine de pépites allemandes ou de filiales de startups américaines. Autant de désillusions, décrites dans le détail dans un livre au vitriol.

Novlangue abrutissante et salaires de misère

Pour Mathilde Ramadier, le « cool » tant vanté est un miroir aux alouettes. Le CDI ? Une illusion quand on n'est pas ingénieur, data scientist ou doté d'un profil technique que les startups s'arrachent. Engagée en tant que Content Manager (responsable des contenus), la jeune femme s'occupe de communication et de marketing et passe son temps à écrire ou à traduire des textes, jusqu'au bore-out (l'inverse du burn-out, ou quand l'ennui d'une tâche répétitive conduit à la dépression). Elle enchaîne les missions en tant qu'indépendante et les CDD souvent mal rémunérés (960 euros brut pour un quatre cinquième, par exemple). Son plus long contrat durera six mois.

Les expériences de la Française dépeignent un univers féroce, ultracompétitif, cynique et absurde. Dans le monde merveilleux des startups, les dirigeants abusent d'une « novlangue abrutissante », à coups d'intitulés de postes vides de sens (tout le monde est manager ou chief de quelque chose) et d'euphémismes comme le poste de « réparateur de bonheur » pour désigner le responsable du service client, ou celui d'office manager pour l'hôtesse d'accueil.

Selon Mathilde Ramadier, l'« idéologie startup », qui consiste à vouloir changer le monde grâce à la technologie, aboutit en réalité à la mise en place d'un « asservissement de l'individu », rendu acceptable par un management prétendument moderne. Les bonbons et cafés à volonté, les afterworks entre collègues, les citations d'entrepreneurs célèbres punaisées sur les murs, le mythe de l'absence de hiérarchie (alors que tout est « fliqué »), créent selon elle un environnement infantilisant et très compétitif, où la vie privée est sacrifiée sur l'autel de la course à l'innovation, et où les employés les plus méritants, repérés par des logiciels de mesure de la performance, reçoivent des récompenses tandis que les autres sont réprimandés, culpabilisés, voire renvoyés sans ménagement.

Ce portrait sans concessions, que la jeune femme généralise volontiers à l'ensemble des startups, reste toutefois l'expression de sa seule expérience.

« Beaucoup croient sincèrement en leur travail, y compris les PDG et ceux qui dirigent », a tenu à préciser la jeune femme, lors de son passage dans l'émission 28 Minutes sur Arte. « Mais une minorité vit très mal ces conditions de travail, et il faut le dénoncer », a-t-elle conclu.

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>> REVOIR L'ENTRETIEN DE MATHILDE RAMADIER PAR 28 MINUTES (Fév 2017)