Niches fiscales : les entreprises ne votent pas, mais elles savent se faire entendre...

Par Ivan Best  |   |  732  mots
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François Hollande, qui avait beaucoup misé sur la suppression de niches fiscales dont profitent les entreprises, doit aujourd'hui composer avec le lobbying du monde patronal. Et celui-ci ne manque pas d'arguments...

Jusqu'où aller dans la chasse aux niches fiscales ? Eliminer ce que les hauts  fonctionnaires de Bercy appellent les «dépenses fiscales », voilà qui fait consensus parmi les experts. Comme pour les dépenses publiques, l'idée couramment admise, aujourd'hui, est qu'il faut les réduire. Les experts socialistes sont partis de ce principe pour concevoir le projet du candidat Hollande, qui table avant tout sur la remise en cause de ces fameuses niches, à hauteur de 29 milliards d'euros, pour ramener le déficit public à 3% du PIB en 2013.

La faible efficacité des niches fiscales...
« Les économistes soulignent qu'un impôt à base large et à taux bas est plus efficace qu'un impôt à taux élevé sur une base étroite » souligne l'économiste Christian Valenduc, professeur à l'université de Louvain, et spécialiste des politiques fiscales. « Ceci plaide donc pour l'élargissement de la base imposable, et donc pour la suppression des niches. En plus, comme celles-ci profitent en règle générale aux ménages les plus aisés, cela rend l'impôt plus équitable. Non seulement c'est « moins mauvais pour la croissance » mais en plus, cela la rend plus juste ».
Et, poursuit Christian Valenduc, « un autre argument vient de la faible efficacité de bon nombre de niches fiscales. Il ne faut pas oublier que le critère d'évaluation premier est l'effet additionnel. Si on subventionne par la voie fiscale l'investissement immobilier ou les panneaux photovoltaïques, l'efficacité du dispositif se mesure au nombre d'investissements qui n'auraient pas été faits si l'aide n'avait pas existé, et pas sur la base du nombre d'investissements réalisés! Or, les rapports du Conseil des prélèvements obligatoires sont très critiques sur l'efficacité de la plupart des niches fiscales. Enfin, bon nombre de riches créent des rentes de situation. Supprimer ces rentes est justifié du point de vue économique. Evidemment, les bénéficiaires feront du lobbying, argumentant - et c'est classique - sur les conséquences désastreuses de la suppression des niches » conclut cet expert.

... ne rend pas leur remise en cause plus facile
Et c'est bien là le problème, pour François Hollande, qui a conçu son programme de redressement fiscal « en chambre », pourrait-on dire, en tous cas sur le conseil d'économistes et hauts fonctionnaires, sans tenir compte de l'avis des entreprises. Or, ce sont celles-ci qui seraient appelées à fournir le plus gros effort, à hauteur de 17,3 milliards d'euros, selon un document précis remise aux journalistes dès la fin du mois de janvier (contrairement à ce qui est parfois affirmé, les intentions du nouveau président sont donc connues).
Aujourd'hui, alors que les choses se précisent, le gouvernement devant boucler juste après les législatives une loi de finances rectificative contenant plusieurs mesures de remise en causes de niches fiscales, concernant surtout les entreprises, celles-ci se livrent à un lobbying intense. Et sans doute avec des arguments. Comme l'avait révélé la Tribune ce lundi, une des principales prises envisagées par l'équipe Hollande dans la chasse aux niches, va échapper au fisc : il s'agissait d'empêcher les sociétés de déduire du bénéficie imposables les intérêts d'emprunt liés à l'acquisition de titres de participation. Le monde de l'entreprise a plaidé qu'une telle mesure empêcherait toute croissance externe, et a été entendu. Finalement, la déduction des intérêts sera seulement plafonnée.

Un trou dans les recettes attendues
Un autre mesure figurant dans le programme Hollande, la suppression du dégrèvement de cotisation sur la valeur ajoutée, au profit des PME, devrait-elle aussi être revue, voire passer à la trappe. Difficile, en effet, de taxer les PME tout en affirmant qu'elles représentent une priorité de politique économique...
Au total, voilà près de 5 milliards d'euros de recettes fiscales, liées à la suppression de niches, qui manqueraient à l'appel (2,3 milliards pour le dégrèvement valeur ajoutée en faveur des PME, environ 3 milliards concernant la déductibilité des intérêts d'emprunt, qui devait rapporter 4 milliards, initialement). Soit pas loin d'un tiers des recettes nouvelles attendues, côté entreprises. Habilement, François Hollande a ciblé la remise en cause des niches fiscales sur les ménages aisés (qui paieront plus d'ISF ou de droits de succession) et surtout, sur les entreprises. Certes, celles-ci ne votent pas... mais elles ne sont pas toujours à court d'arguments...