Les collectivités locales bientôt au pain sec et à l'eau

Par Jean-Pierre Gonguet  |   |  2011  mots
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En additionnant leur contribution à la réduction du déficit public au financement du crédit d'impôt compétitivité emploi, les collectivités vont voir baisser leurs dotations de 4,5 milliards entre 2013 et 2015. Dans la ligne de mire de Bercy, les communes et les intercommunalités dont les effectifs croissent trop. Mais peut-on couper les vivres à des structures qui assurent 75% de l'investissement public"?

Vues de loin, de Bercy, de la Place Beauvau ou de la Rue Cambon, les communes françaises sont des anachronismes de gestion, des îlots de gabegie dans un monde de rigueur. Donc, depuis que l'on sait qu'il faut trouver 3 milliards d'euros supplémentaires d'économies en 2014 et 2015 dans les collectivités, le bloc communal (les communes, les intercommunalités et les villes petites, moyennes et grandes) est devenu la cible idéale. Avec sa manne de 220 milliards d'euros, il est, de toute façon, dans la ligne de mire de Bercy depuis belle lurette.
Depuis 2005, par exemple, la Cour des comptes souligne avec une régularité métronomique des carences du système intercommunal : depuis la loi Chevènement de 1999, les communes engagées dans une intercommunalité devraient, avec les économies d'échelle induites, gérer bien mieux leurs investissements et leur masse salariale. Or rien n'arrive. Les magistrats de la Rue Cambon dénoncent « une mutualisation [qui] demeure encore embryonnaire, très sectorisée [...]. Un constat d'autant plus préoccupant que le mouvement intercommunal s'est traduit par une forte progression des dépenses de personnel communautaires sans diminution des dépenses des communes membres ».

Depuis 1999, il n'y a eu que des embauches

Non seulement le mouvement vers l'intercommunalité est lent (près de 3 millions de Français ne sont toujours pas dans une intercommunalité début 2013 alors que le territoire devrait être couvert début 2014 en dehors de l'Île-de-France), mais il est inflationniste en termes d'effectifs. Les intercommunalités créent des emplois, et c'est logique puisque les communes leur transfèrent des compétences. Les communes, elles, ne suppriment pas forcément les effectifs correspondant aux compétences transférées et parfois même elles embauchent, pour la plus grande exaspération de Bercy!
C'est simple, bon an mal an, les effectifs de la fonction publique territoriale ont augmenté de près de 35000 personnes chaque année, de 2008 à 2010 (en dehors des transferts de personnels liés à la décentralisation du gouvernement Raffarin). Pas une seule structure publique locale n'a, selon l'Insee, perdu d'employé depuis 1999. Toutes ont embauché. Certes, on note que, dans les intercommunalités, la progression en effectifs est moins forte que dans les communes qui sont restées isolées et que la part des salaires dans les premières est nettement moins élevée que dans les secondes (21% contre 54%).Mais les maires et présidents des intercommunalités ou des communautés de communes vont devoir faire un gros effort car il est incompréhensible que lorsque les dépenses des intercommunalités augmentent, celles des communes le fassent également, comme c'est le cas depuis 1999.Comme le dit un le patron d'une association d'élus, « on a un peu de retard à l'allumage, mais on ne mérite pas forcément d'être couvert d'opprobre : le niveau des dépenses communales est resté constant depuis le début des années 1990 et nous sommes dans un monde de normes de plus en plus lourdes, dans un monde de dépenses contraintes ».J

acqueline Gourault, sénatrice centriste (Modem), l'une des meilleures spécialistes du monde touffu des collectivités locales, l'explique très bien. Elle est maire de La Chaussée-Saint- Victor (Loir-et-Cher) depuis 1989 : « Lorsque j'ai été élue, il y avait 48 personnes à la mairie. Aujourd'hui, il y en a toujours 48. Pourtant, nous avons fait la communauté de communes, puis une intercommunalité en 2001. On a énormément mutualisé, mais le personnel n'a jamais diminué à La Chaussée-Saint-Victor. La population est en effet passée de 3200 à 4400 habitants sous mon mandat, nous avons ouvert trois classes de plus, la polyclinique de Blois s'est installée sur notre territoire, ce qui suppose des infrastructures et du personnel - rien que pour cela j'ai deux personnes de plus à l'état civil -, nous avons à nous occuper de la jeunesse, etc. Les besoins de la population ont augmenté, on ne peut pas supprimer d'effectifs, impossible, on peut juste stabiliser! »

