Etudiants étrangers : un enjeu économique pour la France

Par Clarisse Jay  |   |  985  mots
Copyright Reuters
Malgré les résolutions de litige au cas par cas, sur le fonds, les diplômés étrangers de haut niveau se heurtent toujours au zèle de l'administration depuis la circulaire Guéant-Bertrand du 31 mai 2011. Pourtant, les économistes sont unanimes, ils sont un plus pour l'avenir économique de la France.

Le gouvernement avait-il mesuré les éventuelles conséquences désastreuses sur l'économie du pays en publiant le 31 mai dernier la fameuse circulaire Guéant-Bertrand, du nom des deux ministres signataires ? Le ministère de l'Intérieur a beau répéter que ce texte ne fait que répéter les termes de la loi de 2006 relative à l'immigration et à l'intégration, sur le terrain, le zèle sans faille de certains préfets et de leurs administrations a conduit à une situation dramatique depuis la rentrée (latribune.fr du 22 septembre 2011) : de nombreux diplômés étrangers de haut niveau non ressortissants de l'UE (masters 2 d'universités, grandes écoles parmi les plus prestigieuses), souvent préembauchés par les plus grandes entreprises internationales (cabinets de conseil notamment), essuient des refus à leur demande de changement de statut (CDS), sésame nécessaire pour pouvoir signer un contrat de travail.

Motif : les recruteurs doivent privilégier les diplômés français sauf sur les métiers dits "en tension". A cela s'ajoute une liste des métiers ouverts aux étrangers non européens plus restreinte depuis cet été (et interprétées parfois librement) et des conditions de ressources nécessaires à l'obtention d'un titre de séjour étudiant plus élevées (620 à 770 euros contre 460 auparavant).

Traitement en back-office

Après des semaines d'agitation médiatique et la mobilisation des intéressés (étudiants constitués en "Collectif du 31 mai", recruteurs, grandes écoles, universités, politiques), le gouvernement a fini par consentir à un règlement "au cas par cas" des dossiers jugés "difficiles". Le Premier ministre s'est, le 22 novembre, fendu d'un courrier aux représentants de l'enseignement supérieur (conférence des présidents d'université, conférence des grandes écoles, conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieur) afin de "dissiper les malentendus et les inquiétudes que certaines interprétations et modalités d'application avaient pu faire naître parmi les établissements, les étudiants et les diplômés étrangers ainsi qu'auprès des entreprises qui souhaitaient les recruter".

Une formulation quelque peu compliquée qui exprime bien la gêne des institutions - et des entreprises - face à un sujet encore considéré comme "tabou" puisqu'il touche à l'immigration. En cette période préélectorale, le gouvernement a de fait durci sa politique en la matière ces derniers temps, notamment à l'égard de l'immigration professionnelle et régulière. "Nous ne voulons pas de politisation. Cela pourrait raidir la situation. Nous avons préféré un traitement en "back office"", admettait récemment Pierre Aliphat, délégué général de la conférence des grandes écoles (CGE) lors d'un débat organisé mardi dernier à l'ESCP Europe par l'Atuge (association des Tunisiens des grandes écoles). D'ailleurs, dans sa lettre, François Fillon rappelle certes les objectifs de rayonnement international de l'enseignement supérieur et de la recherche français, de compétitivité des entreprises nationale mais aussi ceux de "maîtrise de l'immigration visés par le gouvernement".

Dans ce contexte, le règlement des "cas difficiles" et le traitement comptable qui en est fait (202 dossiers solutionnés sur 600 selon Pierre Aliphat) est loin de régler le fond du problème. Ce lundi, plusieurs associations et syndicats (Ligue des Droits de l'Homme, SOS Racisme, Mrap, FSU, Unef , Collectif du 31 mai, CGT...) ont à nouveau manifesté pour demander l'égalité de traitement" entre salariés et étudiants français et étrangers. Car à long terme, c'est bien l'attractivité de la France sur le "marché" international de l'enseignement supérieur et de la recherche qui est en jeu. Ce qu'avait vanté en mai dernier lors du G8-G20 Valérie Pécresse, alors rue Descartes, et Alain Juppé, aux Affaires étrangères, en déclarant vouloir "les meilleurs" étudiants étrangers...

De son côté, pour faire face à la concurrence croissante des pays asiatiques dans cette bataille de la matière grise, la CGE avait indiqué en 2010 la nécessité pour la France de tripler le nombre de ses étudiants étrangers. En 2015, la population mondiale étudiante aura en effet doubler à 200 millions, dont les deux tiers dans les pays émergents (55 millions pour les seules Chine et Inde). Or, si la France accueille toujours plus d' étudiants étrangers (284.659 en 2010-2011, soit 12% de ses étudiants), elle a perdu sa troisième place comme pays d'accueil en 2009 au profit de l'Australie, selon les derniers chiffres de Campus France.

Obtenir des travailleurs qualifiés

Pour le démographe François Héran, qui pointe la main mise de l'Intérieur sur la politique migratoire des autres ministères, le revirement gouvernemental, qui préconisait encore au début de l'année d'accueillir plus d'étudiants étrangers, "cette politique peut faire fuir les étudiants en mobilité vers d'autres pays, notamment anglo-saxons, alors que la vrai logique, a fortiori en période crise, est bien de "recruter des compétences économiques". Ce qui manque justement, l'immigration de travail ne pesant finalement que 10% de l'immigration totale en France et le flux d'étudiants étant plus de deux fois plus élevé. Preuve qu'une majorité d'étudiants étrangers ne restent pas en France.

"En 2007 dans les pays de l'OCDE, 68% des visas des travailleurs qualifiés immigrés sont issus de CDS d'étudiants mais ils ne sont que 25% en France, relève ainsi Lionel Ragot, professeur d'économie à l'université de Lille I et directeur scientifique au Cepii (centre d'études prospectives et d'informations internationales). Les étudiants étrangers sont donc le seul moyen pour la France de retenir ses travailleurs qualifiés." Or, résume-t-il, la politique actuelle consiste justement à limiter l'immigration que la France doit au contraire économiquement privilégier.

Lire aussi...

L'immigration peut être une aubaine pour les pays industrialisés

Recrutement d'étudiants étrangers : léger déblocage en vue

Interdiction de recruter des étudiants étrangers : le ministère de l'Intérieur persiste

Grandes écoles : les jeunes diplômés étrangers interdits de travail