Le choc fiscal de François Hollande renforce l'attrait de l'exil en Suisse

Par Pierre-Alexandre Sallier, du quotidien Le Temps (Genève)  |   |  749  mots
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Le choc fiscal de François Hollande renforce l'attrait de l'exil en Suisse pour les riches contribuables français. En proposant de taxer à 75% la plus haute tranche des revenus des plus riches contribuables, il pourrait renforcer le nombre des candidats à l'expatriation fiscale, déjà en augmentation ces derniers mois.

Taxer à hauteur de 75% la part des revenus dépassant le million d'euros par an. Au nom du «patriotisme» des contribuables les plus riches, a invoqué François Hollande, lundi soir, sur TF1. La dernière proposition du candidat socialiste devient le nouveau point de fixation de la présidentielle française. Et attise les attaques du camp de Nicolas Sarkozy, dont le chef de file dénonçait hier une «impression d'amateurisme assez consternante». Son ministre des Affaires étrangères, Alain Juppé, a lui parlé de «confiscation fiscale». A gauche Ségolène Royal, candidate à la magistrature suprême en 2007, y a vu «un signal fort». Selon le chef de file des députés socialistes, Jean-Marc Ayrault, François Hollande a voulu «dire que l'indécence, ça suffit». Ce dernier a estimé «à moins de 3000» les contribuables concernés. Pierre Moscovici, directeur de la campagne socialiste, avait évoqué plus tôt entre 7000 et 30?000 personnes, rapporte l'AFP.

Les candidats à l'expatriation se multiplient

Les Français jugeront le 6 mai. La perspective de ce nouveau tour de vis fiscal pourrait cependant accélérer le départ des plus riches d'entre eux. En particulier vers la Suisse. Avocat au sein du cabinet Python et Peter à Genève, Philippe Kenel témoigne avoir reçu, au cours du seul mois de janvier, une quinzaine de dossiers de Français candidats à l'expatriation. Alors qu'en temps normal il «aide entre vingt et trente clients par an à se délocaliser, dont une moitié de Français».

La comparaison avec la grande peur qui toucha les possédants lors de l'élection de François Mitter­rand en 1981 - et sa promesse de «rupture avec le capitalisme» qui resta purement rhétorique - revient en mémoire. Les temps ont changé. La mise à l'abri de son patrimoine dans un compte bancaire - après avoir passé la frontière avec une valise de billets - n'est plus d'actualité. Les pressions exercées sur Berne pour raboter la portée du secret bancaire sont passées par là. «Cette clientèle non déclarée va, à moyen terme, devenir problématique pour les établissements», rappelle Charles Hermann. Spécialiste de la fiscalité bancaire chez KPMG à Zurich, ce dernier ne s'attend ainsi «pas à une vague de transferts d'argent vers la région lémanique». Pour lui: «La véritable question que ces contribuables se posent reste: est-ce que je veux vraiment résider en France?»

L'installation en Suisse envisagée à partir de 6 à 8 millions d'euros

Philippe Kenel estime entre «6 et 8 millions d'euros» le seuil à partir duquel l'installation en Suisse est envisagée par ses clients français. Contrairement à la Belgique, où la fortune est simplement moins taxée, le système d'imposition «au forfait» dont bénéficient les riches étrangers installés dans les cantons de Vaud ou de Genève n'est en effet pas calculé en fonction du patrimoine. Mais sur les frais liés au train de vie. Sur les 5500 fortunes étrangères imposées «au forfait», 2000 sont d'origine française. Le palmarès annuel des «300 plus riches» du magazine Bilan recensait en décembre 44 exilés français - dont 13 milliardaires - représentant un patrimoine de 36,5 milliards de francs. En juin dernier, le message du Conseil fédéral relatif à la loi sur l'imposition au forfait chiffrait à 668 millions les recettes encaissées en 2010 à ce titre, auprès de tous les étrangers fortunés. En comparaison, l'impôt sur la fortune, payé par un demi-million de Français, a rapporté à Paris 4,2 milliards d'euros en 2008.

Peur de la gauche et décus par la droite

L'exil fiscal ne serait pas uniquement causé par la crainte d'une victoire de François Hollande. «Cela reste une décision lourde qui reflète une rupture avec la façon dont le pays et ses finances publiques sont gérés», relate Philippe Kenel. «Ces contribuables savent que, si la gauche passe, la pression fiscale s'accroîtra; mais ils se disent également déçus par la droite», poursuit l'avocat. Ses clients évoquent la «rupture» de la décision du gouvernement Chirac de supprimer le plafond de l'impôt sur la fortune.

Les milieux immobiliers de la région lémanique se frottent les mains. En 2010, un rapport de l'Administration fédérale des contributions estimait à 2,3 millions de francs le prix moyen qu'un nouveau contribuable au forfait en Suisse est prêt à débourser pour un bien immobilier.

 

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