« On est obligé de créer des emplois ! »

Les crèches, la petite enfance, c'est de la compétence des communes. Les maires, les présidents d'intercommunalités reconnaissent que, s'ils en ont trop fait avec les ronds-points ou les gendarmes couchés, ils ne peuvent baisser les investissements pour les enfants ou les personnes âgées, bien au contraire.
Loïc Cauret, le maire socialiste de Lamballe, est un précurseur puisqu'il est à la tête de la seule intercommunalité des Côtes-d'Armor (et l'une des rares de Bretagne). Dix ans d'avance sur tout le monde. Mais il est passé de 250 à 480 emplois (à peu près 400 équivalents temps plein), « tout simplement parce qu'il y a 100 personnes du centre d'action sociale pour s'occuper de l'aide aux personnes âgées sur le territoire de toutes les communes et sur leur maintien à domicile, explique-t-il, avant de souligner : Il faut bien comprendre que les premières vagues de communautés de communes puis d'intercommunalités n'avaient pas pour but de faire des économies, mais de répondre à de nouveaux besoins. On est obligé de créer des emplois, car il faut répondre à des besoins qui ont changé et qui augmentent. Nous avons une population vieillissante dont il faut s'occuper. »

L'interrogation : comment les maires et les présidents des intercommunalités vont-ils s'adapter à la nouvelle donne? Tomber dans la facilité est une hypothèse possible. « Trois milliards supplémentaires [d'économies] sur deux ans, c'est énorme. On est encore tétani-sés par l'annonce, explique un élu qui était à la réunion avec Jean-Marc Ayrault lors du lancement du pacte de confiance États-collectivités, le 12 mars dernier. J'ai peur que les maires réagissent mal : ils ne couperont jamais dans les effectifs, surtout avec des élections municipales l'année prochaine, et pas plus dans les dépenses sociales ou éducatives auxquelles l'électeur est sensible. Ils vont couper dans les subventions aux associations qui souffrent déjà terriblement, en particulier dans la culture depuis le début de l'année; ils vont économiser 5% sur leurs frais de gestion, mais surtout, ils risquent de couper dans ce qui ne se voit pas immédiatement, les investissements. C'est le plus facile, le plus tentant. Tout le monde est en fin de mandat, chacun va attendre 2014 sagement en se disant que, dans un an, on verra s'il faut éventuellement relancer les investissements... »

« Le problème est dans le timing »

Et là, comme le dit Jacqueline Gourault, on plonge dans l'ubuesque : « Les économies supplémentaires qu'on nous demande sont faites pour financer le crédit d'impôt aux entreprises. Mais à quoi cela rime-t-il de financer ce crédit d'impôt en fermant le robinet des investissements? 75% de l'investissement public vient des collectivités, mais 80% de ces 75% viennent du seul bloc local, il ne faut pas y toucher. »Michel Destot, député et maire socialiste de Grenoble, va plus loin. « J'ai calculé, explique-t-il, l'impact sur les investissements si le gouvernement donnait le même coup de rabot sans modulation de la baisse des dotations selon le niveau de collectivité. Près du tiers de la capacité d'autofinancement de la ville de Tourcoing (31,3%) disparaîtrait, la perte serait de près de 15% des dépenses d'investissement pour la ville de Nancy, ou un montant équivalant à 13% du rendement de la taxe d'habitation manquerait à la Ville de Paris. Ce serait vraiment stupide, il faut absolument préserver nos capacités d'investissement. Je sais que le calcul peut mériter un peu plus de précisions, mais si le coup de rabot était donné de manière uniforme, on perdrait immédiatement 10000 emplois dans le bâtiment, alors que les 3 milliards supplémentaires que l'on nous demande doivent stimuler l'emploi.

