L'affaire Bettencourt vire au "Sarkogate"

Par latribune.fr avec Reuters  |   |  1383  mots
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Claude Guéant a reconnu que les services de renseignements français avaient épluché les factures de téléphone d'un journaliste enquêtant sur l'affaire Bettencourt. Face aux accusations portées contre le président de la République par la juge Isabelle Prévost-Desprez dans ce dossier, les responsables politiques montent au créneau.

Le Service du renseignement a espionné un journaliste. Une juge d'instruction parisien, Sylvie Zimmermann, a découvert que la DCRI (Direction centrale du renseignement intérieur) avait demandé en juillet 2010 par réquisition à l'opérateur Orange les factures détaillées de téléphone de Gérard Davet, journaliste au Monde.

La demande a été envoyée le lendemain de la publication par le quotidien d'un article embarrassant pour Eric Woerth, alors ministre du Travail, qui a dû démissionner en raison de soupçons de financement politique illégal par Liliane Bettencourt. Le Monde, qui a porté plainte et a donc accès au dossier d'enquête, a révélé l'existence de cette réquisition écrite. Dans son éditorial du jour, Le Monde parle désormais "d'affaire d'Etat" : "Ce qu'il faut bien désormais qualifier d'affaire d'Etat accrédite le soupçon de l'existence d'un 'cabinet noir' au sommet de l'exécutif".

La DCRI et le gouvernement avaient déjà admis l'existence de cette opération, mais assuraient ne s'être intéressées qu'à la source de Gérard Davet et donc à l'éventuelle violation du secret professionnel d'un fonctionnaire.

Gérard Davet a déclaré à Reuters qu'il estimait avoir la preuve d'un mensonge d'Etat. "On a la preuve des mensonges des autorités de l'Etat, ils ont bien espionné un journaliste pour mettre fin à une affaire embarrassante. Cela confirme qu'il existe un système au plus niveau de l'Etat destiné à déstabiliser les gens qui gênent le pouvoir".

"Scandaleux" selon Le Monde

Il remarque que les agents de la DCRI ont donc eu accès, alors qu'il n'est soupçonné d'aucun délit, à la liste de tous les appels entrant et sortant de son téléphone, ainsi qu'aux données de géolocalisation, c'est-à-dire qu'ils ont pu tout connaître de ses déplacements.

Claude Guéant, ministre de l'Intérieur, a confirmé sur France Info l'existence d'une enquête mais nié que Gérard Davet ait été visé. "Il y a eu effectivement des repérages de communications téléphoniques, ce qui est tout à fait différent d'une écoute. Le repérage des communications ne permet pas de connaître la teneur d'une conversation", a-t-il dit. "Il s'agissait de rechercher l'auteur de la divulgation - présent à l'intérieur de l' administration - de procédures judiciaires, ce qui est tout à fait scandaleux. Il s'agissait donc de rechercher l'auteur d'un dysfonctionnement administratif grave", a-t-il ajouté.

La personne gênante a été écartée de l'affaire. La source supposée de Gérard Davet, un magistrat en poste au ministère de la Justice, a été limogé et chargé d'une mission sur la cour d'appel de Cayenne. Ces manoeuvres sur les journalistes, "affaire dans l'affaire" Bettencourt, avaient fait l'objet de deux plaintes du Monde, qui visaient une violation du secret des sources journalistiques en s'appuyant sur une loi votée à ce sujet sous le mandat de Nicolas Sarkozy.

Le parquet de Paris, lié hiérarchiquement au ministère de la Justice, avait d'abord classé ces plaintes sans suite mais le Monde a relancé l'affaire par deux nouvelles plaintes avec constitution de partie civile, saisissant la juge Zimmermann qui a elle-même saisi la gendarmerie. Bernard Squarcini, patron de la DCRI, est maintenant susceptible d'être entendu par la juge, estime Gérard Davet, qui est partie civile.

Sarkozy défendu par ses troupes

Au même moment, les responsables politiques se bousculent pour commenter les accusations portées contre le chef de l'Etat par la juge de Nanterre Isabelle Prévost-Desprez dans le livre co-écrit par Gérard Davet. La magistrate affirme qu'un témoin a vu Nicolas Sarkozy se faire remettre des espèces chez Liliane Bettencourt.

