Attentat anti-français à Karachi : Léotard accuse Chirac , Villepin et Millon

Par Source Reuters  |   |  680  mots
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"Je ne sais pas si toute vérité est bonne à dire, c'est peu probable, mais en voici quelques-unes dont il va être difficile de se passer", assure François Léotard, ancien ministre de la Défense d'Edouard Balladur.

L'ex-ministre de la Défense, François Léotard, entendu comme témoin lundi dans l'enquête sur l'attentat antifrançais de Karachi en 2002, a relancé ce dossier sur lequel pèsent des soupçons de corruption. Détenteur du portefeuille de la Défense de 1993-1995, il a publié dimanche sur le site Rue89 une tribune dans laquelle il suggère un mobile financier et politique pour cet attentat qui a provoqué la mort de onze Français travaillant à la construction de sous-marins pour la Direction des constructions navales.

Son interrogatoire intervient alors que cette enquête judiciaire se développe sur trois fronts et autant de procédures - sur l'attentat et ses mobiles, une éventuelle entrave à la justice et des affaires de corruption présumées. Ces enquêtes menacent la majorité et même l'Elysée à un an et demi de la présidentielle de 2012.

Le nom de Nicolas Sarkozy, ministre du Budget en 1993-1995, figure dans un rapport de police luxembourgeois versé au dossier évoquant des montages financiers jugés suspects pendant cette période. Le président a contesté fin 2010 cette mise en cause.

François Léotard, qui siégeait alors avec lui au sein du gouvernement Balladur, a signé en 1993 le contrat "Agosta" avec le Pakistan qui prévoyait le versement de 84 millions d'euros de "commissions" au bénéfice théorique de décideurs pakistanais.

Les juges soupçonnent qu'un duo d'intermédiaires qui devait recevoir 33 des 84 millions, les hommes d'affaires libanais Ziad Takieddine et Abdul Rahman El Assir, avaient pour mission d'organiser un retour frauduleux de l'argent en France pour financer la campagne présidentielle d'Edouard Balladur en 1995.

C'est en raison de ce soupçon qu'une fois élu, Jacques Chirac a ordonné l'arrêt de ces paiements, ce qui, selon l'hypothèse suivie par les juges, aurait amené l'attentat de Karachi en représailles.

PARTIES CIVILES IRRECEVABLES

Sur Rue89, François Léotard est allé dans le sens de cette hypothèse, répétant en partie des propos déjà tenus fin 2009 devant une mission d'information parlementaire, mais en y ajoutant un élément nouveau. Selon lui, l'attentat "a été directement provoqué par deux éléments qui se sont conjugués" : l'arrêt du paiement des commissions et la vente parallèle par la France de sous-marins à l'Inde, plus modernes que ceux vendus au Pakistan. Les deux pays sont en conflit armé au Cachemire depuis plus de 60 ans.

"Je ne sais pas si toute vérité est bonne à dire, c'est peu probable, mais en voici quelques-unes dont il va être difficile de se passer", écrit François Léotard sur Rue 89. Il met en cause Jacques Chirac. "L'arrêt des commissions a été une décision prise, avec une grande légèreté par le président de la république, M. Chirac, et exécutée avec la même légèreté par MM. de Villepin (alors secrétaire général de l'Elysée, NDLR) et (le ministre de la Défense de l'époque, Charles) Millon", écrit-il.

Les familles de victimes et les blessés de l'attentat, défendues depuis peu par deux avocats, Mes Olivier Morice et Thibault de Montbrial, s'estiment victimes de la corruption et de l'abus de biens sociaux supposés en France et au Pakistan. Elles entendaient donc être parties civiles à ce titre.

Lundi, la cour d'appel de Paris leur a cependant refusé cette possibilité, estimant que, si elles étaient bien victimes de l'attentat lui-même, les victimes n'étaient pas directement celles des infractions financières supposées. Leurs avocats ont annoncé qu'ils se pourvoiraient en cassation et, dans l'attente d'un arrêt définitif, ils conservent donc l'accès au dossier.

Par ailleurs, si les faits de corruption ne peuvent être instruits dans le premier dossier que conduit le juge Renaud Van Ruymbeke, ils pourront l'être dans un second ouvert fin 2010. Il vise le contrat Agosta mais aussi un autre marché de frégates livrées à l'Arabie saoudite dans les années 1990 pour un montant équivalent à 2,9 milliards d'euros.