Le souci est dans le timing : l'effort de mutualisation des services lié à l'intercommunalité n'a des effets sur l'emploi que très lentement, mais on nous demande une économie immédiate. On ne peut virer personne dans la fonction publique territoriale et on ne supprimera pas non plus de services à la population à la veille des municipales. Alors il va falloir être fin, prendre l'effort fiscal en compte et bien comprendre que toutes les collectivités ne jouent pas le même jeu, que cela doit être pris en compte pour le calcul du coup de rabot. Il y a par exemple des communes qui investissent et d'autres qui font du résidentiel... La possibilité de recourir à des emprunts à trente ou quarante ans pour financer nos investissements est une très bonne chose, puisque l'on va pouvoir réduire l'impact de ceux-ci immédiatement dans nos budgets. Mais combien de maires vont-ils le faire? »

Le chantier vital de la péréquation financière

En fait, après la charge au canon de l'ex-ministre du Budget Jérôme Cahuzac, annonçant la baisse non négociable des dotations aux collectivités, devrait succéder une période de broderie à l'ancienne. D'abord avec un gros effort de l'État. Gilles Carrez, le président UMP de la commission des finances de l'Assemblée nationale, a demandé à Jean-Marc Ayrault que « les ministères arrêtent de stimuler la dépense publique locale : depuis vingt ans, ils savent que les collectivités ont des marges et ils vont les trouver pour financer leurs politiques. Mais là, celles-ci n'en peuvent plus ».Les collectivités sont de moins en moins maîtresses de leurs dépenses et sur chacune d'elles tombent chaque année des normes nouvelles. Les ponctionner encore plus risque de les priver de toute capacité de rebond d'ici deux ans, si jamais une brise de croissance se levait. Mais les élus vont aussi devoir forcer leur nature et, dans les quelques mois qui viennent, beaucoup dépendra de leur capacité à s'entendre sur un chantier vital pour eux, la péréquation financière. Le système actuellement en vigueur prend l'eau de toutes parts, et Jean-Marc Ayrault l'a mis sur la table des négociations.
Le bloc communal est en effet fortement dépendant de ce système car, sous des formes diverses, un peu plus de 9 milliards d'euros lui reviennent actuellement. C'est considérable, mais les maires ruraux ne demandent pas les mêmes critères que les maires urbains : ces derniers sont divisés entre eux en fonction de l'effort fiscal de leurs communes, et les élus ne sont pas forcément unanimes entre les différentes strates. Pas facile. Mais pas autant que la réduction de la masse salariale, sur laquelle le gouvernement ne va pas les lâcher. Dès que les municipales seront passées...

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41,505 milliards de dotations en 2013
Le montant total des dotations aux collectivités est de 41,505 milliards d'euros en 2013, dont 23,78 vont au bloc communal, 12,25 aux départements et 5,44 aux Régions.
Réduire les dépenses? Les Régions n'ont guère à donner; les départements, qui assurent des dépenses sociales comme le RSA ou la dépendance, sont en majorité exsangues; seules les communes, quel que soit leur niveau, ont encore « un peu de gras ». Mais le gouvernement avance avec une boussole dans le brouillard. D'ici peu, il va y voir un peu plus clair sur les effectifs, l'Insee devant enfin être capable de publier tous les trimestres un tableau des effectifs et de leur évolution dans les trois fonctions publiques. Des comparaisons public-privé seront enfin possibles.
Pour les questions financières, c'est en revanche très flou. L'Inspection générale des finances et l'Inspection générale de l'administration ont été chargées d'une mission sur « la transparence financière des collectivités locales ».L'idée était de faciliter l'échange entre l'État et les collectivités, entre un État qui ne comprend pas les procédures en particulier budgétaires des collectivités et ces dernières, qui se méfient du contrôle de Bercy ou de l'Intérieur. Le rapport et les propositions ont été rendus fin 2012, mais pour l'instant personne n'en a encore vraiment tenu compte. Quelques lignes dans l'acte de décentralisation, c'est tout. On se regarde toujours en chiens de faïence entre État et collectivités.