Un vrai combat

Par Par Ivan Best, Jean-Christophe Chanut, Laura Fort et Robert Jules  |   |  2443  mots
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Beaucoup de chiffres, beaucoup d'invectives sur les questions économiques pendant les 144 minutes de débat. L'ensemble des échanges, souvent techniques, mérite à coup sûr un décryptage. Thème par thème, notre analyse.

Les chiffres du chômage : tout le monde a raison
Comme bien souvent, lorsqu'il s'agit de chiffres... Tout le monde a raison. En l'occurrence, s'agissant de savoir quelle a été l'exacte augmentation du chômage durant le quinquennat, François Hollande et Nicolas Sarkozy avaient...tous les deux raisons. Pour le candidat socialiste, selon les critères français définis par l'Insee et Pôle Emploi, la progression du nombre des demandeurs d'emploi inscrits en catégorie A (ceux qui n'ont pas travaillé durant le mois précédent) a atteint 720.000. C'est exact. Comme il est vrai que la progression a dépassé le million quand il s'agit des chômeurs inscrits dans les catégories A, B, C (incluant ceux qui ont eu une activité réduite durant le dernier mois). En revanche, Nicolas Sarkozy a également raison quand, sur les bases des données du Bureau International du Travail (BIT), il affirme que le chômage n'a augmenté que de 422.000 personnes en cinq ans, soit une hausse de 18,7% en 5 ans, ce qui est plutôt mieux que la moyenne de l'ensemble de l'Union européenne. La définition du chômeur, au sens du BIT étant différente de celle de Pôle Emploi (notamment sur la notion de "personne immédiatement disponible"), les deux candidats ont raison. Seulement, il ne s'appuient pas sur les mêmes statistiques, ce qui rend les comparaisons hasardeuses.

Durée du travail : la France n'a pas le monopole des 35 heures
Nicolas Sarkozy estime que la perte de compétitivité de la France remonte notamment à l'institution des 35 heures comme durée légale du travail en France en 1998 sous le gouvernement Jospin. Or, sur ce point, il oublie de dire que dans l'Industrie allemande, la durée du travail est fixée conventionnellement (il n'existe pas de durée légale du travail en Allemagne) également à 35 heures, voire même à 32 heures dans certaines entreprises. Globalement, la durée du travail réelle est inférieure outre-Rhin comparée à la France. Par ailleurs, le président-candidat a davantage précisé sa pensée concernant les accords "compétitivité emploi". Il a avancé l'idée que les salaires et/ou ou le temps de travail pourrai(en)t diminuer si "une majorité de salariés dans l'entreprises concernée donnent leur accord". Ce qui pourrait signifier que ce ne sont pas les syndicats qui décideraient via un accord conventionnel mais directement les salariés, via un référendum. Il s'agirait d'une importante novation. Et, a minima, une façon de "tuer" la notion de durée légale du travail puisque chaque entreprise pour fixer sa durée conventionnelle.

Heures supplémentaires : Sarkozy surévalue sa mesure
Nicolas Sarkozy évalue à 500 euros annuels le montant des gains liés aux heures supplémentaires pour un ouvrier. Pour un smicard non imposé à l'impôt sur le revenu, qui réalisait déjà, avant la réforme, quatre heures supplémentaires par semaine (c'est le cas pour beaucoup d'entre eux), le gain correspond seulement à la suppression de la part « salariés » des cotisations sociales. Cela correspond deux euros de l'heure, soit un peu plus de 30 euros par mois.

Dette : les deux candidats approximatifs
La dette a augmenté de 600 milliards d'euros sous votre quinquennat, affirme François Hollande. Nicolas Sarkozy lui répond que la hausse a été limitée à 500 milliards. La vérité se situe entre les deux. Entre la fin du premier trimestre 2007, avant l'arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, et la fin 2011 (dernier chiffre connu), la dette publique a augmenté de 529 milliards d'euros. La hausse atteindra sans doute autour de 550 milliard à la fin du premier trimestre 2012. Le candidat PS n'a pas tort quand il dit que la dette publique a doublé depuis que la droite est revenue au pouvoir, au printemps 2002. Au 31 mars 2002, elle était de 865 milliards. Elle a sans doute atteint 1730 milliards à la fin du premier trimestre 2012. Il est exact que la Cour des comptes a attribué une grande part de cette dette à un déficit structurel. Mais celui-ci avait été notamment alourdi sous le quinquennat de Jacques Chirac. En dix ans, de 2000 à 2010, 100 milliards d'euros de baisses d'impôts ont été consentis par l'Etat.

