Le gouvernement va-t-il provoquer un krach immobilier ?

Par Alexandre Phalippou  |   |  1037  mots
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La taxation des plus-values immobilières vient d'être votée au Sénat. Le projet décale l'application de la mesure du 24 août au 1er février. Avec le risque que les investisseurs locatifs et détenteurs de résidence secondaire se précipitent pour vendre. Même en baissant le prix de vente de 7,6%, un vendeur détenant un bien depuis 15 ans et dont le prix a doublé resterait gagnant. Découvrez également les discussions des parlementaires.

Mais à quoi joue le gouvernement ? La question est brutale mais mérite d'être posée. Après avoir pendant des années soutenu le marché immobilier en multipliant les mesures (PTZ+, déduction des intérêts d'emprunt, loi Robien, Scellier, etc.) il risque de brusquement gripper le marché. En effet, le dernier accord trouvé - voté au Sénat sans amendement ce jeudi en fin d'après-midi - concernant la taxation des plus values immobilières (hors résidence principale) fait passer le délai avant exonération complète de 15 à 30 ans de détention. Le rythme proposé en fin de compte, après de nombreuses modifications, sera donc de :

- 2% d'abattement par an entre 6 et 17 ans de détention,

- 4% par an de 18 à 24 ans

- 8% par an de 25 et 30 ans.

L'exonération sera ainsi nulle jusqu'à 5 ans, de 10% au bout de 10 ans, de 20% au bout de 15 ans, de 60% au bout de 25 ans et totale à partir de 30 ans.

Mais, surtout, la mesure s'appliquerait à partir du 1er février prochain et non pas à partir du 24 août prochain comme le prévoyait la mesure initiale. D'après Christian Jacob, président du groupe UMP à l'Assemblée nationale française, interrogé par l'AFP, "on la repousse au 1er février , signature de l'acte authentique" de vente, a-t-il indiqué. "Ce qui va nous permettre de ne pas toucher l'ensemble des ventes en cours", a-t-il dit précisé au cours du point presse hebdomadaire des députés UMP.

Faux ! La mesure initiale parlait non pas d'acte de vente signé au 24 août mais de compromis ou de promesse de vente. Les ventes réellement "en cours" n'auraient donc pas été, de toutes les manières, affectées.

Si la nouvelle mesure tient compte de l'acte de vente, cela signifie tout simplement que, compte tenu du délai d'environ 3 mois entre la promesse de vente et la signature chez le notaire, il est possible de bénéficier de la fiscalité actuelle en signant un compromis avant le 1er novembre, voire le 15 novembre si le dossier peut être traité rapidement (pas de prêt à rechercher du côté de l'acheteur par exemple).

Autrement dit, le grand risque est de voir les propriétaires, et notamment ceux qui détiennent leur bien depuis plus de 15 ans, mettre en masse leurs biens sur le marché. Environ 8 millions de Français sont détenteurs d'une résidence secondaire. Mais tous, bien sûr, ne souhaitent pas vendre.

En revanche, pour les quelques 3 millions d'investisseurs locatifs, la rentabilité de l'opération passe aussi par la fiscalité. Ils peuvent donc être tentés de prendre leurs gains en vendant au plus vite. Les deux seuls freins, pour eux, sont la fiscalité dont ils ont bénéficié et qui les oblige à louer le bien un certain nombre d'années (lois Robien, Scellier, etc.) et, éventuellement, la présence d'un locataire : un acheteur pour une résidence principale veut que le bien soit vide, contrairement à un investisseur locatif qui voit d'un bon oeil la présence d'un locataire en place du moment qu'il paie son loyer rubis sur l'ongle. Et encore, sur le premier point, il faut que les premiers programmes Robien, mis en place en 2003, sont à présent arrivés à échéance.

Si un tel scénario catastophe se produisait, on verrait un afflux de studios et deux pièces et donc, une rapide baisse des prix. Car les propriétaires auraient plus à gagner en révisant leur prétention à la baisse prix plutôt qu'à attendre la nouvelle fiscalité. Or, les prix de l'immobilier sont déjà à un niveau extrêment élevé, et l'on voit apparaître les premiers signes de baisse. Depuis quelques mois en province et depuis cet été à Paris. Déjà, lorsque le gouvernement a raboté le dispositif Scellier fin 2010, on a assisté à un afflux de demandes qui a engorgé le marché. Si bien que les notaires, débordés, ont obtenu que la mesure soit différée de quelques mois.

Pour faire très simple et donner un ordre d'idée, un propriétaire détenant un logement depuis 15 ans et dont le prix a doublé (moyenne constatée depuis 15 ans, hors inflation) aurait tout intérêt à le vendre sans plus attendre. Il bénéficierait d'un abattement de 100% aujourd'hui, et de 20% après le 1er février. Il restera gagnant s'il baisse son prix de moins de 7,6% (19% x (1-0,2) / 2) car, dans cet exemple, les plus values représentent la moitié du prix de vente du bien. De quoi affoler le marché immobilier. Sans compter qu'il bénéficiera d'un niveau de prélèvements sociaux plus favorable (12,3% contre 13,5% au 1er janvier prochain).

Et même un propriétaire détenant le bien depuis 10 ans a lui aussi, tout intérêt à vendre d'un point de vue purement financier : il bénéficierait d'un abattement de 50% avec la législation actuelle, contre 10% si la nouvelle mouture est adoptée. Mais la marge de négociation est un peu moins élevée puisqu'elle baisse à environ 4% selon le niveau d'appréciation du bien.

Plusieurs professionnels de l'immobilier se sont exprimés. Certains craignent au contraire... une hausse des prix ! Le syndicat national des professionnels de l'immobilier estime que "le retour au régime antérieur des plus values est une solution qui, hélas, sera mal comprise par les propriétaires de biens
immobiliers et qui ne rapportera pas dans les caisses de l'Etat les sommes annoncées tout en freinant, une fois de plus, la fluidité du marché.
Cela aura inévitablement pour conséquence de renchérir les prix de l'immobilier qui se trouve déjà à un niveau élevé, d'augmenter le chômage dans le secteur de l'immobilier mais également dans celui de l'artisanat et de l'équipement de l'habitat". Sans doute pensent-ils que, au contraire, les propriétaires vont préférer attendre d'arriver à 30 ans de détention pour bénéficier de l'exonération, ce qui réduirait le nombre de biens mis en vente et pourrait renchérir les prix.

Alors, hausse ou baisse des prix ? L'avenir - très proche - le dira.

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