3% de déficit en France en 2013, mission impossible ?

Par Ivan Best  |   |  934  mots
Pierre Moscovici, ministre de l'Economie Copyright Reuters
La dégradation de la conjoncture dans la zone euro, dont témoignent les derniers indicateurs, rend l'objectif de 3% de déficit en 2013 de plus en plus difficile à atteindre. Voire contreproductif. La question d'un décalage sera posée un jour ou l'autre.

L'Espagne a donc obtenu un délai pour ramener ses déficits publics à 3% du PIB. Ce sera plutôt 2014 que 2013. Cette décision avait tout de l'évidence, tant l'Espagne se débat dans les difficultés : son déficit, officiellement prévu à 5,3% de la richesse nationale, va sûrement déraper.
Et la France ? Un tel délai est-il envisageable ? La question relève, aujourd'hui, du tabou. Au sein du gouvernement, elle est considérée comme hors de propos. L'équipe conduite par Jean-Marc Ayrault l'assure, Paris réduira évidemment son déficit. Il sera bel et bien ramené de 4,5% du PIB cette année à 3% en 2013. "Nous atteindrons les objectifs pour 2012, 4,5%, nous atteindrons les objectifs pour 2013, 3%, et nous le ferons tout en menant notre politique, celle pour laquelle les Français ont élu François Hollande" à la présidence de la République, a insisté Pierre Moscovici , ce mercredi, depuis Luxembourg.

Bruxelles préconise des mesures de long terme....

Comment ? La commission européenne critique les options pro-croissance défendues à Bruxelles par François Hollande, qui pourraient se traduire par des « project bonds » (obligations de projets) ou de nouveaux prêts de la Banque européenne d'investissement, au motif que tout cela prendra beaucoup du temps... mais c'est pour suggérer une série de réformes structurelles (concurrence accrue dans certaines professions, déréglementation de l'aménagement du territoire, libéralisation du marché du travail) dont l'effet sur la croissance serait tout aussi long, voire plus, à se manifester. On compte là en années....

... et suggère aussi la chasse aux niches fiscales
Elle suggère aussi, cela a été moins souligné, de mener la chasse aux niches fiscales. Or, c'est justement ce qu'a prévu le candidat François Hollande, qui l'annoncé de longue date, le jour même de la présentation de son projet, le 26 janvier. L'essentiel des 29 milliards d'euros de recettes nouvelles annoncées ce jour, et destinées à réduire le déficit public, proviendraient de la remise en cause de niches, dont bénéficient notamment les entreprises. Celles-ci paieraient beaucoup plus d'impôt sur leurs bénéfices, entre autres.
Le hiatus entre la Commission européenne et Paris tient sans doute à l'ampleur de ce programme de remise en cause des niches fiscales, qui s'apparente, in fine, à un plan de hausses d'impôts : Bruxelles voudrait qu'on insiste plus, en France, sur les baisses de dépenses. Ce que le candidat Hollande s'est refusé à programmer, arguant que le ralentissement du rythme global de hausse de la dépense publique, à 1% l'an (contre +2% en tendance) représentait déjà un effort important.

Dégradation constante de la conjoncture
Quoi qu'il en soit, ce programme de « consolidation » des comptes, comme on dit à Bruxelles, pourrait être difficilement applicable. Ou, tout au moins, sa mise en ?uvre risque de ne pas avoir les effets positifs escomptés sur les comptes publics. Car il interviendrait dans un contexte conjoncturel beaucoup plus dégradé qu'il ne l'était en début d'année.
La France, on le sait, a pour l'instant -jusqu'à la fin du premier trimestre 2012- échappé à la récession. De peu, mais le PIB n'a pas diminué. Or les indicateurs publiés ces derniers jours donnent à penser que ce ne sera plus longtemps le cas.

La confiance des chefs d'entreprise français s'est sensiblement dégradée, en mai, a annoncé l'Insee jeudi dernier. Si ce constat était simplement français, l'idée pourrait être défendue que l'économie française, en exportant un peu plus, serait en mesure d'éviter le pire. Le hic, c'est que le marasme est européen. La commission européenne a publié ce mercredi son indicateur du climat des affaires. Celui-ci est tombé son plus bas niveau depuis la fin 2009 (année de récession). Toutes les composantes sont mal orientées, soulignent les économistes : c'est le cas de la production passée, de celle à venir, des stocks, des carnets de commande...

De son côté, la Banque centrale européenne a annoncé, toujours ce mercredi, un nouveau ralentissement du crédit au secteur privé dans la zone euro. Les encours de crédit ne progressent que de 0,3% sur un an (d'avril 2011 à avril 2012), soit une baisse en valeur réelle, compte tenu de la hausse des prix. « Ces données pointent des tendances déflationnistes en zone euro » estime Christian Schulz, économiste à la banque Berenberg. Ces indicateurs pourraient donc annoncer l'imminence d'une récession qui toucherait l'ensemble des pays membres de la zone.

Deux fois le plan Juppé
Un plan de hausses d'impôts de 29 milliards d'euros (1,5 point de PIB, soit deux fois le plan Juppé de 1995, accusé d'avoir « cassé » la croissance), auquel le gouvernement ajouterait, pour faire bonne mesure, une quinzaine d'autres milliards d'impôts destinés à financer des mesures nouvelles, est-il adapté à la conjoncture actuelle ?
La présidente du Medef avait évoqué à ce sujet une « charge écrasante pour les entreprises ». Il est naturel que celles-ci acceptent mal de payer plus d'impôt. Mais, en l'occurrence, il n'est pas certain que Laurence Parisot exagère outre mesure...

Peut-on envisager des coupes d'un montant équivalent dans les dépenses? Même si cette politique était praticable -aucun politique n'a jamais préconisé une telle saignée, à ce rythme- la conséquence d'un tel choix pourrait être l'entrée dans une spirale récessive. Du coup, la situation des déficits ne s'améliorerait pas, bien au contraire. C'est ce qu'on voit en Espagne. La solution ? Décaler d'un an le retour à 3% de déficit. Inenvisageable aujourd'hui, peut-être dans quelques mois....