Prélèvements obligatoires : les riches taxés ou non ?
François Hollande et Nicolas Sarkozy ont eu mercredi soir une passe d'armes sur le niveau des prélèvements obligatoires, le candidat socialiste accusant le président sortant de porter la responsabilité du taux record français que ce dernier venait de présenter comme un handicap.
"Vous êtes conscient que nous sommes dans un monde ouvert (...) et que nous avons les impôts les plus élevés d'Europe avec la Suède", a affirmé Nicolas Sarkozy. En fait, c'est au Danemark que les prélèvements sont les plus élevés.
S'agissant de la hausse de 1,5 point des prélèvements obligatoires sous le quinquennat Sarkozy (ils atteindront 44,6% du PIB cette année), Nicolas Sarkozy estime que c'est là la preuve que les « riches » n'ont reçu aucun « cadeau » : "votre raisonnement est incohérent parce que si j'ai augmenté les impôts, je n'ai pas fait de cadeaux aux plus riches et notamment parce que j'ai aligné la fiscalité des revenus financiers sur ceux des revenus du travail. A force de vouloir trop démontrer, vous avez démontré le contraire". Réponse de François Hollande : « non, vous avez taxé les plus modestes, et avantagé les riches ».
François Hollande évoquant à ce sujet les « riches amis » de Nicolas Sarkozy, tels Lilianne Bettencourt, ayant reçu des chèques du Trésor public avec le mécanisme du bouclier fiscal, Nicolas Sarkozy a livré le noms de Claude Perdriel (propriétaire du groupe Nouvel Observateur) et de Matthieur Pigasse. Ce dernier a démenti, via Twitter, avoir jamais bénéficié du bouclier.
Quelle a été, en réalité, le sort des riches ? Par rapport à la situation prévalant en 2007, les plus aisés ne tirent finalement, au total, que peu d'avantages, à la fin de ce quinquennat, en raison des récentes hausses d'impôts. Mais, comme l'a démontré récemment l'Institut des politiques publiques, la forte baisse de l'ISF en 2011 a avantagé les rentiers les plus fortunés, au patrimoine important en regard de revenus relativement faibles, alors que l'augmentation de l'impôt sur le revenu (surtaxe de 3 et 4%) vise au contraire les riches actifs, tirant leurs ressources de leur activité professionnelle.

TVA : Hollande charge la barque
La hausse de la TVA (+1,6 point, sauf sur les produits de première nécessité) votée par le parlement au début de l'année, et finançant la suppression des cotisations familiales payées par les employeurs sur les salaires moyens, coûtera cher aux Français, assurément. Elle s'appliquera le premier octobre, si Nicolas Sarkozy est réélu. François Hollande a décidé de faire voter son annulation. Mais il charge quelque peu la barque quand il répète, à plusieurs reprises pendant le débat, qu'elle coûtera 300 euros par an à des smicards. Cela suppose un niveau de consommation (hors alimentaire et autres produits de première nécessité) de 1562 euros par mois. Un chiffre un peu forcé...
Les deux candidats citent des chiffres apparemment contradictoires sur les bénéficiaires de la suppression des cotisations familiales. Il est vrai, comme le souligne François Hollande, que l'industrie ne bénéficiera que d'une faible partie du montant de la mesure (un peu plus de 3 milliards sur les 13 milliards de coût global). Mais il est aussi exact que les salaires moyens, principalement visés, se trouvent surtout dans l'industrie.

Taxe professionnelle : une vraie-fausse suppression
Nicolas Sarkozy affirme avoir « supprimé la taxe professionnelle ». En fait, subsiste la part de la taxe professionnelle taxant les locaux d'entreprise, et a été créée une contribution sur la valeur ajoutée, croissante avec la taille de l'entreprise. La réforme de Nicolas Sarkozy a avantagé l'industrie, beaucoup de professions de services payant au contraire une taxe accrue.

Europe : match nul
Sur la crise européenne, les deux candidats ont campé sur leurs positions. François Hollande a répété la nécessité de développer un volet de croissance en supplément des plans d'austérité, car, selon lui, la réduction des déficits publics et du poids de la dette passe nécessairement par la croissance économique. Pour cela, il préconise des euro-obligations, un rôle accru de la Banque centrale européenne (BCE), un recours aux fonds structurels et l'imposition au niveau européen d'une taxe sur les transactions financières. Surtout, François Hollande a critiqué la gestion de la crise par Nicolas Sarkozy.

Le président sortant lui a rétorqué que l'objectif de déficit public a été largement atteint en 2011, que la France en empruntant à quelque 3% reste indépendante des marchés financiers. Et que la réduction du déficit public a pu se faire sans que la France ne subisse de récession, contrairement à nombre d'autres pays de l'Europe.
L'échange a pris un tour plus polémique lorsque le candidat socialiste a lancé au président sortant : "Si vous aviez été libre à tout propos pour mener cette politique" de croissance "vous l'auriez menée, c'est Mme Merkel qui vous en a empêché, vous avez cédé là-dessus et vous avez pris une très grande responsabilité."
"Vous osez dire que je n'ai rien obtenu de l'Allemagne?", s'est insurgé Nicolas Sarkozy. "C'est faux", a-t-il ajouté, "quand la BCE prête à 1%" aux banques "en violation de la lettre des traités, je l'ai obtenu au sommet de Strasbourg (...) de l'Allemagne".
En révélant qu'il avait obtenu cette mesure anti-crise emblématique de la Banque centrale européenne (BCE), alors même qu'il s'était engagé à ne plus aborder le sujet en public, Nicolas Sarkozy a voulu indiquer que la gestion de la crise européenne est rendue difficile par l'intergouvernementalité.
A l'issue de ce sommet, le 24 novembre 2011 à Strasbourg, Nicolas Sarkozy, Angela Merkel et le président du Conseil italien Mario Monti avaient affirmé conjointement que "dans le respect de l'indépendance de cette institution, il fallait s'abstenir de demandes positives ou négatives" à la BCE, alors même qu'un accord venait d'être passé entre eux.
"M. Hollande connaît mal l' Europe ", a jugé Nicolas Sarkozy, "il ne sait pas qu'en Europe on fait pas des oukazes (...), il y a des compromis à faire

