Médicament : un anti-coagulant aurait fait plus de 250 victimes

Par Audrey Tonnelier  |   |  509  mots
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Fabriqué par le groupe allemand, le Pradaxa aurait causé la mort de 256 personnes. De quoi menacer son avenir commercial face à ses rivaux qui le talonnent.

Rassurer. C'est ce qu'a tenté de faire, vendredi 18 novembre, l'Agence du médicament (Ema) sur le dossier Pradaxa. « L'efficacité [...] demeure inchangée », a-t-elle indiqué à propos de cet anticoagulant de Boehringer Ingelheim. L'affaire, passée inaperçue en France, commençait à faire du bruit en Allemagne et au Benelux. De quoi s'agit-il ? La semaine dernière, le deuxième laboratoire allemand (12,6 milliards d'euros de ventes l'an dernier) a confirmé 256 décès par hémorragie dans le monde potentiellement imputables au Pradaxa, depuis son lancement en 2008.

Parmi eux, 21 morts en Europe et « plusieurs en France », indique l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps) à « La Tribune ».

L'Ema va modifier la notice pour insister sur la surveillance des reins, qui éliminent le produit une fois qu'il a agi. Toutefois, « le risque d'hémorragie avec des médicaments anticoagulants est bien connu », précise l'agence. Et pour cause. Le Pradaxa vient remplacer la warfarine, un traitement utilisé depuis cinquante ans, qui pose des problèmes d'interactions médicamenteuses, alimentaires et... induit quelque 4.000 décès par hémorragie par an. Nettement plus que le médicament de Boehringer. « Les décès constatés [avec Pradaxa] sont 21,5 fois inférieurs à ceux observés pendant les études cliniques », ajoute le laboratoire allemand.

D'après l'Ema, « le nombre de cas d'hémorragies doit être vu dans le contexte de l'augmentation rapide de l'usage du Pradaxa en raison de [son] approbation dans une nouvelle indication ». Le médicament, administré aux patients qui se font poser une prothèse de la hanche ou du genou, a reçu cet été une seconde autorisation de mise sur le marché (AMM) européenne. Il doit prévenir les accidents cardio-vasculaires chez les malades souffrant d'arythmie cardiaque. Un marché beaucoup plus vaste, estimé à 10 milliards de dollars dans le monde, deux fois plus que celui de la warfarine. À la suite de Boehringer, trois labos briguent la place. Le Xarelto de Bayer attend une AMM « avant la fin du mois », Pfizer et BMS l'ont obtenu pour l'Eliquis, et Daiichi Sankyo lancera son médicament d'ici à deux ans.

Pris en charge à 65 %

Leur remboursement en France pourrait pâtir de cette affaire. Déjà pris en charge à 65 % dans sa première indication (la plus petite), le Pradaxa doit passer à la Commission de la transparence fin novembre pour la seconde fois, en même temps que l'Eliquis. « Si Boehringer ne risque pas de retrait du marché, il joue sa position commerciale face à ses concurrents », résume une source proche du dossier. Concurrents qui n'ont, pour l'heure, pas été inquiétés par l'Ema. « Les problèmes de décès avec le Pradaxa posent question sur les autres produits », estime pourtant un bon connaisseur du secteur. Boehringer a ouvert ses bases de données pour confirmer le nombre de morts mais ce n'est pas le cas de Bayer dont le produit est pourtant commercialisé depuis près de deux ans. Le sujet est sensible. « Il s'agit des médicaments à plus fort volume lancés cette année », glisse un expert.