Argent sale, mode d'emploi (2/5) : les footballeurs jouent aussi les lessiveuses

Par R.R.  |   |  801  mots
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Tracfin, l'organisme de Bercy chargé de traquer les circuits financiers clandestins a rendu son dernier rapport la semaine dernière. La Tribune vous en a extrait quelques perles. Aujourd'hui : le blanchiment d'argent grâce au transfert de joueurs de football.

Le football est sans doute le sport le plus populaire au monde, et, conséquence presque naturelle dans nos économies de marché, l'un de ceux qui drainent le plus d'argent. Pas étonnant donc, qu'il attire les convoitises. D'autant que les mouvements financiers importants lors des transferts de joueurs ou du rachat d'un club sont autant d'occasions de blanchir de grandes quantités d'argent sale, selon le dernier rapport de Tracfin, l'organisme de traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins du ministère de l'Économie et des Finances.

Le montage est loin d'être à la portée de tous et s'effectue sur une longue période, contrairement à celui qui consiste à recycler des tickets-restaurants que nous avons déjà présenté. Mais il permet de comprendre pourquoi certains fonds d'investissement peuvent être intéressés par le rachat de clubs de football endettés.

1 - Être actionnaire majoritaire de deux fonds d'investissements garantissant l'anonymat

Prenons M. Escobar, trafiquant de drogue notoire ressortissant de San Theodoros, en Amérique Latine. Ses activités illégales lui rapportent beaucoup d'argent, mais il souhaite en investir une partie dans l'économie légale en France. L'un de ses conseillers lui a parlé de clubs de football très endettés en Europe et qui peinent à boucler leurs comptes sereinement. Ce alors que le "fair-play financier" instauré par l'UEFA en 2009 leur impose l'équilibre entre recettes et dépenses.

Or, il se trouve que M. Escobar est justement actionnaire majoritaire de deux fonds d'investissement : Lavadora aux Bahamas, et Weurlpoule à Jersey. Deux îles à fiscalité privilégiée qui garantissent tant que faire se peut l'anonymat. Convaincu par son conseiller, le magnat de la drogue décide de faire racheter au fonds Weurlpoule, pas très actif ces derniers temps, l'un de ces fameux clubs endettés.

2 - Repérer un club de football surendetté en Europe

Il tient alors dans sa ligne de mire la proie idéale. Le club de l'AS Menicci, dans le sud-est de la France, a connu une saison difficile en terme de résultats sportifs et n'en a pas tiré les gains escomptés. Pris à la gorge par ses créanciers, son propriétaire veut vendre. Le fond Lavadora, lui, est déjà propriétaire du FC Alcazar, club mythique de la capitale du San Theodoros qu'il alimente régulièrement en cash.

Une fois les formalités pour l'acquisition de l'AS Menicci remplies par le fonds Weurlpoule, M. Escobar peut enfin mettre son plan à exécution. L'AS Menucci regorge de joueurs qui cirent le banc depuis des mois et la saison des transferts approche. Le dirigeant de paille qu'il aura placé à la tête du club les met alors en vente pour renflouer les caisses. Certains seront vendus à leur vraie valeur à des clubs tiers. Mais pas tous.

3 - Profiter des transferts pour gonfler la note et faire circuler l'argent sale

En effet, on apprend par des rumeurs de presse qu'un joueur, Didier Surlafin, intéresse particulièrement le FC Alcazar. Le club du San Theodoros y va fort, il met 15 millions d'euros sur la table. Selon les spécialistes, Didier Surlafin était autrefois un cador. Désormais proche de la retraite, il est toujours utile, mais sa valeur ne dépasse pas les 10 millions d'euros.

Le transfert a finalement lieu. Et la même chose se passe avec plusieurs joueurs cette même année et les années suivantes. Au bout de trois saisons, le club a renfloué ses caisses. Et l'argent sale de M. Escobar a réussi à pénétrer l'économie française. Les remontées de dividendes lui permettent de toucher une partie de son argent blanchi.

4 - Revendre le club remis à flot artificiellement et récupérer la plus value en argent propre

S'il veut récupérer toute sa mise d'un coup, il n'aura qu'à revendre l'AS Menicci. En effet, maintenant qu'il a été remis à flots, le club a repris de la valeur, et son compte bancaire garni des sommes transférées par le FC Alcazar fait partie des actifs qui vont bien sûr peser lors du calcul du prix de vente. Dans la plus value réalisée, il retrouvera donc normalement le montant des transferts frauduleux réalisés. C'est-à-dire son argent sale passé à la lessiveuse.

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>>> ILLUSTRATION Blanchiment dans le cadre du transfert d'un joueur de football
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