Finance : la grande absente
Ennemis « sans visages » pour Hollande, et coupables de ne pas assumer leur rôle de financement de l'économie pour Sarkozy, les banquiers et le secteur financier en général auront très peu été évoqués par les candidats.
La fiscalité et les hauts revenus auront sans doute été estimés plus vendeurs par leurs conseillers... à moins que l'influent lobby bancaire n'ait fait passer le message... Car la transition entre la taxation des hauts revenus et les hauts salaires des dirigeants des banques dévoilés ces derniers jours aurait pourtant été toute trouvée. D'autant plus que François Hollande prévoit dans son programme la suppression des stocks options et l'encadrement des bonus.
Pendant la campagne, François Hollande a annoncé un projet de réforme bancaire s'il était élu. Dès le meeting du Bourget le 22 janvier, il avait déclaré que son "véritable adversaire" était "le monde de la finance" et affirmait dans La Tribune que : "Les marchés ne feront pas la loi en France".
Quant à Nicolas Sarkozy, il affirmait le 1er février lors du salon des entrepreneurs que le rôle des banquiers est d'accompagner la création et le développement des entreprises, "pas de gagner beaucoup d'argent très rapidement". "Le rôle d'un banquier, ce n'est pas d'entretenir une salle de marchés où des jeunes ultra-diplômés derrière des ordinateurs hyper-compétents parient sur une chose aussi intéressante que de savoir si la bourse va franchir les 2.000 points ou les 2.100 points. Franchement ça, on n'en a pas besoin. On a vu où ça conduisait le pays." (Les détails de cette déclaration ici )
Seule la taxe sur les transactions financières aura mollement agité les deux candidats. "François Hollande invente le fil à couper le beurre lorsqu'il veut une taxe sur les transactions financières. Cela ne sera pas difficile, elle existe déjà", lance Nicolas Sarkozy. Et François Hollande de répliquer : "Vous n'avez pas créé cette taxe, vous avez rétabli l'impôt de Bourse". L'échange aura tourné court. Et pour cause : les duellistes sont tous deux dans le vrai. Le candidat socialiste a effectivement prévu dans son programme de créer une taxe "sur toutes les transactions financières". Une telle taxe a en effet été votée mi février par l'Assemblée nationale et entrera en application en août prochain. Elle prévoit notamment la création d'une taxe de 0,1% sur les échanges d'actions des sociétés dont la capitalisation boursière dépasse un milliard d'euros et dont le siège social est en France.
Et le candidat UMP a en effet remis au goût du jour l'impôt de Bourse introduit en 1893 puis abrogé dans la loi de Finances pour 2008.
Au final, la finance, d'ordinaire bouc émissaire facile, n'aura pas été ce mercredi soir l'ennemi public n°1. Peut-être justement parce qu'elle fait l'unanimité contre elle et qu'elle n'aurait donc pas pu départager les deux candidats...

Epargne : rien de neuf
François Hollande a annoncé vouloir "mobiliser l'épargne des ménages pour l'affecter au financement des PME".
Il avait déjà affirmé qu'il souhaitait utiliser l'épargne des Français pour financer le logement (en doublant le plafond du livret A) et la dette publique.
Si le taux d'épargne des ménages français a atteint l'an dernier 16,8%, soit son plus haut niveau depuis 1983, elle n'est pas pour autant un puit sans fonds... En 2011, le patrimoine des ménages atteignait 11 500 milliards d'euros (estimation FFSA/BIPE/Cahiers de l'épargne), sauf que 68% de cette somme concerne des actifs non financiers, notamment l'immobilier.
Fin mars 2012, l'assurance vie rassemblait quant à elle 1 379,1 milliards d'euros, le livret A et le livret de développement durable (LDD) 295,1 milliards d'euros. Problème : depuis août 2011, les épargnants diminuent les versements sur leurs contrats d'assurance vie, et même, les ont ponctionné de manière importante sur cette période (87.2 milliards d'euros depuis août 2011). Sur ce sujet, Nicolas Sarkozy n'a pas donné la réplique au candidat socialiste.