Entreprises en difficulté : retranscription du "chat" du 28 septembre

Par latribune.fr  |   |  2247  mots
Avec la crise économique et financière, quelle est la situation exacte en France des entreprises et de notamment des PME ? Retrouvez l'intégralité du "chat" de Guillaume Cornu, associé chez Deloitte.

Bonjour et bienvenue sur le chat de la tribune.fr. Aujourd'hui nous avons le plaisir d'accueillir Guillaume Cornu, associé chez Deloitte, qui répondra à toutes vos questions.

 

Bonjour à tous, je suis disponible pour répondre à vos questions relatives aux entreprises en difficulté.

espoir1 : Gérant d'une société familiale depuis 1983, notre Pme de 13 personnes est en train de s'éteindre doucement. Nous avons des commandes mais nos fournisseurs de matière première exigent des paiements comptant...nous avons aujourd'hui des dettes fournisseurs mais nous avons toujours du travail. Notre banque refuse de nous aider (suppression de l'autorisation de découvert alors que nous ne l'avons jamais dépassé!), d'autres banques refusent même de motiver leur réponse négative. Pas d'aide d'Oséo sans l'accord de notre banque.. Monsieur, l'Etat veut nous aider, certes mais la Banque bloque l'argent qui peut nous sauver. Que peut-on faire ?

La question qui se pose est : pourquoi votre entreprise est en train de perdre progressivement la confiance de ses partenaires que sont les banques et les fournisseurs? Ce qui est sûr, c'est que ,dans ce type de situation, il faut agir vite et si vos banquiers ont dénoncé leur concours au titre du fameux article 60, il faut discuter avec eux avant l'échéance des 60 jours.
Si tel est le cas, il existe des solutions dites de prévention pour aider dans la discussion avec les banques, voire les fournisseurs. Les solutions les plus efficaces sont le recours au mandat ad hoc ou la conciliation, voire la médiation du crédit. L'idée est de mettre un tiers indépendant, mais désigné confidentiellement soit par le président du tribunal de commerce, soit par la médiation, qui aura pour rôle de vous aider dans la recherche d'une solution avec vos partenaires. Le point clé de tout redressement est d'avoir une exploitation au moins équilibrée, car les banques ne peuvent pas et ne veulent pas financer des pertes. Sachez que vous pouvez être aussi aidé par des organismes départementaux, les Codefi pour négocier des moratoires sur les charges fiscales et sociales.

jidef : La majorité des entreprises ne génère que 2% de profit net , pour sortir de la crise il faudrait obliger les entreprises à générer minimum 10% de profit net , ainsi pouvoir payer la dette d'Etat.

Je suppose que vous faites allusion à l'augmentation de la dette d'Etat pour financer les plans de relance et que vous vous interrogez sur le remboursement de cette dette par des augmentations d'impôts ou de l'inflation.
Je pense que l'Etat ou quiconque ne peut imposer à une entreprises de générer un minimum de 10% de profit net et il existe beaucoup d'entreprises déficitaires dans la période que nous rencontrons. Pour ces entreprises, il est évident qu'il faut prendre des mesures pour s'adapter et revenir à un équilibre d'exploitation, mais le nerf de la guerre aujourd'hui repose principalement sur une gestion
serrée de sa trésorerie. Je ne sais pas effectivement quelles seront les mesures prises pour rembourser la dette d'Etat.

François : Bonjour. A l'horizon des évènements 2009/2010, pensez-vous pouvoir dire que l'entreprenariat connaisse un regain d'activité ou plutôt une baisse au sein de l'emploi français? Ce secteur d'activité vous semble-t-il disposer d'un avenir stable et prospère pour les prochaines années post-2010? Merci.

Au niveau des créations d'entreprises, la France a enregistré 321.000 créations en 2007, 325.700 en 2008 et 272.00 au 15 juillet 2009, soit une progression de 60% par rapport à 2008. Sur ce chiffre, 182.000 créations concernent le régime de l'autoentrepreneur.
Il est probable que ces augmentations résultent en partie de la situation économique que nous connaissons aujourd'hui et du fait que des cadres sans emploi se reportent sur cet autoentrepreneriat.
Nous savons tous que le taux de mortalité des jeunes entreprises est très élevé sur les trois à cinq premières années et l'étude annuelle sur les défaillances d'entreprises que réalise le cabinet Deloitte démontre la fragilité des jeunes entreprises et surtout celles de petite taille.
Néanmoins, je reste optimiste et je considère effectivement que la création d'entreprise est probablement une des solutions pour faire face aux difficultés actuelles, mais elle suppose que l'on sorte rapidement de cette crise.

jidef : quel est votre avis sur une taxation des pertes au taux de l'impôt sur les bénéfices. Il est tellement facile de faire des pertes qu'aujourd'hui pour nombre de sociétés c'est un moyen de gagner de l'argent. Il faut d'urgence mettre fin à cela.

