Benoît Hamon : "assurer un terrain de jeu équitable entre économie classique et économie sociale et solidaire'"

Par Propos recueillis par Fabien Piliu  |   |  1503  mots
Copyright Reuters
Benoît Hamon, le ministre délégué en charge de l'Economie sociale et solidaire et de la consommation, dévoile ses ambitions pour favoriser le développement de ce secteur. Il annonce un projet de loi ambitieux pour le premier semestre 2013.

François Hollande a souhaité la création d'un ministère dédié à l'économie sociale et solidaire (ESS) dont vous assumez la direction. Quel est son champ de compétences et quels sont vos objectifs ?
Les entreprises et structures de l'Economie sociale et solidaire se sont beaucoup développées depuis 10 ans. Avec la création de mon ministère, le gouvernement entend pour la première fois appliquer au champ de l'Economie sociale et solidaire des politiques publiques nouvelles pour favoriser son développement et soutenir ses créations d'emplois. L'ESS occupe déjà une place importante dans le quotidien des Français à travers les biens et services proposés dans ce secteur. Les entreprises et structures de l'ESS créent de la richesse, jusqu'à 10% du PIB chaque année, et recèlent d'importants gisements d'emplois, particulièrement dans les quartiers sensibles et les zones rurales en déshérence économique. Sur les dix dernières années, le secteur a été davantage créateur d'emplois que le privé classique. Et ces emplois sont solidement ancrés sur notre territoire. Ce n'est pas le fait du hasard : les entreprises de l'ESS sont moins exposées au risque de délocalisation parce que leur stratégie est guidée, non par la rémunération des détenteurs du capital, mais par les délibérations de personnes qui se sont associées pour mettre en commun leur force de travail, pour répondre à leurs propres besoins ou pour traiter un besoin ignoré par le marché. Ce serait une faute grave que d'ignorer la robustesse de ce modèle économique et son incroyable richesse !
Aujourd'hui, les différentes composantes de l'ESS sont confrontées à des freins structurels que nous devons lever sous peine de voir la dynamique fléchir. C'est le sens de ma mission. C'est pourquoi je veux agir en priorité sur le financement. Il est faux de penser que l'économie sociale et solidaire vit grâce aux subventions. C'est une économie d'acteurs privés, positionnés la plupart du temps sur des marchés concurrentiels. Je veux assurer un terrain de jeu équitable entre économie classique et ESS. Grâce à des allégements de cotisations, et à divers dispositifs d'incitation fiscale, la puissance publique aide des géants du secteur privé. Pourquoi priverait-elle de son soutien des PME innovantes de l'ESS qui concurrencent ces grands groupes sur leur activité commerciale, tout en développant l'innovation et en intégrant à leurs équipes des personnes éloignées de l'emploi ?

Malgré vos efforts de communication, vos déplacements dans les territoires, il semble que cette question du label irrite toujours un certain nombre d'acteurs de l'ESS. Comment comptez-vous les rassurer ?
Ma vision de l'ESS est inclusive. Nous avons besoin de toutes les énergies pour faire émerger une économie sociale et solidaire forte. Aujourd'hui ce champ économique a besoin de voir ses contours clairement définis. L'ESS revendique la visibilité et la reconnaissance. Elle le mérite. Elle ne doit pas redouter les contreparties que demandera l'Etat à cette priorité politique nouvelle donnée au développement du secteur. Je ne cherche à exclure personne. Cette clarification, que l'on présente sous le terme de « labellisation », mérite un débat ouvert avec l'ensemble des acteurs. Quels que soient leurs statuts, les acteurs de droit privé qui se retrouveront dans la définition de l'entreprise de l'ESS devront simplement respecter les principes mêmes de l'ESS : la non lucrativité et la gouvernance démocratique. Je tiens à ce que les questions de l'échelle resserrée de salaires et de l'ancrage territorial soient aussi dans la discussion. Je ne veux pas rater le rendez-vous de l'entrepreneuriat social dans notre pays. Il y a déjà 78 masters et chaires ESS dans les écoles de commerce et université aujourd'hui. Je souhaite conforter les acteurs de l'ESS dans leurs prérogatives et rallier tous ceux qui rendent un service à la société.

