Les trois questions que pose le méga-bonus de Maurice Lévy

Par Jamal Henni  |   |  1101  mots
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Attaqué sur son bonus différé de 16 millions d'euros, le gourou de la publicité est monté au créneau pour se défendre. Mais sa ligne de défense suscite une série de questions. En particulier, le versement du méga-bonus ne devait intervenir en théorie qu'à son départ de la direction.

La révélation lundi après-midi par La Tribune.fr que Publicis allait verser un méga-bonus de 16 millions d'euros à son président du directoire Maurice Levy a suscité un tollé politique. L'intéressé est lui-même monté au créneau. « C'est la somme d'une portion de ce que j'ai gagné année après année, qui a été accumulée depuis 2003. Si j'avais reçu [cette somme] année après année et n'avais pas accepté cette idée de paiement différé à titre de rétention, on n'en parlerait pas. Je reconnais volontiers que cette somme est importante, bien qu'elle soit le résultat d'un travail sur une longue période - près de 10 ans - et après 40 ans de travail à Publicis. Mais cette somme représente une toute petite portion de la valeur créée pour l'entreprise et ses actionnaires, et il me semble que nul doute existe sur ma contribution à la création de cette valeur », a déclaré le gourou de la publicité à « Challenges » Jeudi soir, le conseil de surveillance a publié un communiqué de soutien. 

Toutefois, la défense de Maurice Levy soulève trois questions.

1/ La date du paiement : le méga-bonus -ou « rémunération conditionnelle différée » dans le jargon utilisé par la société- « devrait m'être versé dans les mois à venir », indique Maurice Lévy à « Challenges ». Le problème est que ce n'est pas ce qui était prévu dans la convention approuvée début 2008 par le conseil de surveillance, puis par les commissaires aux comptes,et enfin par l'assemblée générale des actionnaires. En effet, cette convention stipule : « Maurice Lévy recevra une rémunération différée à la cessation de ses fonctions de président du directoire... ». Et la convention ne cite aucune date pour cette cessation de fonctions. Surtout, la convention n'a formellement pas été modifiée depuis lors, et contient toujours l'expression « à la cessation des fonctions »: cette expression est répétée sans être modifiée dans le rapport des commissaires aux comptes sur les conventions réglementées des exercices 2007, 2008, 2009 et 2010.

Problème : Maurice Lévy est toujours président du directoire, et vient même de rempiler pour quatre ans, soit jusqu'à fin 2015. Autrement dit, le texte de la convention a visiblement été écrit à un moment où Maurice Lévy prévoyait de partir fin 2011.

Interrogée, la société s'est refusée à tout commentaire et renvoie au document de référence. Et en effet, depuis l'exercice 2009, un simple complémentaire explicatif a été ajouté dans le chapitre consacré aux rémunérations : le méga-bonus « est du à Maurice Lévy en raison de son engagement d'assurer ses fonctions jusqu'au 31 décembre 2011. Elle constitue depuis l'origine un outil de fidélisation dont le caractère effectif n'est pas lié au départ de Maurice Lévy du groupe, mais au respect par celui-ci de son engagement de présence à son poste jusqu'au terme contractuel fixé. [...] Si ses fonctions devaient se poursuivre après la date limite de son engagement de rester, il aurait droit au 31 décembre 2011 au versement de cette rémunération ».

 

2/ La publicité de l'information

« Tout est transparent depuis l'origine, tout a été présenté publiquement et à l'assemblée des actionnaires », assure Maurice Levy dans son interview. Certes, une information assez complète sur le sujet figure dans les documents de référence depuis quelques années. Néanmoins, à l'origine, l'information était lacunaire, voire inexistante. En particulier, la création du méga-bonus a été initialement décidée par un conseil de surveillance le 9 décembre 2003. Or, aucune mention de ce méga-bonus n'apparaitra dans les documents de référence des exercices 2003 et 2004 -il faudra attendre les comptes 2005. Interrogé sur ce point, la société n'a pas répondu.

 

3/ Parachute ou pas parachute

« Cette rémunération différée n'est ni un parachute, ni une indemnité de quelque nature que ce soit », assure enfin Maurice Levy, qui par ailleurs préside depuis 2010 l'Afep (Association française des entreprises privées). Et l'on comprend son insistance sur ce point. En effet, ce méga-bonus est en totale contradiction avec toutes les recommandations du code Afep-Medef sur les indemnités de départ. En effet, selon ce code, « l'indemnité de départ ne doit pas pouvoir excéder deux ans de rémunération (fixe et variable). Son versement doit être exclu si le dirigeant quitte à son initiative la société pour exercer de nouvelles fonctions, ou encore s'il a la possibilité de faire valoir à brève échéance ses droits à la retraite. [Elle ne doit être] autorisée qu'en cas de départ contraint et lié à un changement de contrôle ou de stratégie ».

Toutefois, une clause du méga-bonus fait furieusement penser à une caractéristique des golden parachutes. Cette clause permettait à Maurice Lévy de toucher son méga-bonus s'il avait décidé de partir suite à un changement d'actionnaire de référence. Précisément, la convention  sur le méga-bonus stipule : « Maurice Lévy aura droit au versement de cette rémunération différée à condition de ne pas démissionner de son mandat de président du directoire avant la fin de ce mandat le 31 décembre 2011. La cessation des fonctions en raison de la maladie ou de l'invalidité, le décès, un départ volontaire à la suite d'un changement d'actionnaire de référence du groupe ne seront pas considérés comme une démission ».

Précisons toutefois que le méga-bonus grossissait au fil des années, et que si, par exemple, une OPA hostile avait eu lieu il y a quatre ans, Maurice Lévy aurait pu toucher, non point 16 millions d'euros, mais seulement 9,7 millions, à condition bien sûr d'avoir en parallèle rempli les conditions de performances financières du méga-bonus. Interrogé sur ce point, la société n'a pas non plus répondu.

Un bonus qui risque de mal passer auprès des petits porteurs

Au final, ce méga-bonus risque de mal passer  auprès des petits porteurs, comme des défenseurs d'une bonne gouvernance. Comme le dit Nicola Passariello, du cabinet de conseil en gouvernance d'entreprise PZCGA, « la rémunération différée est une bonne pratique de gouvernance dans le principe, car elle permet de lier les intérêts du management avec ceux des actionnaires dans le long terme. Toutefois, les actionnaires attachent de l'importance à la transparence tant dans la terminologie que dans les modalités ».