Je ne suis pas au courant d'une telle mesure qui me semblerait totalement incohérente.

alain : Que pensez-vous de la solution de réactiver les prêts participatifs ?

Nous avons constaté sur les dossiers que nous traitons une augmentation des prêts Oseo qui participe efficacement au traitement des difficultés des entreprises. Nous constatons également que l'Etat est mobilisé au travers de plusieurs systèmes (Cap, Cap +, médiation du crédit, etc.) pour aider des entreprises. Les prêts participatifs avec une aide/garantie de l'Etat sont probablement de nature à aider les entreprises en difficultés.

Suzanne : Aidez les PME en difficulté sera-t-il la mission essentielle du nouveau médiateur du crédit ?

Nous avons traité de nombreux dossiers petits, moyens et gros, sous l'égide de la médiation du crédit et avons pu constater une efficacité certaine pour aider les PME en difficultés. Certaines d'entre elles ont trouvé une solution en faisant intervenir conjointement le médiateur du crédit et un mandataire ad hoc, chacun jouant un rôle complémentaire.
J'espère effectivement que le nouveau médiateur poursuivra la mission de son prédécesseur destinée à aider les entreprises de toute taille.

Roman : Que faut-il attendre du FSI et de la CDC face à ce problème ?

Ma compréhension de la mission du FSI est qu'il n'intervient pas normalement dans les entreprises en difficultés. Néanmoins, il participe au renforcement des fonds propres des entreprises françaises "stratégiques" qui sont susceptibles de constituer des plates-formes de développement dans un secteur d'activité donné.
Toutefois, il y a des situations où la frontière n'est pas toujours évidente à déterminer pour qualifier ou non la difficulté. Il existe d'autres fonds dédiés qui investissent dans les entreprises en difficultés et je pense notamment au FMEA qui a été mobilisé pour sauver la filière automobile.
Je comprends qu'un nouveau fonds dédié à la filière bois devrait être prochainement créé. Le FSI participera donc au traitement des entreprises en difficultés par le renforcement des fonds propres de certains groupes, qui feront des opérations de croissance externe sur des entreprises en difficultés.

olivier : Les derniers chiffres de la médiation du crédit montraient une dégradation de la situation des PME. Le constatez-vous également ?

Nous avons constaté une dégradation très forte de la situation des PME depuis octobre 2008, avec une accélération sur le deuxième trimestre 2009. Début septembre 2009, il semble qu'il y ait eu une certaine stabilité, sentiment partagé par les acteurs du "restructuring". Nous constatons à nouveau une certaine accélération qui est probablement liée à la fragilité de certains secteurs d'activité et de PME qui ont dû passer le mois d'août avec une trésorerie tendue. Si, pour ces PME, il n'y a pas de reprise d'activité en septembre, la dégradation devrait malheureusement se confirmer.

Gendron : On nous dit que les grandes entreprises vont mieux. Et pourquoi ne parle-t-on pas des PMe qui ont l'air d'aller beaucoup plus mal ? Volonté de cacher la situation réelle ?

L'équipe "Deloitte Reorganisation Services" que j'anime intervient depuis vingt ans essentiellement sur les PME. Je vous confirme que ce sont bien ces PME qui souffrent, mais que nous avons effectivement constaté une augmentation significative de la taille des entreprises rencontrant des difficultés au cours des douze derniers mois.
Je ne crois pas qu'il y ait une volonté de cacher la situation réelle des PME, qui est largement connue par les chefs d'entreprise et les principaux partenaires que sont les banques.

Linas : Les banques affirment que si le crédit baisse, c'est à cause du manque de demande. Y croyez-vous ? Est-ce que les PME ne s'autocensurent pas en ne demandant pas de crédit qu'elles pensent ne pas obtenir ?

