«Il n'y a jamais eu de consensus en France sur le nucléaire »

Par Propos recueillis par Marie-Caroline Lopez  |   |  575  mots
Fukushima n'a pas brisé le consensus historique des Français autour de l'énergie nucléaire, car ils ont toujours été très partagés sur la question, explique à La Tribune, Daniel Boy, directeur de recherche au CEVIPOF, le Centre de recherches politiques de Sciences Po. Si le nucléaire fait irruption dans la campagne présidentielle, ce n'est pas tant une conséquence de la catastrophe japonaise que de l'accord électoral PS-EELV, explique ce spécialiste de l'écologie politique.

 Fukushima semble avoir fait voler en éclat le consensus historique des Français autour du nucléaire ...
 En fait, il n'y avait pas de consensus. Selon les différentes enquêtes dont on dispose, il y a depuis longtemps une opinion publique très partagée en France sur le sujet. Surtout depuis l'accident de Tchernobyl en 1986. En 1982, nos enquêtes montraient que 37% des Français étaient contre « le développement de centrales nucléaires ». Ce chiffre est passé à 54% en 1989, 55% en 1994 et 59 % en décembre 2011. Dans une autre vague d'enquêtes, la part des Français opposés au remplacement des centrales est passé de 49% en 2007 à 56% fin 2011.

Pourquoi n'entendait-on pas cette opposition ?
Parce que le nucléaire n'était pas un sujet d'actualité. On n'en parlait pas. Il n'y a pas eu de véritables débats au parlement ni de débats publics dignes de ce nom. De surcroît, en France, le nucléaire a été mis en place par un système institutionnel très intégré et plus puissant que dans d'autre pays, avec notamment un corps des ingénieurs très puissant au niveau de l'Etat et d'EDF.

Donc Fukushima n'a pas changé la donne, selon vous ?
La grande nouveauté, selon notre dernière enquête réalisée en janvier 2012, c'est l'émergence d'une majorité « hésitante ». A la question « quelle est votre opinion sur le recours à l'énergie nucléaire en France ? », 21% des Français se sont déclarés favorables, 41% hésitants, 26% opposés et 12% sans opinion. La grande leçon de Fukushima, c'est cela. Les Français se disent : « ce serait peut être bien qu'on sorte du nucléaire mais on ne sait pas comment ». Et personne n'est aujourd'hui capable de répondre concrètement à cette question. Cela plaide en faveur d'explications et d'un vrai débat.

C'est Fukushima qui a propulsé le nucléaire au rang d'enjeu électoral cette année ?
C'est plutôt la position d'Europe Ecologie Les Verts et son accord avec le PS. Jusqu'à présent, la gauche avait confirmé la politique nucléaire lancée par la droite. En faisant deux concessions, de nature différente. Si le PS avait inscrit dans son programme en 1978 un moratoire sur la construction de centrales, il a finalement décidé en 1981 le seul retrait du projet de centrale à Plogoff, vraisemblablement en échange du million de voix de Brice Lalonde.

Ce projet faisait en outre l'objet d'une virulente opposition locale. En 1997, l'arrêt de Superphénix à Creys Malville a lui été l'objet d'un accord électoral entre les Verts et le PS. Ce sera la seule concession au programme antinucléaire des Verts. De leur côté, les Verts, puis EELV ont toujours placé le thème anti-nucléaire au c?ur de leurs revendications. Il était évident qu'ils allaient mettre la barre très haut sur ce sujet dans leur accord électoral avec le PS pour les présidentielles. Puis Fukushima est arrivé. La surprise, c'est plutôt que le nucléaire ne fasse pas plus de bruit dans la campagne.

Les Français ne s'y intéressent pas finalement ?
Si ce n'est pas au centre de leurs préoccupations actuelles, ils sont pourtant demandeurs de davantage d'informations. C'est ce que révèle le dernier baromètre publié le 7 mars par Le Monde. Ils sont 55% à estimer que ce thème n'est pas assez abordé dans la campagne.
 

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