Les SCOP seront-elles également concernées par votre projet de loi ?
Elles en seront un des points centraux. Je crois beaucoup à ce modèle qui a apporté la preuve de sa solidité pendant la tempête de 2008-2009. Les SCOP ont continué à créer des emplois pendant cette période agitée, quand souvent leurs concurrentes « classiques » taillaient dans leurs effectifs. C'est un modèle qui se révèle plus robuste mais aussi plus tempérant sans ignorer les exigences de compétitivité. Le statut des SCOP a toutefois besoin d'être modernisé pour mieux répondre aux besoins des transmissions d'entreprise. Chaque année entre 50 000 et 200 000 emplois sont détruits lorsque des entreprises, souvent des PME, disparaissent faute de repreneur, quand le chef d'entreprise veut céder son affaire. Je n'admets pas cette situation. Pour endiguer ce fléau je veux favoriser les reprises en SCOP par les salariés en créant dans la loi ESS un droit préférentiel de reprise. Pour accompagner ce mouvement, il faut lever un autre frein en diminuant le risque financier assumé par les salariés lors de ces reprises. C'est pourquoi je travaille à un statut transitoire pour les SCOP naissantes, qui permettra aux salariés repreneurs d'être majoritaires en part, donc en voix, sans pour autant être majoritaires au capital de la SCOP au moment de la reprise. Dans l'intervalle de temps nécessaire à la reconstitution du capital par les salariés, ce sont des investisseurs privés ou publics, en lien notamment avec la Banque Publique d'Investissement, qui pourront prendre la relève.

 Si on comprend bien, l'argent n'est pas tabou ! Une entreprise de l'ESS peut faire des profits ?
Que les choses soient bien claires ! L' ESS n'est pas l'économie des pauvres par les pauvres pour les pauvres ! Elle favorise des externalités positives vis-à-vis du cadre de vie et de l'environnement et son modèle est intéressant parce que ce sont des sociétés de personnes et non des sociétés de capitaux. Mais ce n'est pas pour autant une économie «naïve ». L'ESS est une économie qui doit bénéficier à tous, au sens étymologique du mot bénéfice. J'insiste sur ce point. Un acteur de l'ESS est donc évidemment encouragé à faire des bénéfices. C'est même recommandé. La différence c'est que le profit, l'excédant est intégralement réinjecté dans l'entreprise.

L'ESS peut-elle favoriser l'émergence d'un nouveau modèle économique et social et français ?
Nous sommes à un moment charnière pour le développement de l'ESS - plafond ou palier - et je suis là pour que la bascule s'opère du bon côté, celui de la croissance et du secteur. Il y a encore un problème d'acculturation des décideurs politiques et des chefs d'entreprise. Il nous faut créer des passerelles. Une chose est sûre, l'Etat ne profitera pas du développement de l'ESS pour se retirer du jeu. Nous ne voulons pas d'un modèle de « Big Society » à la britannique, où l'Etat opérerait des transferts de charges massifs vers l'ESS. Les acteurs de l'ESS sont déjà en première ligne dans le domaine social. Si l'on considère le secteur de la santé par exemple, sans les acteurs de l'ESS, de nombreux territoires seraient médicalement désertifiés.
Je souhaite permettre aux entreprises du secteur de grandir. Nous y avons tous intérêt.
En créant des passerelles entre l'économie classique et l'ESS, l'économie française sera mieux armée pour répondre aux défis qui l'attendent dans un environnement de plus en plus instable. En développant l'ESS nous créerons des écosystèmes favorables à l'invention des réponses aux besoins sociaux qui nous attendent. C'est la raison pour laquelle la France se bat aussi à Bruxelles pour la création d'un statut européen de la mutuelle et des entreprises sociales. Ce n'est que de cette façon que nos entreprises de l'ESS pourront développer une démarche pérenne et rentable à l'export.

La méthode de Benoît Hamon
Le ministre présentera un projet de loi en conseil des ministres au cours du premier semestre 2013. Pour l'élaborer, il joue la carte de la concertation avec l'ensemble des acteurs représentés au sein du Conseil supérieur de l'ESS. Dans son esprit, la loi ESS doit permettre la création d'un terrain de jeu équitable entre ESS et économie privée traditionnelle symbolisé par la création d'un label de l'entreprise sociale et solidaire. Les PME de l'ESS pourront ainsi bénéficier d'un accès facilité à l'ensemble des outils de financement de l'économie mis en place par l'Etat, comme la Banque publique d'investissement (BPI) qui dédiera 500 millions d'euros à l'ESS. « Au-delà de cet enjeu de financement, c'est la visibilité du modèle de ces entreprises qui sera renforcée, aux yeux de toutes les collectivités publiques, des financeurs privés également, mais aussi du grand public », explique le ministre.