Je ne crois pas qu'il y ait d'autocensure de la part des PME. Le fait est qu'il est beaucoup plus difficile aujourd'hui d'accéder au crédit et qu'il est souvent mission impossible d'obtenir des nouveaux concours pour une entreprise en difficultés. C'est pourquoi tous les professionnels insistent sur l'importance d'anticiper et d'intervenir le plus en amont pour traiter des difficultés.
En effet, dans ce type de situation, il est préférable de discuter et de négocier avec les banques qui ont déjà des concours et des prêts octroyés à ces mêmes entreprises plutôt que d'attendre le dernier moment et espérer que les banques accepteront de mettre en place "du new money". Quoi qu'il en soit, il est également fondamental de regagner la confiance des banques, notamment par une communication et une discussion transparentes sur la situation réelle de l'entreprise, sur les mesures de restructuration et de réduction de coûts engagées et sur les perspectives de retournement.

Joelembrouille : Vous dites qu'il est beaucoup plus difficile pour les PME d'avoir accés au crédit. Les banques disent le contraire (cf la gde campagne de BNP paribas sur les cinq milliards...). Donc, elles mentent ?

Je vous confirme que les banques prêtent plus difficilement aux entreprises en difficultés et que la crise financière et économique a probablement aggravé ce phénomène. Je vous confirme également, comme je l'ai mentionné ci-dessus, que les banques sont néanmoins prêtes à discuter et à aménager leurs concours existants dès lors que la situation n'est pas irrémédiablement compromise.
Ce sont des situations que je rencontre tous les jours et nous constatons que les dossiers traités "en prévention" ont des taux de succès de l'ordre de 60 à 70%. Tous ces dossiers concernent des entreprises en difficultés qui restructurent leurs dettes avec leurs banques, voire leurs fournisseurs.

Forest : Faut-il voir une amélioration avec la procédure de sauvegarde ?

La procédure de sauvegarde est en réalité une procédure collective, dite "préventive". Elle a les mêmes effets qu'un redressement judiciaire, notamment vis-à-vis des créanciers, sauf que l'entreprise concernée ne doit pas être en état de cessation de paiement.
Je ne crois pas à une procédure de sauvegarde non préparée, car les effets collatéraux peuvent être désastreux sur l'activité et sur la trésorerie de l'entreprise. Cette procédure est très peu utilisée en France depuis 2006 : 509 en 2006, 513 en 2007, 694 en 2008. Elle est toutefois en forte augmentation sur les huit premiers mois de 2009, avec 931 cas enregistrés mais seulement 55% de ces procédures ont abouti à un plan de redressement, les 45% restants ayant été convertis en liquidation judiciaire (38%) et en redressement judiciaire toujours ouvert à ce jour (7%).
La procédure de sauvegarde peut être une bonne solution si elle a été préparée en amont, la plupart du temps dans le cadre d'un mandat ad hoc ou d'une conciliation. On parle souvent, à ce titre, des fameux "pré-pack plans". Cette tendance devrait probablement s'accélérer dans le cadre de la restructuration de certains LBO.

Vincent Gauthier : Je suis patron d'une petite menuiserie avec une filiale en Espagne a qui j'ai emprunté par compte courant un peu de trésorerie. Pour mon Groupe, la tréso est OK mais est-ce que je ne dois pas faire attention au banquier espagnol ?

Avant de faire attention au banquier espagnol, il est important de faire attention au flux entre une mère et sa fille. En effet, les systèmes de convention de trésorerie ou de "cash pooling" peuvent être extrêmement dangereux dans une situation de difficultés. Une entreprise qui prête à sa mère quand tout va bien peut se retrouver dans une situation juridiquement compliquée si sa situation ou celle de sa mère se dégrade et que cette dernière ne peut plus rembourser sa fille. Le cas extrême est que ce type de situation peut devenir un délit.
Il est certain qu'il faut être vigilant vis-à-vis de votre banquier espagnol, car une banque veut savoir ce qu'elle finance. Si votre banque réalise que les concours qu'elle vous a octroyés ont une destination différente de celle qu'elle imaginait et que, de surcroît, elle finance une activité en France et non en Espagne, elle peut être amenée à reconsidérer son crédit.
Nous avons souvent vu ce type de situation d'une société française finançant ses filiales qui ne parvenaient pas à obtenir des concours bancaires dans leur pays.

Merci Guillaume Cornu, le mot de la fin ?

S'il y a quelques points majeurs à retenir, c'est de savoir anticiper, ne pas reporter les difficultés au lendemain, ne pas se voiler la face, mais au contraire, préparer rapidement des plans et discuter le plus en amont possible avec ses partenaires. Le nerf de la guerre reste avant tout, comme je l'ai déjà dit, la trésorerie.