"L'entrepreneuriat ne doit pas être l'objet de polémique"

Par Propos recueillis par Fabien Piliu  |   |  789  mots
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Philippe Hayat, le fondateur de 100.000 entrepreneurs, a remis cette semaine son rapport intitulé «Pour un new deal entrepreneurial» à Fleur Pellerin, la ministre des PME. Il suggère six leviers pour stimuler l'esprit d'entreprise des Français et en particulier des jeunes. Il espère que le gouvernement prendra conscience des enjeux.

La Tribune - Les Français ont-il la fibre entrepreneuriale?

Philippe Hayat - Tout à fait ! Les statistiques de création d'entreprise l'attestent. Les Français créent environ 550.000 entreprises par an. On ne pourra pas faire beaucoup mieux. Le problème réside dans le fait que sur ce nombre, seules 7.000 auront 10 salariés au bout de sept ans. Seules 1.000 verront à terme leurs effectifs dépasser la cinquantaine de salariés. C'est la raison pour laquelle la France ne compte que 4.600 entreprises de taille intermédiaire, contre 10.000 au Royaume-Uni et 12.000 en Allemagne

Dans ce contexte, que recommandez-vous pour favoriser le développement des entreprises?

Il faut agir sur six leviers. Le premier consiste à populariser l'entrepreneuriat, notamment auprès des jeunes. La France ne doit plus se complaire dans l'aversion au risque et la peur de l'échec. Deuxième point, il faut que l'entrepreneuriat fasse partie des programmes scolaires, qu'il soit enseigné sur les bancs de l'école de la sixième à la terminale. Il faut donner la possibilité aux étudiants de créer facilement leur entreprise sur les campus universitaires. Pour l'instant, ce n'est le cas que dans quelques grandes écoles de commerce et d'ingénieurs.

Le troisième levier porte sur l'innovation. Comment se fait-il qu'un grand pays de recherche comme la France ne crée que 600 entreprises technologiques chaque année? C'est un mystère. Il faut simplifier les mégastructures en place, les SATT, les IDEX, les pôles de compétitivité, les IRT, les PRES... qui drainent des milliards, et créer des clusters plus simples réunissant les entreprises, les laboratoires, les acteurs locaux du financement, les incubateurs pour faire émerger plus d'entreprises technologiques.

Autre levier: améliorer l'accompagnement. Actuellement, nous ne soutenons que les très petites entreprises. Il faut aussi aider celles qui sont en pleine phase de croissance et qui ont des difficultés à résoudre des problèmes nouveaux pour elles, liés à leur expansion accélérée. Cinquième point, il faut créer de nouveaux marchés pour les PME en augmentant la commande publique qui leur est adressée. Aujourd'hui, 25% des marchés publics sont remportés par les PME. On devrait doubler ce chiffre. Il faut aussi soutenir les entreprises à l'export et améliorer les relations avec les donneurs d'ordre privés. Sur ce dernier point, on se contente actuellement des intentions de bonne volonté. Il faut aller plus loin.

La fiscalité a-t-elle un rôle à jouer?

Bien évidemment. Je propose la création d'une fiscalité de combat pour soutenir ceux qui prennent le risque d'entreprendre, les entrepreneurs, les investisseurs et les jeunes talents qui ont fait le choix d'intégrer une PME plutôt qu'un grand groupe. Sur ce dernier point, le gouvernement propose malheureusement de faire le contraire! Un grand nombre des mesures fiscales contenues dans le projet de loi de finances 20103 ne vont pas dans le sens de l'histoire... C'est incompréhensible.

Que vous inspire le bras de fer entre les organisations patronales symbolisées par les Pigeons et le gouvernement?

Il m'attriste. Le sujet de l'entrepreneuriat ne doit pas être l'objet de polémique. Il est par essence positif et non partisan. Or, il se réduit actuellement à l'opposition entre le capital et le travail. C'est consternant. On devrait plutôt parler de développement et de conquête, de créativité et d'innovation.

Ce rapport remis, que peut-il en rester?

Il doit aider le gouvernement à prendre conscience des enjeux. Mais tant que cette relation capital/travail n'est pas assumée, le malaise entre le gouvernement et les entrepreneurs persistera. Je remarque d'ailleurs qu'aucun gouvernement de droite non plus n'a jamais encouragé l'entrepreneuriat de croissance, celui que je défends dans mon rapport. En France, à droite comme à gauche, l'entrepreneur qui réussit reste suspect. Il est politiquement incorrect. J'ai envie de dire au gouvernement actuel: le socialisme du 20e siècle opposait le capital et le travail. Celui du 21e siècle ne consisterait-il pas à permettre au plus grand nombre, en particulier aux plus modestes, d'entreprendre et d'accéder, grâce au capital, à la richesse?

Comment?

Par l'entrepreneuriat, encore et toujours. Je le répète, la France a de l'énergie à revendre. Les opportunités d'entreprendre n'ont jamais été aussi nombreuses, grâce aux nouvelles technologies, aux secteurs d'avenir comme l'environnement, à l'allongement de la durée de vie qui ouvre de multiples perspectives de services d'aide à la personne...

Etes-vous inquiet?

Je suis surtout déçu, car il y avait là une occasion formidable de lancer un véritable «new deal» entrepreneurial en France. Mais je reste aussi optimiste quand je rencontre des jeunes. Leur énergie est tellement enthousiasmante. Il faut l'encourager car ils représentent l'avenir de la France.