La guerre des tuyaux du Net se déplace à Bruxelles, Orange perquisitionné

Par Delphine Cuny  |   |  766  mots
Le siège d'Orange 78 rue Olivier de Serres à Paris dans le XVe arrondissement. Copyright Stéphane Foulon.
Bruxelles suspecte l'opérateur historique français et ses homologues allemand et espagnol d'abus de position dominante dans l'interconnexion Internet. La Commission a procédé à des perquisitions dans une affaire qui remonte à une décision de l'Autorité de la concurrence française en défaveur d'un opérateur de transit américain, Cogent.

Orange vs Cogent acte II. Dix mois après la décision de l'Autorité de la concurrence française, qui avait donné raison à l'opérateur télécoms historique contre le groupe de transit Internet américain, l'affaire rebondit à Bruxelles... et dans plusieurs capitales européennes par ricochet. La Commission européenne s'est en effet saisie du dossier, à la suite de réclamations informelles de Cogent : les services de Joaquin Almunia, le commissaire à la Concurrence, viennent de diligenter au siège d'Orange à Paris, mais aussi à ceux de Deutsche Telekom à Bonn et de Telefonica à Madrid, des équipes chargées de saisir des pièces chez ces opérateurs soupçonnés « d'abus de position dominante dans les services de connectivité Internet. »

Des scellés sur les portes des bureaux
Consternation à la tour Olivier de Serres, dans le XVe, où l'ex-France Télécom a installé son siège social à l'automne dernier : 25 agents envoyés par Bruxelles ont débarqué depuis mardi pour poser des scellés sur les portes des bureaux sensibles (réglementation, activités d'interconnexion, etc), dont le non-respect exposerait les contrevenants à une amende de 8 millions d'euros. A Bonn aussi, un porte-parole de Deutsche Telekom s'est dit « stupéfait », rapporte Bloomberg. Entre les perquisitions dans le cadre du procès pour harcèlement moral après la crise de suicides et la mise en examen de Stéphane Richard dans l'affaire de l'arbitrage Tapie, Orange a eu son lot d'ennuis judiciaires depuis dix-huit mois.

« Asymétrie du trafic », MegaUpload au coeur du litige
Un retour en arrière s'impose : en septembre dernier, le gendarme de la concurrence français, saisi par Cogent en 2011, conforte Orange en tranchant que l'opérateur français est en droit de demander une rémunération pour l'ouverture de nouvelles capacités d'interconnexion, comme cela était prévu dans le contrat, « compte tenu de caractère très asymétrique des échanges de trafic », jusqu'à 13 fois supérieur en provenance de Cogent, dont 90% venant du sulfureux site de téléchargement de vidéos MegaUpload, fermé depuis, à la date de la saisine, selon France Télécom. Cogent, qui arguait que l'ex-France Télécom remettait en cause le système d'échange gratuit des flux, le « peering », a d'ailleurs fait appel de la décision. La veille, mercredi, alors que les perquisitions avaient commencé, le président du gendarme français de la concurrence, Bruno Lasserre, se félicitait encore d'avoir rendu « la première décision dans le monde d'une autorité de concurrence sur une question très discutée, dans le cadre de la neutralité du Net. » Les sages de la rue de l'Echelle avaient écrit en toutes lettres dans leur décision : « exiger de Cogent un paiement pour un accroissement de la capacité d'interconnexion n'apparaît donc pas comme relevant, en soi, d'un comportement anticoncurrentiel » (alinéa 96 page 20). Pas de commentaire aujourd'hui rue de l'Echelle sur les perquisitions de la Commission, qui ne semble pas sur la même longueur d'ondes...

La Commission plus stricte sur la neutralité du Net
Conforté par un gendarme qui n'a pas toujours été très clément avec lui, Orange n'a « pas imaginé une seconde que la Commission européenne se montrerait aussi zélée pour protéger les intérêts d'une entreprise américaine » s'étrangle un cadre de l'opérateur, particulièrement atterré que Bruxelles se soit autosaisi, sans plainte formelle de Cogent. « Pour la première fois, l'Autorité avait ouvert la porte à une demande de rémunération du peering. Or la Commission a une vision plus stricte de la neutralité du Net » observe un opérateur concurrent. « Ces inspections surprise constituent une étape préliminaire en cas de soupçon de pratiques anticoncurrentielles [...] ne préjugent pas de la culpabilité des entreprises ni de l'issue de l'enquête » précise la Commission dans un communiqué confirmant ces perquisitions révélées par Le Figaro jeudi matin. « Nous ne confirmons pas l'identité des entreprises inspectées, ni les rumeurs sur l'origine de cette enquête qui couvre plusieurs Etats membres » explique un porte-parole de la Commission européenne. Le néerlandais KPN et le belge Belgacom ont fait savoir qu'ils n'étaient pas concernés par les perquisitions. La durée de l'enquête dépendra de la complexité de chaque cas, selon Bruxelles. « La Commission suspecte peut-être les trois opérateurs d'avoir coopéré entre eux sur ce sujet. Or la valeur commerciale du transit est dérisoire, l'enjeu n'est pas financier, c'est une affaire d'égos » estime un professionnel du secteur.