"La stratégie européenne de réduction drastique des déficits nuit à l'emploi"

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  965  mots
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Eric Heyer, économiste et directeur adjoint au département Analyses et Prévisions de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), considère que dans un contexte de faible croissance, le traitement social du chômage est l'une des seules réponses urgentes à la question de l'emploi. Surtout, il estime que l'objectif européen de zéro déficit public à l'horizon 2017 est trop contraignant et nuisible à l'emploi. Il suggère que l'on se concentre sur le seul déficit structurel pour retrouver des marges de croissance.

La Tribune. Certes, le chômage progresse partout en Europe mais il y a-t-il une particularité française ?

- Eric Heyer. La particularité française, c'est la progression de la population active. 800.000 jeunes arrivent chaque année sur le marché du travail alors que 650.000 seniors le quittent. Résultat, la population active croît de 150.000 personnes. Il y a peu, ce solde était descendu à 100.00 mais en reportant l'âge de la retraite, il est remonté. C'est la grande différence avec l'Allemagne où, par rapport à sa population, moins de jeunes arrivent sur le marché du travail et où la population active diminue. Ce qui permet de limiter la hausse du chômage. Ceci dit, il est tout de même bon d'avoir une population active dynamique mais il faut de la croissance à court terme pour l'absorber.

Justement, en l'absence de croissance, comment limiter l'augmentation du chômage ?

- Il n'y a que deux leviers. Le premier, utilisé par les Allemands, consiste, quand il y a crise, à réduire le temps de travail en utilisant le mécanisme du chômage partiel. Depuis 2008, environ 1,6 million de salariés ont été placés dans ces dispositifs en Allemagne contre seulement 250.000 en France. Et avant même la crise, l'Allemagne recourait nettement plus au temps partiel qui concerne 35% des salariés contre 17% en France. Outre- Rhin, on a également créé des "mini jobs" où l'on travaille peu et où l'on gagne peu.

Et le second levier ?

- C'est le traitement social du chômage. En période de crise, il n'est pas anormal que le secteur public vienne compenser les pertes d'emplois dans le secteur privé. Les actuels contrats aidés ont une durée de vie limitée à huit mois, ils sont donc inadaptés à une crise qui dure. Les futurs emplois d'avenir [institués par un projet de loi qui sera présenté ce mercredi 29 août en conseil des ministres] sont donc intéressants dans ce contexte car ils auront une durée de vie de trois ans. Ce qui laisse du temps pour vraiment former des jeunes et espérer que la croissance sera de retour. Ce qui permettra alors aux jeunes de vendre dans le privé la qualification acquise.

Mais attention, pour que ces emplois soient à terme vraiment utiles, il faut, comme l'avait souligné Martine Aubry lors des primaires socialistes, qu'ils soient réellement affectés sur des secteurs d'avenir. Par exemple, avec la transition écologique, il y a maintenant une obligation d'effectuer des bilans énergétiques dans les appartements. Or, il y a un problème pour trouver de la main d'?uvre qualifiée dans ce secteur. La formation coûte assez cher, entre 10.000 et 15.000 euros. Formons des jeunes à ces métiers. Ils seront dans le public un premier temps. Puis ils pourront monter ensuite leur société ou travailler dans le privé.

Certes mais le problème principal reste l'absence de croissance...

- En France, la productivité progresse chaque année d'environ 1%. Aussi, tant que nous ne serons pas à 1% de croissance nous continuerons à détruire des emplois. En, outre comme la population active continue de croître de 150.000 personnes par an, nous avons en réalité besoin de 1,5% de croissance pour diminuer le chômage. Or, les prévisions actuelles sont loin du compte avec 0,3% cette année et 1,2% en 2013. Et encore... ce sera certainement moins. Or, tant que la stratégie européenne sur la réduction des déficits sera toujours aussi drastique, on ne s'en sortira pas.

L'Europe a fait le choix de d'abord corriger les déficits publics avant de s'attaquer aux déficits d'emplois. Il faudrait mieux s'intéresser aux deux déficits parallèlement. Ce qui implique de réduire plus lentement les déficits publics pour permettre des politiques d'austérité moins fortes. Concrètement, plutôt que de se fixer de revenir à un déficit public global égal à zéro en 2017, déterminons plutôt comme nouvel objectif de parvenir à un déficit structurel égal à zéro. La moitié du chemin est déjà faite. La partie conjoncturelle du déficit - celle qui est due aux moindres rentrées de recettes du fait d'une faible croissance - est  "normale", elle sert de stabilisateur économique. J'insiste, en se concentrant sur le seul déficit structurel, ceci fera deux fois moins d'austérité et cela provoquera un choc de croissance.

A propos de choc, pour lutter contre le chômage vous n'évoquez pas le besoin d'un choc de compétitivité...

- Certes, des réformes structurelles sont nécessaires. Mais leur impact ne se fera réellement sentir qu'à moyen terme. Or, il faut agir sur le court terme, sinon le choc de compétitivité sera noyé dans la récession de court terme. Bien entendu qu'il faut revoir le financement de notre protection sociale et séparer les dépenses assurantielles, qui doivent relever des cotisations, des dépenses universelles - famille et une partie de la santé - qui doivent être financées par l'impôt. Quel impôt ? Plutôt la CSG qui concerne tous les revenus.

Certains préfèrent la TVA sociale parce que cela permettrait aussi de toucher les produits importés et de réduire les écarts de coûts. Encore faudrait-il que les entreprises françaises, dont les marges se sont réduites, répercutent réellement sur leurs prix la baisse du coût du travail. De surcroît, qui nous dit que les autres pays européens n'appliqueront pas aussi une TVA sociale, ce qui réduira à néant la mesure prise en France. Car c'est vis-à-vis de nos partenaires européens que nous pouvons jouer sur les coûts. Pas avec la Chine. Là, l'écart est beaucoup trop grand.