Le vrai visage des classes moyennes

Par Julien Bonnet  |   |  1057  mots
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La France fait partie des rares pays à ne pas avoir connu de diminution de la proportion des classes moyennes dans sa population (59%), révèle le Crédoc dans une étude publiée ce jeudi qui s'intéresse aussi aux facteurs permettant leur émergence. L'idée reçue d'une paupérisation de cette catégorie sociale apparait battue en brèche : son niveau de vie a progressé de 1,1% par an entre 1979 et 2009.

A l'approche de l'élection présidentielle, les classes moyennes se retrouvent de plus en plus au centre des débats. Afin de rompre avec un certain nombre d'idées reçues sur cette catégorie sociale souvent relayées par les hommes politiques - elle serait en déclin, oubliée par l'Etat-providence, en voie d'éclatement - le Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc) a publié ce jeudi une étude qui cherche à comparer la place des classes moyennes. On y découvre ainsi que la France fait partie des pays qui compte une des plus importantes proportions de membres de la classe moyennes et l'un des rares où leur nombre ne diminue pas.

Les classes moyennes, une notion statistique à géométrie variable

Mais, avant tout, que recouvre cette notion ? "La définition des classes moyennes est variable selon les époques, selon les pays et selon le point de vue de chacun", explique l'étude qui ajoute que "si la sphère politique tend à entretenir un certain flou autour de cette notion, la communauté scientifique internationale converge, ces dernières années, vers des approches plus pragmatiques fondées sur la répartition des revenus au sein de chaque société". Dans sa recherche, le Crédoc considère comme appartenant à cette catégorie "les personnes vivant dans un ménage dont le revenu disponible moyen par unité de consommation est compris entre 70 % et 150 % de la médiane observée en population générale."

En appliquant cette définition, on obtient alors une division en trois catégories de la population. Pour la France, par exemple, qui dispose d'un revenu médian par unité de consommation de 1 750 euros - une personne sur deux vit avec moins de 1 750 euros par mois - cela donne alors la répartition suivante : 21,7% de bas revenus, 58,7% de classes moyennes et 19,6% de hauts revenus. Un couple avec deux enfants disposant de ressources mensuelles comprises entre 2 440 et 5240 euros fait partie des classes moyennes, précise le Crédoc.

Leur niveau de vie  progresse en moyenne de 1,1% par an

Si dans quasiment un pays d'Europe sur deux, les classes moyennes sont moins nombreuses aujourd'hui qu'il y a trente ans, ce n'est pas le cas de la France où sa proportion a même augmenté. Quelle que soit la nation considérée, le Crédoc met aussi en évidence que leur niveau de vie ne diminue pas. Illustration avec la France : entre 1979 et 2009, il a augmenté de 1,1% par an.

Pour expliquer l'idée - donc fausse - d'une paupérisation des classes moyennes, le Crédoc argue que ce sentiment s'est développé en raison d'une augmentation plus importante que les revenus des dépenses dites "contraintes" comme celles liées au logement. "Le pouvoir d?achat sur lequel les classes moyennes ont une réelle possibilité d?arbitrage se réduit comme peau de chagrin", ajoute l'étude. Autre élément, le pouvoir d'achat des classes moyennes est celui qui a le moins progressé. En 30 ans, le niveau de vie des hauts revenus a progressé de 1,4% par an, celui des bas revenus de 1,3%.

La richesse du pays n'explique pas forcément sa proportion de classes moyennes

En comparaison internationale et avec près de 59% des ménages appartenant aux classes moyennes, la France fait bonne figure aux côtés de pays tels que les Pays-Bas (61,5%), la Norvège (61,1%) et le Danemark (60,8%). Le Crédoc établie ainsi une corrélation entre le niveau de richesse d'un Etat et la place qu'occupe cette catégorie dans la société. Les pays qui disposent d'un produit intérieur brut par habitant élevé sont donc généralement bien placés dans le classement. A contrario, le Crédoc constate que "dans les pays baltes, en Bulgarie, en Roumanie, au Sud de l?Europe, en Russie et au Brésil (...), les classes moyennes sont moins nombreuses".

Cependant, la corrélation est loin d'être constante : les pays qui comptent une plus grande proportion de clases moyennes sont en effet la Hongrie (63,4%), la République Tchèque (63,1%) et la Slovaquie (61,7%). Inversement, "les pays anglo-saxons tels que le Royaume-Uni, l?Irlande, les États-Unis, le Canada et l?Australie bénéficient d?un PIB par habitant élevé, mais la part des classes moyennes y est
réduite", note le Crédoc. Pour expliquer ce phénomène, l'organisme indépendant explique l'importance des prélèvements obligatoires et des dépenses sociales dans l'émergence de cette catégorie. "Les pays anglo-saxons partagent, peu ou prou, la même conception du rôle de l?État dans l?économie : les prélèvements fiscaux sont limités et les prestations sociales sont réduites" indique le Crédoc. Contrairement à certains pays d'Europe de l'Est qui ont conservé des politiques fiscales fortement redistributives, la proportion de classes moyennes y est donc moindre.

Législation sociale protectrice et régime politique "consensuel" favorisent l'épanouissement des classes moyennes

Autre enseignement de l'étude, les classes moyennes "s'épanouissent mieux dans les pays où la législation sociale est plus protectrice". En utilisant un "'indicateur de protection sociale" - construit par l'OCDE et qui traduit le degré de développement des dispositifs légaux protégeant les salariés face à des événements comme le licenciement, la maladie ou le harcèlement moral - le Crédoc constate une corrélation positive avec la proportion de classes moyennes.

Les régimes politiques dits "consensuels"  et les démocraties "sociales" favoriseraient aussi le développement des classes moyennes. Cette classification a été conçue par le politologue américain Arend Lijphart. Opposés aux démocraties dites "majoritaires", les régimes "consensuels" se caractérisent par "une répartition du pouvoir exécutif au sein d'une coalition de partis", par un scrutin proportionnel ou encore par une organisation fédérale plutôt qu'un Etat centralisé. Concernant ces derniers points, le Crédoc souligne la situation atypique de la France. Son système politique relève davantage des démocraties "majoritaires" et pourtant les classes moyennes y sont importantes. Mais, pour les chercheurs, "ce statut particulier s?explique par le fait que la dimension "majoritaire" du régime politique français est compensée par une orientation "sociale" de ses politiques publiques".