La triste fin de Didier Lombard à France Télécom

Par Jean-Baptiste Jacquin  |   |  859  mots
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L'ex-PDG de l'opérateur téléphonique a annoncé ce mercredi matin qu'il quittait définitivement l'entreprise. Son maintien, en tant que conseiller salarié de Stéphane Richard, nouveau PDG, avait suscité un tollé. Retour sur le divorce entre Didier Lombard et le corps social de France Télécom.

Sans attendre que la polémique dégénère, sans vouloir prendre le risque de provoquer une nouvelle crise aux conséquences mal contrôlable, Didier Lombard jette l'éponge. « Dans l'intérêt de France Télécom, entreprise à laquelle j'ai consacré la plus grande partie de ma vie professionnelle, j'ai décidé de renoncer aujourd'hui aux fonctions de conseiller qui m'ont été proposées, lorsque j'ai remis mon mandat de président du conseil d'administration, et de quitter l'entreprise », annonce-t-il dans un communiqué diffusé mercredi matin.

L'ex PDG de l'opérateur télécom historique, avait annoncé dans « La Tribune » le 11 février qu'il abandonnait avec quatre mois d'avance sur calendrier son mandat de président. Mais il comptait rester en tant que salarié, notamment pour préparer un projet pour aider les entrepreneurs en France. Une sorte de grand incubateur auquel France Télécom aurait d'ailleurs participé.

500.000 euros de salaire brut

Mais les conditions financières de ce maintien ont suscité l'émoi des organisations syndicales du groupe. Selon la CGC-CFE-UNSA, sans doute l'organisation la plus virulente à l'égard de Didier Lombard, son salaire annuel brut en tant que conseiller de Stéphane Richard, le nouveau PDG, atteint 500.000 euros. Ce syndicat a même lancé la semaine dernière une pétition «Lombard dégage ! ». Les syndicats soupçonnaient également l'ex-patron, aujourd'hui âgé de 69 ans, de rester afin de pouvoir toucher ses stock-options.

La CFDT a estimé dans un tract qu'il serait « inconcevable que Didier Lombard bénéficie d'aménagement de fin de carrière ou d'accompagnement financier à son départ, en décalage avec ses résultats de gouvernance sociale. ». Et lundi, c'est la présidente du Medef, Laurence Parisot, qui l'a incité à partir au nom des bonnes règles de gouvernance.

Incapacité à sortir de l'analyse statistique des suicides

Didier Lombard qui avait succédé en février 2005 à Thierry Breton à la tête de France Télécom s'était empêtré à l'automne 2009 dans la crise sociale soulevée par une série de suicides de salariés du groupe. Sa gestion de la crise lui avait été reprochée, ainsi que sa responsabilité dans les pressions, jugées parfois excessives, sur les personnels. C'est ce qui l'avait amené à céder à Stéphane Richard la direction générale du groupe il y a tout juste un an. Lui, conservant la présidence.

Ingénieur visionnaire, il s'est en fait avéré incapable de sortir de l'analyse statistique des suicides parmi le personnel. De fait d'un point de vue comptable, il n'y a pas eu plus de suicide chez France Télécom qu'ailleurs. Et les années 2008/2009 s'étaient d'ailleurs avérées moins noires que les précédentes. Et le nombre de drame n'a pas baissé en 2010 avec l'arrivée de Stéphane Richard aux commandes. Mais le traumatisme social provoqué par la prise de conscience collective de ces drames, à l'occasion du coup projecteur médiatique, n'a pas été mesuré par Didier Lombard.

"France Télécom, c'est tout pour moi"

Aujourd'hui encore, il est convaincu du caractère injuste de cette crise qui, pense-t-il, n'aurait jamais existé sans la volonté des syndicats Sud et CGC d'en faire une campagne. D'ailleurs, dans l'interview publiée le 11 février dans « La Tribune » il affirmait : « le sujet est encore trop sensible pour en tirer sereinement des conclusions définitives ». Même s'il nous avait déclaré, la gorge étranglée par un sanglot, « c'est quelque chose qui reste très douloureux. France Télécom, c'est tout pour moi. »

En fait, l'incompréhension entre l'ex patron et son corps social sur cette « affaire des suicides » reste entière. Il écrit dans le communiqué de ce jour : « Dans ce monde en pleine mutation, je suis persuadé que le tournant qui a été pris il y a quelques années a été le bon. Je regrette les souffrances et sans doute aussi les incompréhensions liées au besoin impérieux de changements. »

Didier Lombard estime qu'il n'avait d'autre choix que de mettre la pression pour transformer l'ex service public et l'amener sur les nouveaux métiers alors que l'Etat actionnaire avait décidé de garantir le statut des fonctionnaires lors de la privatisation de l'opérateur. De fait, les plans de suppression d'effectifs ont été sensiblement moins lourds chez France Télécom que chez ses homologues espagnol ou allemand par exemple.

Mobilités géographiques et professionnelles forcées

Résultat, avec Louis-Pierre Wenes, alors patron d'Orange France, et Olivier Barberot, alors directeur des ressources humaines, la politique de mobilité géographique et professionnelle s'est montrée plus coercitive. Mal vécue parce que mal comprise, mal comprise parce que parfois excessive et plus dogmatique que pragmatique, cette politique de mutations internes a laissé des traces. La crise des suicides ayant sans doute permis de révéler ces tensions internes.

Mais, en décidant aujourd'hui de partir, Didier Lombard a une attitude digne. Sans faire de comparaison avec une récente affaire ministérielle, il choisit rapidement de tirer les conséquences d'une crise qui aurait pu nuire à son entreprise.