L'essence chère s'invite dans la campagne présidentielle

Par Ivan Best  |   |  1113  mots
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Le prix du litre de super a dépassé les 2 euros dans certaines stations service parisiennes. L'essence chère et le poids élevé des taxes en France deviennent un sujet politique. François Hollande a confirmé hier le blocage des prix des carburants pendant trois mois et la mise en place de la TIPP flottante.

Interrogés sur leurs préoccupations, non pas pour le pays, mais pour leur situation personnelle, les Français répondent massivement, et de plus en plus, que leur pouvoir d'achat les inquiéte avant tout. Sondés par Ipsos pour Le Monde et le Cevipof sur les "trois questions qui les préoccupent le plus aujourd'hui" , 60% d'entre eux citent le pouvoir d'achat. Bien avant les retraites (35%) ou le chômage (20%). Et si le coût du logement figure bien sûr parmi les premiers facteurs d'un sentiment de perte de pouvoir d'achat, le prix de l'essence y contribue aussi. Voilà pourquoi François Hollande enfonce le clou sur l'inaction de Nicolas Sarkozy en la matière. "Vouloir simplement faire jouer la concurrence, comme le dit Nicolas Sarkozy, c'est vouloir ne rien faire au sujet de l'essence" a martelé ce jeudi l'ancien ministre de l'Economie Michel Sapin, en charge du projet de François Hollande, ce jeudi matin, sur Europe 1.

La TIPP flottante, sans coût pour les finances publiques?

Et de réexpliquer la proposition de François Hollande d'une TIPP flottante: lorsque le prix de l'essence hors taxes augmente, l'Etat encaisse des recettes supplémentaires de TVA, puisque celle-ci est proportionnelle au tarif affiché. Des recettes jugées non justifiées, qui seraient rendues aux Français grâce à une baisse de la taxe intérieure sur les produits pétroliers, puisque Bruxelles n'autorise pas des taux spécifiques de TVA sur tel ou tel produit.  L'Etat ne serait pas perdant dans l'opération, estime Michel Sapin: il s'agit bien de neutraliser les rentrées de TVA supplémentaires liées à l'envolée des cours du pétrole brut. Tout dépend bien sûr de la base de calcul: sur quelle hypothèse de prix du carburant sont fondées les prévisions de recettes de TVA intégrées dans la loi de finances. 

Nicolas Sarkozy conteste bien sûr cet argumentaire.  « Lorsque le prix de l'essence augmente, la consommation des Français diminue parce qu'ils font plus attention. Donc pour les recettes de l'Etat, ça n'augmente pas », a-t-il déclaré sur Europe 1. Une affirmation qui peut être contestée: à court terme, la hausse des prix ne provoque qu'un faible recul de la consommation, estiment les économistes de l'Insee, dans une étude qui vient d'être publiée. Pour Nicolas Sarkozy, il revient de fait aux automobilistes de faire jouer la concurrence:  « Je dis aux Français [...] faites jouer la concurrence, parce que s'il y a un petit malin dans une station-service qui met le litre d'essence à deux euros [...] franchement on n'est pas obligé [...] de payer plus cher pour avoir moins bien ». « Il y a des gens qui profitent de l'augmentation du pétrole, n'y allez pas, allez acheter votre essence là où c'est moins cher. »

 Une mesure qui risque de décevoir

Surtout, la proposition de TIPP flottante risque de susciter des attentes importantes des consommateurs-contribuables. Or, il ne faut pas en attendre une baisse importante du prix de l'essence au litre: interrogé sur le montant qui pouvait être espéré, Michel Sapin a esquivé prudemment la question. Il a préféré insister sur la perspective d'un blocage temporaire des prix, si la situation actuelle de tension sur le marchés pétrolier perdure. François Hollande a confirmé hier dans l'émission "Des paroles et des actes" sur France 2 le blocage des prix distributeurs pendant une période de 3 mois après son éventuelle élection, afin d'observer les comportements de marge des groupes pétroliers. Et répété que l'Etat ne "gagnera pas un centime d'euro avec la TVA sur la TIPP".

Une hausse des prix à... relativiser

A priori, la grogne des Français face l'envolée du prix de l'essence se passe d'explication. Quand le prix du super sans plomb va jusqu'à dépasser les 2 euros le litre dans la capitale... Mais il ne s'agit là que d'un symbole. Selon les derniers relevés, le prix moyen du super 98 était de 1,66 euros le litre en fin de semaine dernière. Un record, effectivement. S'agissant du gazole, que consomment la plupart des voitures vendues aujourd'hui, le prix était de 1,44 euros la semaine dernière, juste en dessous du plus haut de juillet 2008. Et dire qu'en 2000, le gouvernement avait mis en place la TIPP flottante, face à qu'il estimait être un choc pétrolier, alors que le prix du litre de super dépassait à peine un euro...

Mais, si l'on en raisonne sur le long terme, en termes pouvoir d'achat, et même si c'est difficile à entendre, l'essence n'est pas si chère, aujourd'hui... Avec une heure de smic, soit 9,22 euros, on peut acheter aujourd'hui 6,4 litres du carburant le plus répandu, le gazole. En 1970, alors que l'heure du smic était fixée à... 0,52 euro, les Français n'achetaient que 3,4 litres d'essence (du super, à l'époque) avec ce salaire minimum. Même si l'on prend pour base de calcul unique ce super-carburant, l'écart diminue, mais non la conclusion. L'heure de smic achète aujourd'hui 5,5 litres de ce super...

Une France qui roule, roule...

Pourquoi une tel mécontentement, alors? D'une part, parce que les Français se sont habitués à une essence bon marché, entre le contre choc pétrolier de 1985 et 2000. Mais surtout, les besoins se sont fortement accrus. En 1970, posséder une auto n'était pas donné à tout le monde. On comptait alors seulement 10 millions de véhicules particuliers. Aujourd'hui, c'est trois fois plus. En 1980, 30% des foyers ne possédaient pas de voiture. Aujourd'hui, tout le monde en a une, mis à part des personnes âgées (seuls 16% des ménages ne sont pas équipés). Une voiture, voire plusieurs: dans les zones faiblement urbanisées, 68% des personnes appartiennent à un ménage comptant autant de voitures que d'adultes. Comment s'en passer, alors que, hors des grandes villes, les transports en commun sont inexistants ou inadaptés? Les experts de l'Insee confirment, soulignant que les ménages ruraux, qui n'ont guère d'autres choix que d'utiliser leur auto, sont parmi ceux qui diminuent le moins leur consomamtion en phase de hausse des prix.

Des trajets toujours plus longs

C'est que les trajets se sont multipliés, et allongés. Pas pour le plaisir: simplement pour se rendre son lieu de travail, comme on peu le constater de visu dans les départements ruraux, où le trafic s'est intensifié toutes ces dernières années. Rien qu'entre 1994 et 2008, la distance domicile-travail s'est accrue de 26%, selon l'Insee. En raison de l'application de la notion "d'offre valable d'emploi", telle que prévue par la loi, tout chômeur doit accepter un poste se situant jusqu'à 50 kilomètres de son domicile...