70 ans après, que reste t-il du programme du Conseil national de la résistance ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  973  mots
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Le 27 mai 1943, le Conseil national de la résistance(CNR) tenait sa première réunion. Le programme politique adopté par le CNR a été mis en place après la guerre: création de la Sécurité sociale pour tous, nationalisation des entreprises stratégiques, organisation politique de la société, etc. Globalement, ce programme a constitué l'architecture politique, économique et sociale de la France jusqu'aux années 1980. Epoque où le grand souffle libéral a changé la donne sur le plan économique. C'est maintenant le modèle social issu du CNR qui se trouve dans le collimateur.

Il y a très exactement soixante-dix ans, le 27 mai 1943 s'est tenue la première réunion du Conseil national de la résistance (CNR) dont le premier président fût Jean Moulin, délégué du général de Gaulle. Composé de représentants des grands mouvements de résistance, des syndicats et des principaux partis politiques, le CNR a adopté à l'unanimité le 15 mars 1944 un programme politique comprenant deux parties. Une première « à appliquer dès la libération du territoire » et, surtout, une deuxième avec des mesures à plus long terme touchant à l'organisation sociale, économique et politique de La France qui ont été adoptées entre la libération en 1944 et le début de 1946. Ce programme est considéré comme la véritable pierre angulaire du système français. Pendant des années, il a été considéré comme le ciment du pays.

Une profonde réorganisation de l'économie française

En voici les principales dispositions :
. 26 août et 30 septembre 1944 organisation de la presse, interdiction des concentrations,
. 13 décembre 1944, institution des Houillères du Nord-Pas- de-Calais,
. 18 décembre 1944, Contrôle de l'État sur la marine marchande,
. 16 janvier 1945, nationalisation des Usines Renault avec confiscation des biens de Louis Renault,
. 22 février 1945, institution des comités d'entreprise,
. 26 juin 1945, transfert à l'État des actions de la compagnie Air France,
. 4 et 19 octobre 1945, ordonnances de base de la Sécurité sociale, promulguées par le gouvernement du Général de Gaulle, qui fusionnent toutes les anciennes assurances (maladie, retraite). Elles prévoient le principe d'une « gestion des institutions de Sécurité sociale par les intéressés ».
. 2 décembre 1945, nationalisation de la Banque de France et de quatre grandes banques de dépôt (Crédit Lyonnais, Société générale, Comptoir d'escompte de Paris et BNCI. Ces deux dernières donneront naissance à la BNP en 1966)
. 18 janvier 1946, dépôt à l'Assemblée de projets de loi sur la nationalisation de l'électricité et du gaz (avec les créations de EDF et GDF)

Après la démission du général de Gaulle le 20 janvier 1946, l'application du programme du CNR continue:

. 21 février 1946, rétablissement de la loi des quarante heures,
. 28 mars 1946, vote de la loi sur la nationalisation de l'électricité et du gaz,
. 24 avril 1946, nationalisation des grandes compagnies d'assurances,
. 25 avril, extension du nombre et des attributions des comités d'entreprises,
. 26 avril 1946, généralisation de la Sécurité sociale,
. 19 octobre, loi sur le statut de la fonction publique.


Une architecture remise en cause avec le souffle libéral des années 1980

Globalement, cette architecture politique, économique et sociale de la France, décidée au lendemain de la dernière guerre mondiale, est restée quasi intacte jusqu'au milieu des années 1980 (il y a tout de même eu une profonde modification de l'organisation de la Sécurité sociale en 1967 avec la création des trois caisses autonomes : maladie, vieillesse et famille).
C'est lors de la première cohabitation politique en 1986, alors qu'un vent libéral souffle sur l'économie mondiale, qu'un important mouvement de privatisation a été lancé par le ministre RPR des Finances, Edouard Balladur. L'Etat français s'est alors progressivement séparé de toutes les banques et de toutes les compagnies d'assurance publiques. En 2013, il ne reste guère que la toute récente Banque publique d'investissement (BPI) dans le giron public.
Malgré le fameux « ni ni » (ni privatisation ni nationalisation », prôné en 1988 par François Mitterrand au début de son second mandat, les privatisations n'ont plus cessé de s'étendre, y compris sous le gouvernement de Lionel Jospin. Ainsi, à titre d'exemple, l'Etat ne détient plus directement que 15% dans Renault et 36,7% dans GDF-Suez. Pour EDF, l'Etat est tout de même encore présent à hauteur de 84,5%.

Le modèle social hérité du CNR soumis à de vives critiques

Sur le terrain social, l'esprit du CNR a davantage perduré. Les grands principes (retraite par répartition, universalité des prestations, statut de la fonction publique, co-gestion par les partenaires sociaux,) perdurent globalement malgré les coups de butoir. L'ensemble des gouvernements, de gauche comme de droite, assurent vouloir « conserver le modèle social français ». Il n'empêche que tout un courant de pensée estime que tous ces « machins » « obligatoires et coûteux » devraient laisser la place à une couverture sociale davantage basée sur le l'adhésion individuelle.

La charge de Denis Kessler, ancien vice-président du Medef

L'une des charges les plus virulentes est venue de Denis Kessler, patron du groupe de réassurance Scor, ancien vice président du Medef et ancien président de la Fédération française des sociétés d'assurance. Dans un éditorial dénommé « Adieu, 1945, raccrochons notre pays au monde », publié dans l'hebdomaire Challenges du 4 octobre 2007, soit quelque mois après l'arrivée à l'Elysée de Nicolas Sarkozy, Denis Kessler applaudissait les réformes engagées par le nouveau président dans les termes suivants : « Le modèle social français est le pur produit du Conseil national de la Résistance. Un compromis entre gaullistes et communistes. Il est grand temps de le réformer, et le gouvernement s'y emploie. Les annonces successives des différentes réformes par le gouvernement peuvent donner une impression de patchwork, tant elles paraissent variées, d'importance inégale, et de portées diverses : statut de la fonction publique régimes spéciaux de retraite refonte de la Sécurité sociale, paritarisme... A y regarder de plus près, on constate qu'il y a une profonde unité à ce programme ambitieux. La liste des réformes ? C'est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1944 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ».