21 milliards d'euros : le coût estimé du désamiantage des logements sociaux

Par latribune.fr  |   |  934  mots
Le nombre trop faible de spécialistes allié aux objectifs de désamiantage systématique des logements sociaux en fait exploser le coût pour les bailleurs sociaux. (Photo : Reuters)
Le désamiantage des logements sociaux pourrait entraîner jusqu'à 21 milliard d'euros de coûts supplémentaires pour les bailleurs sociaux et réduire leur activité de construction de 30%. Et pourtant, le gouvernement souhaite accélérer dans ce domaine.

Responsable de cancers du poumon chez ceux qui l'ont respirée, l'amiante est aussi un poison financier pour les bailleurs sociaux. Sept logements HLM sur dix en contiennent en effet. Et si cela n'est pas toujours problématique pour la santé des locataires, le désamiantage systématique des logement sociaux pour se mettre aux normes en fait une bombe à retardement financière.

Bond des coûts d'assainissement

Une réforme de la règlementation concernant ce matériau hautement cancérigène, qui rentre en vigueur progressivement d'ici le 1er juillet 2015, a fait bondir le coût d'assainissement des bâtiments concernés. Elle divise par dix le seuil d'exposition autorisée pour les ouvriers et impose aux entreprises des obligations de formation et de protection renforcée (calfeutrage des chantiers, port de masques et vêtements de protection...) lors de travaux susceptibles de libérer des fibres d'amiante.

Et ce, que l'amiante soit à l'état friable - très dangereuse, car susceptible de se déliter sous l'effet de chocs, de vibrations ou de mouvement d'air - ou non friable - a priori sans danger, tant qu'elle est emprisonnée dans des matériaux. Le champ des travaux concernés s'en trouve considérablement élargi, car on estime qu'un logement sur deux en contient en France.

70% du parc HLM concerné

Dans le parc HLM, l'amiante au sein des matériaux de construction serait présente dans "tous les logements construits avant 1997" (date de son interdiction, ndlr), précise Christophe Boucaux, en charge des questions énergétiques et du développement durable à l'Union sociale pour l'habitat (USH), qui regroupe 760 organismes HLM. "Cela représente à peu près 70% de notre parc", indique-t-il.

"Cela impose d'avoir des dispositifs adaptés lorsqu'on engage des travaux de rénovation ou de démolition, y compris des travaux d'entretien courant, comme le percement d'une cloison ou l'enlèvement d'anciennes peintures," commente-t-il.

 Et de souligner que "tous les organismes HLM aujourd'hui sont mobilisés sur cette question, parce que les enjeux sont colossaux."

Mais les laboratoires réalisant les diagnostics d'amiante, peu nombreux, sont souvent débordés. Et les entreprises du bâtiment habilitées à retirer l'amiante ne sont pas légion, entraînant des situations de monopole qui font encore grimper les coûts.

Une mauvaise anticipation peut causer des retards et des coûts imprévus

En outre, la présence d'amiante est souvent détectée tardivement. "Lorsque le maître d'ouvrage n'a pas anticipé le problème, il faut procéder à de nouveaux appels d'offres et le chantier peut prendre un an de retard", explique Thierry Dauchelle, le président de la Fédération française du bâtiment Champagne-Ardenne, qui évoque toutefois un "vrai dialogue" sur le sujet entre tous les intervenants.

Mais parfois les entrepreneurs doivent "se battre pour que le désamiantage soit fait : certains donneurs d'ordres ont tendance à vouloir enfermer l'amiante en la recouvrant, mais cela revient à léguer le problème à nos enfants. Or, la retirer valorise le patrimoine", fait valoir M. Dauchelle.

Abandons de projets pour surcoûts

Ces derniers mois, pour les bailleurs sociaux, la découverte d'amiante a entraîné l'abandon d'une opération de travaux sur quatre, en raison des surcoûts induits et de la nécessité de reloger les habitants temporairement, selon une étude de l'USH menée de décembre 2012 à fevrier 2013.

"A Louviers, dans le quartier de Maison rouge, nous avons découvert de l'amiante dans les enduits d'un immeuble de 18 logements appelé Le Havre, qu'on devait démolir. Il a fallu poncer tous ces enduits avant de démolir. Au lieu de 8.000 euros par logement, nous avons dépensé cinq fois plus, 40.000 euros", raconte Gilles Gal, directeur général du bailleur social Eure Habitat.

21 milliards d'euros de coûts supplémentaires pour les bailleurs sociaux

L'enquête de l'USH a ainsi révélé que le coût des travaux de désamiantage avait bondi en moyenne de plus de 50% depuis la nouvelle réglementation de mai 2012. Il varie de 500 euros à 15.000 euros par logement, en fonction de la nature des matériaux amiantés et de la technique employée (dépose, recouvrement ou encoffrement). Soit, si l'on prend le milieu de la fourchette, une facture qui s'élèverait à quelque 21 milliards d'euros pour trois millions de logements... mais n'a pas fait l'objet d'une évaluation officielle.

Il s'agit là en tout cas d'une véritable bombe à retardement financière, à l'heure où les organismes HLM se sont vu fixer l'objectif de construire 150.000 logements par an, et d'en réhabiliter 100.000 autres. D'autant qu'en l'absence d'aide financière, les bailleurs sociaux financent les surcoûts liés à l'amiante sur leurs fonds propres, ce qui ampute d'autant leur budget de construction et réhabilitation. "Nous estimons que cela réduira notre activité de 30%", prévient Gilles Gal.

Le gouvernement souhaite passer à la vitesse supérieure

Or les organismes HLM sont sous la pression du gouvernement pour "passer à la vitesse supérieure" dans la rénovation (thermique notamment) de leur parc, a souligné la ministre du Logement Cécile Duflot lors du congrès de l'USH, en septembre à Lille, tout en affirmant vouloir encourager "la recherche de techniques innovantes" de désamiantage.

Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) doit estimer, dans un rapport en fin d'année, le coût du désamiantage sur les chantiers du bâtiment et les modalités selon lesquelles les pouvoirs publics pourraient accompagner la mise en oeuvre de la nouvelle règlementation, par les maîtres d'ouvrage et les particuliers.