Taxer les oeuvres d'art à l'ISF : pour quelles raisons, au delà du symbole ?

Par Ivan Best  |   |  627  mots
"Orange, Red, Yellow", tableau peint en 1961 par Mark Rothko, a été adjugé à près de 87 millions de dollars par la maison Christie's, Copyright Reuters
Alors que la ministre de la culture affirme avoir le soutien de François Hollande et Jean-Marc Ayrault, contre l'amendement taxant les oeuvres d'art à l'ISF, les partisans de cette mesure peinent à convaincre

Ce n'est pas un vote à une forte majorité de la commission des finances de l'Assemblée nationale, favorable à la taxation des ?uvres d'art à l'ISF, qui fera changer d'avis Aurélie Filippetti : elle est « contre ». Mieux: dans une interview aux Echos, la ministre de la culture affirme que le premier ministre et le président de la République sont sur la même longueur d'onde.
Peu avant cette prise de position, la présidente de la commission des affaires culturelles, Michèle Tabarot avait évoqué un amendement aux effets « terribles » sur la culture. Même si François Hollande approuve Aurélie Filippetti, la bataille aura bien lieu dans l'hémicycle, lors du vote du buget en séance publique, la semaine prochaine.
Quelle qu'en soit l'issue, peut-on estimer l'effet de l'inclusion des ?uvres d'art dans l'assiette de l'ISF ? En un mot, à quoi servirait-elle ?
Les arguments des députés favorables à cette mesure reposent notamment sur l'idée que le marché de l'art est devenu un vrai lieu de spéculation. C'est ce que soulignait Gilles Carrez, président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, dans une interview récente à La Tribune. Nul ne peut contester cet état de fait, au vu de l'envolée des prix sur ce marché, alimentée par les achats massifs venant de fortunes des pays de l'Est ou du golfe persique.

Pas de quoi casser la spéculation
Mais en quoi une mesure strictement française pourrait-elle casser la spéculation sur un marché mondialisé ? « L'effet le plus immédiat d'une taxation des ?uvres d'art à l'ISF serait d'encourager la dissimulation » juge l'avocat fiscaliste Jean-Yves Mercier, associé de CMS bureau Francis Lefebvre. Déjà, les patrimoines artistiques des grandes fortunes sont largement méconnus. Ils échappent du reste aux successions -sauf dans le cas d'?uvres majeures- étant assimilés à des « meubles meublants », et donc inclus dans le forfait de 5% -sur lequel le fisc n'a pas droit de regard- s'ajoutant à la valeur du patrimoine immobilier. Et « le fisc ne peut évidemment pas aller visiter les domiciles des particuliers » souligne Jean-Yves Mercier.

La fortune des antiquaires
En revanche, ceux-ci seront fortement incités à éviter les ventes publiques, qui donneraient de la transparence à leurs actes d'achat ou de ventes. D'où, bien évidemment, la fureur des grandes maisons qui font commerce de l'art, Christie's (propriété de François Pinault) ou Sotheby's. «Cet amendement ferait la fortune des antiquaires, capables d'assurer une certaine discrétion », affirme un expert du marché de l'art.
Dès lors, les arguments des partisans de l'ISF sur les ?uvres d'art, recensés par Rue 89 résistent mal à l'analyse. Taxer les richesses qui dorment? Cela sera très peu le cas, en raison d'une dissimulation certaine, et sur le principe, c'est très contestable. « Un impôt de 1,5% sur un bien mort, c'est inimaginable » lance Jean-Yves Mercier.

Reste le symbole
Contrer des stratégies de défiscalisation ? Aujourd'hui, on peut s'endetter pour acheter des ?uvres d'art. Objectif : frappant un patrimoine net de dettes, l'impôt sur la fortune s'en trouve réduit. Mais le budget 2013 a prévu, avant cet amendement,  de mettre fin à ces pratiques. Quant à l'argument selon lequel cette mesure ne concernerait pas les artistes, il ne tient pas vraiment la route : la déstabilisation du marché de l'art se répercuterait peu ou prou sur eux.
Sachant que l'impact positif sur les finances publiques de cette mesure serait limité, aux dires mêmes de ses promoteurs, compte tenu des nombreux contournements possibles, quelle serait la justification de cette mesure ?
Il y a le symbole, bien sûr. Un message de justice, selon les termes du rapporteur général du Budget à l'Assemblée, Christian Eckert (PS). Un message, mais sans grande portée réelle.