Pour l'Economie sociale et solidaire, il est temps de changer de dimension

Par Mathias Thépot  |   |  959  mots
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La création du ministère de l'Economie sociale et solidaire, la mise en place d'une enveloppe dédiée de la BPI et l'instauration d'une loi cadre laissent espérer un changement de dimension pour ce pan de l'économie encore marginal.

Changer d'échelle. Les acteurs de l'économie sociale et solidaire (ESS) y croient plus que jamais. Eux qui prônent des méthodes de gouvernance plus démocratiques dans les entreprises et la redistribution des bénéficies qu'elles créent dans leurs projets, ne s'estimaient jusque là pas assez pris en considération. Certes, l'ESS grâce aux mutuelles, aux coopératives, aux associations et aux fondations, représente près de 10% de l'emploi en France, mais le modèle qu'elle prône est encore trop peu développé au goût des acteurs qui la constituent.

La donne est cependant en train d'évoluer et il semble que le moment soit charnière. "L'ESS est sortie d'une sorte de clandestinité un peu clanique", se réjouissait jeudi l'ancien ministre de l'Economie Christian Sautter, aujourd'hui président d'un organisme de financement dans l'ESS nommé France Active. Le fondateur de ce dernier, Claude Alphandéry, est sur la même longueur d'onde : "C'est vraiment le moment d'agir, de précipiter les choses, tant du fait de la situation critique et douloureuse que du fait d'opportunités exceptionnelles".

Le ministère, la BPI et la loi cadre

Egalement président du Labo de l'ESS, Claude Alphandéry a ensuite énuméré une liste de facteurs qui font espérer beaucoup aux acteurs du milieu. D'abord la création d'un ministère de l'ESS logé à Bercy, avec à sa tête Benoît Hamon, ensuite "le projet de loi cadre de l'ESS qui sera soumis au parlement cette année" et "la Banque Publique d'Investissement (BPI) qui est en train d'être mise en place". Les acteurs de l'ESS attendent beaucoup de cette dernière. "Il est urgent de saisir cet ensemble d'opportunités et de provoquer un choc absolument salutaire et nécessaire", déclarait Claude Alphandéry lors d'une conférence organisée jeudi par le Labo au siège de la Macif. "Toutes les planètes sont alignées", a abondé Benoît Hamon également présent.

Liens entre manne de financement et projets de terrain

La mission du gouvernement consiste désormais à mettre en lien tous les acteurs de l'ESS pour que les décisions prises en haut lieu puissent bénéficier aux porteurs de projets sur le terrain. Mais des progrès sont encore à faire sur ce point. Par exemple, le commissaire général à l'Investissement, Louis Gallois, se disait jeudi "choqué" qu'en deux ans, seulement 30 des 100 millions d'euros dédiés à l'ESS au sein du Programme d'investissement d'avenir (PIA) aient été utilisés. Il prône ainsi l'amélioration des liens entre "la manne de financement et les projets sur le terrain".
Car la demande existe et les besoins des acteurs de terrain sont clairement identifiés. "Nous avons besoin de ressources, de pouvoir les employer et d'accompagner ceux qui en bénéficient. Si l'on ne travaille pas sur ces trois points, il n'y aura pas de changement d'échelle", avertit Catherine Barbaroux, présidente de l'Adie, acteur majeur du microcrédit en France.

Les 500 millions de la BPI sont fondamentaux

Du côté des ressources, "la réussite de l'instrument BPI" sera un sujet fondamental du quinquennat, estime le ministre Benoît Hamon. En effet, 500 millions d'euros provenant de la banque publique seront alloués à l'ESS sous forme de prêts ou d'investissement en capital. Il souhaite dans ce cadre que le fonds consacré à l'ESS au sein de la BPI ne soit pas pris en compte dans l'évaluation de la performance de la BPI. Car cela exposerait, selon lui, le secteur de l'ESS aux exigences de rentabilité des banquiers publics. En parralèle, il a indiqué mettre en place un travail d'acculturation des pouvoirs publics aux besoins des acteurs de l'ESS pour qu'ils aient "la capacité absolue de comprendre les projets qui leur sont proposés".

De la finance solidaire dans la réforme de l'épargne

Le ministre va également s'attaquer à l'épargne réglementée dans le cadre de la réforme de l'épargne. Les ressources du livret A qui restent dans le bilan des banques seront ciblées. Elles représentent en moyenne 35% de la collecte annuelle du livret défiscalisé. Cette part est en principe destinée pour plus des trois quarts à financer des PME. Mais Benoît Hamon souhaiterait la diriger également vers le financement de l'ESS. Ce, soit de manière directe, soit en imposant une part de PME de l'ESS dans la part des PME qui bénéficient des financements. Il souhaite en outre que le dispositif "flèche" davantage l'épargne et soit plus transparent.

Un produit d'assurance vie solidaire

Les acteurs de l'ESS militent également pour que les encours massifs de l'assurance vie (1.400 milliards d'euros) soient sollicités. Le label de finance solidaire Finansol souhaite dans ce cadre qu'un produit d'assurance vie solidaire soit créé. Benoît Hamon souscrit à cette idée. Le but étant bien "d'orienter la collecte et l'affectation de l'épargne vers des financements qui contribuent tant au redressement économique qu'à la justice sociale", estime Claude Alphandéry. Il souhaite concrètement "étendre les mécanismes qui ont fait leurs preuves aux produits de l'assurance vie", comme les fonds 90/10 dont 10% sont investis dans des entreprises de l'ESS. Le produit d'assurance vie évoqué par Benoît Hamon serait pour sa part un 95/5.

L'idée a en tout cas déjà séduit certains institutionnels, puisque François de Witt, président de Finansol, a déclaré jeudi qu'"une grande compagnie d'assurance [allait] sortir un produit d'assurance vie solidaire en avril". Finansol espère que l'épargne solidaire représentera 1% de l'épargne financière en France dans 10 ans, soit 35 milliards d'euros, c'est-à-dire dix fois plus qu'aujourd'hui.