Ces accusations continuent d'être qualifiées "d'allégations" dans les rangs de la majorité. Laurent Wauquiez, ministre de l'Enseignement supérieur décèle une "triple faute éthique". Il remet en question le travail des auteurs du livre "Sarko m'a tuer", critiquant l'un des deux journalistes "qui avoue ne même pas avoir croisé ses sources", a-t-il déclaré sur RMC et BFM TV ce jeudi. Laurent Wauquiez dénonce aussi "la juge qui rapporte des propos qui datent d'un an et qui auraient été donnés à sa greffière par un témoin qui, moins de 24 heures plus tard, dément ce qui a été dit", a-t-il affirmé . Enfin, n'hésitant pas à citer Voltaire et l'affaire Calas "l'un des plus grands scandales de l'histoire de la France", le ministre a aussi regretté que ses collègues politiques "reprennent tout ça comme si de rien n'était pendant 24 heures".

Alain Juppé parle quant à lui de "politique de l'ordure". Lui aussi remet en cause le travail effectué par les rédacteur du livre "Sarko m'a tuer". Le ministre des Affaires étrangères, qui s'exprimait sur RTL prévient : "cela laisse mal augurer de la campagne future". "C'est une opération politicienne et je regrette que certains leaders socialistes aient mis les mains dans le cambouis", a-t-il ajouté.

Prudent, le ministre de la Justice, Michel Mercier a indiqué ne pas avoir "l'intention d'être à l'origine de quelque procédure que ce soit". Il déclare "faire toute confiance aux magistrats", notamment le premier président de la cour d'appel de Versailles "

Ailleurs à droite, Dominique de Villepin dit se "méfier des révélations sensationnelles démenties le jour même ou le lendemain", sur France Inter.

Des "pressions" dénoncées à gauche

La polémique ne tarit pas du côté de l'opposition. Pierre Moscovici, qui dirige la campagne de François Hollande pour 2012, dénonce un "système de pressions sur les gens qui gênent sur la justice, sur certains témoins, sur les médias" qui aurait été mis en place par Nicolas Sarkozy. "Il y a quelque chose dans l'atmosphère qui n'est pas sain dans ce pays", a-t-il déclaré sur France 2.

Mercredi, François Hollande avait, lui aussi, dénoncé des "pressions" de l'Elysée sur la justice.  "Je veux être prudent parce que je ne suis pas pour des polémiques qui surgissent à chaque occasion. Mais ce livre révèle (...) qu'il y aurait à l'Elysée, aux côtés même du président de la République, une cellule qui avec la police, avec la justice, ferait pression pour que des affaires soient lancées et d'autres étouffées", avait-il affirmé devant la presse.

Enfin Martine Aubry a demandé l'ouverture d'une enquête. Je sais les pressions dont (la juge) a été l'objet et dont elle s'est d'ailleurs plainte", avait par ailleurs indiqué la candidate aux primaires PS.

 Le démenti de l'infirmière

L' ancienne infirmière de Liliane Bettencourt, fameux témoin présumé qui aurait parlé de remises d'argent de la part de la milliardaire à Nicolas Sarkozy en 2007, a démenti ces affirmations mercredi.  "Lorsque j'ai été auditionnée par la juge Isabelle Prévost-Desprez, je ne lui ai pas parlé de remise d'enveloppes à Nicolas Sarkozy, ni à personne d'autre", a-t-elle confié au site du magazine Marianne. L'ex-employée de l'héritière a tout de même évoqué des pressions : "J'ai reçu des menaces de mort. On m'a fait savoir qu'à cause de mon témoignage dans l'affaire Banier-Bettencourt on allait retrouver mon corps dans la Seine".

"Si certains y voient un démenti, j'y vois plutôt une confirmation de ce que nous avançons dans le livre c'est-à-dire le climat de peur mis en place pour dissuader les gens de parler", a commenté Fabrice Lhomme, l'un des auteurs de l'ouvrage à l'AFP. Le journaliste du Monde affirme aussi que  "les témoins de l'affaire Bettencourt qui disposaient d'informations compromettantes pour Nicolas Sarkozy, ont été soumis à une pression infernale". Ces "menaces de mort" expliqueraient selon lui le démenti de l'infirmière. "On ne va pas s'étonner qu'elle n'assume pas des propos qui mettent en cause le président de la République ", ajoute-t-il. Un deuxième témoin aurait aussi confirmé aurprès d'Isabelle Prévost-Desprez avoir vu Nicolas Sarkozy recevoir de l'argent chez Liliane Bettencourt. La juge de Nanterre a été dessaisie du dossier en 2010 au profit du tribunal de Bordeaux, où l'enquête est encore en cours.