Pourquoi l'emploi résiste à la croissance zéro

Par Ivan Best  |   |  706  mots
Michel Sapin, ministre du Travail Copyright Reuters
Compte tenu de la situation de stagnation de l'économie, voire de récession, la hausse du chômage peut surprendre par sa faiblesse. La création de nombreux emplois dans le tertiaire, souvent à faible valeur ajoutée, et expliquerait cette tendance.

Un peu plus de 4.000 chômeurs supplémentaires en avril... l'annonce n'a rien de réjouissant. Pour autant, elle surprend de nombreux économistes. Car l'économie française est ballottée, actuellement, entre stagnation et récession. Une récession dans laquelle elle est peut être en passe de tomber, si l'on en croit les derniers indicateurs. Ce qui aurait justifié une hausse beaucoup plus nette du nombre de demandeurs d'emplois, avant même la mise en ?uvre des différents plans sociaux dans les grandes entreprises, qui font aujourd'hui l'actualité.

Stabilité de l'emploi salarié
A voir les dernières statistiques concernant les créations nettes d'emplois salariés, celles du premier trimestre, la surprise est encore plus grande : dans un contexte de croissance zéro, le ministère du Travail a encore enregistré plus de 10.000 créations de postes (dans le secteur marchand, hors emplois publics ou aidés). Sur un an, c'est la stabilité qui prévaut (+3000). Rien à voir avec les tendances des décennies passées. Qu'on en juge : au début des années 80 (1983 et 1984), l'économie française, dans une situation conjoncturelle similaire, détruisait environ 50.000 postes chaque trimestre. Ainsi, l'année 1984 s'est soldée par la perte de 229.000 emplois. Plus près de nous, l'année 2003, pendant laquelle le PIB a progressé, tout de même, de 0,9% - une conjoncture donc un peu plus favorable que celle qui prévaut actuellement-, s'est terminée par l'annonce de 72.000 postes salariés  en moins.

Une situation atypique depuis 2009
La situation actuelle est donc atypique. « Depuis la récession de 2009, compte tenu du niveau d'activité, l'évolution de l'emploi a toujours été plus favorable qu'attendu par l'ensemble des conjoncturistes, », souligne Eric Heyer, directeur adjoint du département analyse et prévision à l'OFCE. Car, même si la récession, la plus forte de l'après guerre, s'est soldée par 280.000 suppressions de postes de au 31 décembre 2009, la chute du PIB cette année là (-3,1%, selon les derniers calculs de l'Insee) aurait justifié une évolution beaucoup plus dramatique. Et, à la mi 2001, dans un contexte de croissance plutôt faiblarde (1,7% sur l'ensemble de l'année), on enregistrait 190.000 créations de postes en rythme annuel. Inimaginable quelques années avant.

La baisse du coût travail peu qualifié
Comment expliquer ce changement structurel dans l'évolution de l'emploi, manifeste depuis trois ans ? « Depuis 2009, nous pensons que les entreprises ont pu décaler l'ajustement dans le temps de leurs effectifs, elles n'ont pas voulu licencier trop vite » dit Eric Heyer. Mais, aujourd'hui, ce temps de réaction paraît bien long. L'explication perd de sa validité. Même si l'impact des plans sociaux qui se profilent ne peut être négligé, il ne doit pas être surestimé : les 45.000 emplois dont on parle ne seront pas supprimés d'un coup, et il existe de toutes façons une tendance lourde à la baisse de l'emploi industriel.

81000 postes supplémentaires créés dans le tertiaire
Alors ? Depuis que le choix a été fait, au milieu des années 90, d'alléger le coût du travail peu qualifié, un choix qui a conduit à supprimer ou presque toute cotisation patronale au niveau du smic, les créations d'emplois dans le secteur tertiaire se sont envolées. Et la tendance continue. Au cours du dernier trimestre 2011, le commerce a ainsi continué de créer des postes en nombre (+20.300 sur un an). Il en est de même pour l'hébergement et la restauration (+14.500). Autant de jobs souvent rémunérés au smic ou proche du salaire minimum.

Au total, le secteur tertiaire affiche ainsi 81.000 postes supplémentaires en 2011, en dépit d'un recul de l'intérim (-21.800), activité qui lui est intégrée, même si les intérimaires travaillent pour l'industrie. En outre, « on peut supposer (les chiffres ne sont pas encore disponibles) que les emplois d'aide à la personne se sont développés » affirme Eric Heyer. Si cette hypothèse était confirmée, se dessinerait une évolution à l'allemande, avec la multiplication de « petits boulots ». Dans les services à la personne, la durée hebdomadaire de travail est de 11 heures en moyenne.... Les statisticiens ne font pas la différence entre un emploi à temps partiel et un temps complet....