Nicolas Sarkozy s'est-il trompé d'élection ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  918  mots
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Avec son échec, Nicolas Sarkozy ne fait pas exception en Europe. Tous les pays de l'Union qui ont connu une élection ont balayé leur majorité au pouvoir. Mais le président sortant a sous estimé les critiques du bilan de son quinquennat et commis quelques graves erreurs en donnant l'impression de mener une politique économique brouillonne. Il a, curieusement, tenté en 2012 de faire revivre sa campagne de 2007, flattant un électorat très à droite au dépens des forces du centre.

Ainsi, pour la deuxième fois depuis le début de la Vème République, un président sortant n'est pas parvenu à décrocher un second mandat. Nicolas Sarkozy rejoint Valéry Giscard d'Estaing dans l'échec, à la différence de François Mitterrand et de Jacques Chirac, voire du Général de Gaulle (mais celui-ci n'avait pas été élu au suffrage universel direct pour son premier septennat). Pis, avec ses cinq années, la présidence de Nicolas Sarkozy aura été la plus courte de la Vème République. Comment le président sortant a-t-il pu perdre cette élection face à un concurrent pourtant traité de "candidat de substitution" ?

Un rejet que l'on retrouve partout en Europe

Un constat d'abord, depuis le début de la crise de la dette, pas un seul pays européen n'a reconduit sa majorité en place, de droite ou de gauche : Grèce, Irlande, Espagne, Portugal, Italie et même de nombreux länders allemands... Nicolas Sarkozy n'échappe donc pas à ce mouvement général. D'autant plus dans un pays qui a majoritairement voté "non" au traité constitutionnel européen en 2005 et où la méfiance par rapport aux institutions européennes, BCE en tête, est très forte.

Les raisons endogènes ne manquent pas non plus. Peut être davantage que tous les autres présidents, y compris François Mitterrand, Nicolas Sarkozy a su faire rêver en 2007. Parce qu'il était jeune. Parce qu'il était transgressif. Parce qu'il promettait la "vraie » rupture". Parce qu'il apparaissait comme libre et indépendant. En quelques jours, ce capital a été dilapidé par des comportements incompréhensibles pour une majorité de Français : soirée au Fouquet's entouré par le stars du CAC 40 ; quelques jours de repos sur le yacht du milliardaire Vincent Bolloré, vacances américaines dans l'un des endroits les plus huppés des Etats-Unis...

Les maladresses de communication sur la loi Tepa

Sans parler de ses premières décisions économiques qui ont été perçues par beaucoup comme des erreurs pour certaines, des provocations pour d'autres. La volte face sur l'instauration dune "TVA sociale" (déjà !) en pleine élection législative ; l'incroyable maladresse de communication autour de la loi "travail emploi pouvoir d'achat "(Tepa), avec son bouclier fiscal abaissé à 50%, le relèvement des plafonds d'exonération sur les droits de succession, les exonérations fiscales et sociales sur les heures supplémentaires - qui ont provoqué un incotestable effet d'aubaine - et ce alors que la courbe du chômage repartait à la hausse. Une loi censée être la traduction du "travailler plus pour gagner plus", slogan vedette de la campagne de 2007 et qui a été interprétée comme "une loi pour les riches".
L'étiquette de  "président des riches" était définitivement collée, les corrections apportées en fin de mandat n'y changeront rien. Pis, elles donnaient l'impression d'une politique économique brouillonne avec un président détricotant ce qu'il avait lui même conçu.

Un président diviseur

L'autre ombre de l'ère Sarkozy réside dans son "art" de créer de la division, de cliver. En 5 ans, il s'est mis à dos la magistrature, le corps enseignant, le monde hospitalier, les élus locaux. Récemment encore, dans sa volonté de faire "peuple", il dénonçait les corps intermédiaires... Mais le sommet a été atteint en juillet 2010, à Grenoble, quand il a distingué les "Français d'origine étrangères" des autres et lorsqu'il a stigmatisé la communauté des Roms dans son ensemble..... Ce qui a valu à la France un rappel à l'ordre des autorités européennes... et du Pape.

Une campagne électorale troublante

Et que dire de cette curieuse campagne électorale où Nicolas Sarkozy a sombré dans une forme de populisme exacerbée. Une idée qui lui fût soufflée par son sulfureux conseiller de l'ombre Patrick Buisson, au grand dam de sa  "plume" Henri Guaino qui aurait, lui, souhaité des accents plus gaulliens. Certes, "les riches" lui étaient acquis. Mais vouloir à ce point flatter "le peuple" c'était tout de même très risqué. C'était oublié que durant son quinquennat, le chômage a progressé - en retenant le moins pire des indicateurs - de 18%, que le salaire médian ne dépasse pas 1.700 euros mensuels, que 700.000 emplois industriels ont été perdus, que la dette publique s'est alourdie de plus de 500 milliards d'euros, que sa promesse d'une "France de propriétaires" fût impossible à tenir en raison de l'envolée des prix de l'immobilier.

A croire que le président sortant s'est trompé d'élection. Cherchant à revivre un "remake" de 2007 quand il avait réussi à  "siphonner" l'électorat de Jean-Marie Le Pen. Mais en 2012, ces électeurs FN sont globalement restés fidèles à l'héritière, Marine Le Pen. Il était très osé vouloir séduire une nouvelle fois cette frange de la population, la plus déçue par le quinquennat. Celle qui souffre le plus de la mondialisation et des délocalisations. Et ce au dépens de l'électorat centriste, boudé quasiment tout le long de la campagne. Etonnant de la part d'un Nicolas Sarkozy qui, sa carrière le montre, est doté d'un véritable flair politique et dont le modèle est, selon ses propres dires, François Mitterrand.  Gageons que la campagne perdue du président sortant servira de support et d'exemple de "ce qu'il ne faut pas faire" dans les enseignements des instituts d'études politiques.