Affaire Armor Lux : et si les marchés publics privilégiaient les PME françaises ?

Par Marina Torre  |   |  1117  mots
Copyright Reuters
Dans le cas de la perte d'un marché public consistant à habiller les policiers, la société Armor Lux plaide sa cause auprès du Tribunal administratif. L'occasion de s'interroger sur les conditions d'attribution de ce type de contrat. Une loi visant à privilégier les PME locales lui aurait-elle été favorable? Voici quelques éléments de réponse.

En arborant une marinière Armor Lux en couverture du Parisien magazine, Arnaud Montebourg a donné un coup de pouce aux ventes du fabricant quimpérois. Mais ce coup de pub ultra médiatisé n'a pas empêché à l'entreprise de perdre un gros contrat public : celui de la Police nationale. Un dossier qui est même passé entre les mains de la justice. Le tribunal administratif de Paris l'examine d'ailleurs depuis mardi 7 mai. Le marché de l'habillement des agents de police - 85 millions d'euros - a été attribué à une filiale du groupe GDF Suez, suscitant d'ailleurs l'inquiétude du ministre du Redressement productif qui s'est empressé de plaider pour l'entreprise bretonne.

Le cas remet en lumière une problématique dont il est question depuis plusieurs années : l'accès des PME locales aux marchés nationaux. Pour les y aider, l'idée d'établir en France l'équivalent du "Small business act" américain est réapparue notamment pendant la campagne présidentielle de 2012. Pour rappel, cette loi de 1953 consiste à réserver 23% des marchés publics aux petites et moyennes entreprises américaines. Une telle loi - privilégiant donc des entreprises de petites tailles et qui produisent en France - aurait-elle pu permettre de laisser la confection des uniformes de la police entre les mains d'Armor Lux ?

  • Il faudrait d'abord définir les limites des PME concernées

"Les textes européens définissent les PME comme des entreprises de moins de 250 salariés, qui engrangent moins de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires et qui n'appartiennent pas à des grands groupes", rappelle Pierre de Baecke, avocat à la Cour et spécialiste des marchés publics. "Donc s'il s'agissait de privilégier les PME, Armor Lux serait exclu puisqu'elle compte 600 salariés", poursuit-il. A noter : pour une véritable efficacité, il faudrait prendre soin d'exclure les filiales de grands groupes.

  • Ce que disent les textes législatifs

"En vertu du principe de neutralité, il est interdit de privilégier une entreprise plutôt qu'un autre en raison de sa taille ou de son implantation géographique", souligne également le juriste. Ces principes sont inscrits dans deux textes signés par la France : le traité de fondateur de la Communauté européenne ainsi que l'accord sur les marchés publics conclu en marge du traité de Marrakech en 1994 - instituant l'OMC.  A moins de modifier ces traités, il est exclu privilégier une entreprise plutôt qu'une autre parce qu'elle réalise sa production à l'étranger, à deux exceptions près.

La première : si la localisation est liée à l'objet du marché, elle peut être une condition d'exécution. Par exemple "dans le cas de la livraison d'un véhicule avec garantie des prestations de maintenance, il faudra absolument que l'atelier soit à proximité", explique Pierre de Baecke. "Les entreprises non encore localement implantées peuvent s'engager, pour l'exécution du marché auquel elles soumissionnent, à s'implanter à proximité du lieu d'exécution des prestations pour répondre aux besoins de l'administration. Dès lors qu'elles s'y engagent, il est interdit de les défavoriser au moment de la comparaison des offres", détaille-t-il.

L'autre cas concerne les secteurs de la Défense et les marchés ayant un rapport avec la sécurité. Dans ce cas, la puissance publique peut privilégier les entreprises produisant sur le territoire national ou européen parce qu'il s'agit d'un secteur crucial où l'approvisionnement doit pouvoir être sécurisé.
Dans ce domaine, le ministre de la Défense, Jean-Yves le Drian préconise ainsi de soutenir davantage les PME.

  • Un "small business act" serait-il vraiment avantageux pour les PME française?

Même si un accord est conclu entre membres de l'Union européenne, imposer le même quota qu'aux Etats-Unis, soit un seuil minimum de 23% de contrats publics réservé aux PME serait sans effet en France. En effet, les PME y obtiennent déjà 61% des contrats publics, selon des chiffres de l'Observatoire économique de l'achat public (OEAP). Toutefois, comme le fait remarquer Anissa Boulemia, chercheure en droit public à l'Institut d'administration des entreprises, "les PME ont un accès défavorisés aux marchés publics. Elles contribuent à 43% du PIB mais ne récoltent que 28% du montant global des marchés publics".

Les marchés portant sur les montants les plus élevés restent bien souvent hors de portée des PME. Les contrats de plus d'1 million d'euros ne sont remportés que par 24% des entreprises de moins de 250 salariés. Tandis que les entreprises de plus de 5.000 employés en obtiennent 30%. Pour réduire cet écart, il faut donc trouver d'autres moyens. 

Ensuite, concernant la localisation, il apparaît que 45% des marchés publics sont attribués à des entreprises "locales" ou "limitrophes" au niveau national, selon l'OEAP. En terme de montant, "la part des contrats attribués localement ne dépasse pas 36% pour l'Etat", note l'organisme dans son dernier rapport datant de 2012. Au niveau local, la situation est plus favorable aux entreprises locales.

  • Quels sont les autres leviers susceptibles de permettre un meilleur accès des PME aux marchés publics ?

L'un des premiers freins à l'accession aux marchés publics, surtout nationaux : le prix. "Les entreprises qui se plaignent du prix n'ont pas tout à fait tort. Celles qui proposent les prix les plus bas sont plutôt les grandes entreprises qui ont délocalisé leur production", rappelle à cet égard Pierre de Baecke. Dès lors, pour agir sur cette variable, une solution possible consisterait à "diviser le marché en plusieurs lots, d'un montant moins élevé", fait valoir Anissa Boulemia.

Les autres biais les plus souvent cités concernent le manque d'information pour les plus petites entreprises mais aussi les lourds frais liés au montage d'un dossier d'appel d'offre. Sans parler des délais de paiement, premier motif de saisine du médiateur des marchés publics, institution créée en 2011.  Dans ce dernier cas, les délais ont été fixés à 30 jours lorsque le contrat est passé avec l'Etat et ses établissements publics et à 50 jours pour les établissements de santé. Or, au niveau local, certaines "collectivités ont dû mal à tenir ces délais car elles ont parfois elles-mêmes des problèmes de trésorerie", explique Pierre de Baecke. Une loi favorisant les petites entreprises locales n'y changerait pas grand-chose...

  • Finalement, même sans loi, quelles sont les chances pour Armor Lux de remporter la bataille ?

Au niveau judiciaire, elles reposent sur de strictes conditions. Pour Me de Baecke, " Il faut déterminer s'il y a eu un manquement de la part de l'administration et que ce manquement a porté préjudice à l'entreprise. Un dossier tel que celui-ci a statistiquement 8 ou 9% de chances d'aboutir". Réponse dans quelques semaines.